»Un dictateur, contrairement au sens commun, ça n’a rien d’un monstre... au départ. Des êtres bien ordinaires, souvent, dont on a réellement pris conscience lors de la chute des Ceaucescu, ou le monde, effaré, s’est aperçu, entre autres, de leurs goûts de Prisunic pour la décoration de maison. Le dictateur, vous l’avez donc déjà remarqué, fonctionne aussi parfois en couple. Quand c’est le cas, le plus souvent, la dame n’a rien d’aristocratique et peut très bien se révéler être une coiffeuse (blonde) écervelée, ou volage, plutôt qu’une universitaire, ou une vile étrangère, les dictateurs ayant cela en commun avec la royauté d’épouser une personne en croyant épouser un pays, ou de penser mêler leur sang impur à un sillon... à particule.«
Votre voisin de palier n’ouvre pas sa porte tous les jours. Le dictateur lui, par définition, est présent partout, vous le croisez tout le temps en fait, même sur les murs. Avant, les dictateurs faisaient imprimer des milliers de portraits que les gens devaient encadrer chez eux et accrocher, sous peine d’avoir la visite de la terrible police des cadres du régime (securitate), chargée de vérifier si c’était bien disposé selon les règles (et pas la tête en bas, par exemple, crime punissable du même sort, mais pendant vingt ans). Dans les lieux publics, idem : pas un bâtiment sans portrait du grand héros. Une peinture, plutôt qu’une photo, ça évitait ainsi de faire remarquer les rides du temps du dictateur. Retoucheur de dictateur était un boulot envié (euh... sauf pour ceux qui rataient les retouches !). Dans les rues, des pans de murs complets du même tableau, ou des variantes selon des thèmes précis : le dictateur au champ, le dictateur visite l’entreprise, le dictateur serre des mains, le dictateur descend de la passerelle d’avion, le dictateur visite la maternité ou libère des infirmières bulgares (mince elle m’a échappé celle-là), le dictateur au défilé du 14 juillet, etc
Les bâtiments des dictateurs ont donc toujours des plafonds hauts, à croire qu’ils craignent d’être décoiffés par les lustres, qu’ils ont souvent surchargés et massifs (ça n’explique toujours pas pour autant la coiffure d’un Thierry Breton !). Les dictateurs habitent dans des palais ou d’anciens châteaux, le plus souvent saccagés par leur femme ou leurs maîtresses, toutes entichées de décoration (ou d’un décorateur). Ça donne de belles horreurs et souvent des dorures jusque dans les waters et des tableaux surchargés partout. La maîtresse-femme n’ayant pas davantage de goût que le dictateur, imaginez le carnage artistique ! Chez les dictateurs, qui ont tous des points communs, il y a aussi des exceptions. Une de taille, c’est celle du dictateur sous tente. On en a connu sous tente respiratoire (Franco), chez certains, c’est une vraie tente, et c’est à vrai dire assez exceptionnel. Quatre cents personnes dedans, ça fait un peu Médrano, mais bon. Faut bien que dictature se fasse. A défaut de collectionner les toiles, comme Alain Delon, on vit dessous.
Et il y a même plus subtil encore. Le gars qui faire croire que, une fois élu, il deviendra une oie blanche, alors qu’il s’arrange pour évincer tous ses concurrents à l’élection suivante, quel que soit son bilan, en enfournant à la pelle des liasses de bulletins de votes dans les urnes, ou en faisant taire desjournalistes un peu trop fouineurs, ou encore en se trouvant de bons vieux terroristes sur le dos desquels mettre toutes les tares et erreurs de son propre régime. Cette espèce-là est la plus dangereuse, car elle avance masquée. Les gens ne voient pas un dictateur, mais un héros national musclé qui passe son temps à défendre la veuve, l’orphelin et le rouble. Mince, vous avez deviné lequel c’est, là.
Bref, une dictature, ça n’apparaît pas comme ça dans un claquement de doigts. Ça se prépare, ça se cajole, ça bonnifie d’année en année jusqu’au jour où c’est prêt. Et là, il n’y a même pas à réchauffer. A part que c’est VOUS, sur le gril. Même pas le temps de vous retourner : vous êtes déjà cuit.
Ceux qui doutent encore peuvent faire le test (article »
test de rentrée"). Ce qui est bon pour l’Afrique... doit peut-être bien aussi valable chez nous, qui sait...