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Commentaire de easy

sur Le mal du pays


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easy easy 19 mars 2011 20:38


Gilbert Collard nous dit « S’il n’y avait Marine Le Pen qui ose exprimer haut et fort le non-dit d’une France exaspérée d’être ignorée... »

Il nous ressert donc une variation en Elle de l’air plus connu en Il « Il ose dire tout haut ce que les gens pensent tout bas »

Cet air fait son petit effet depuis une trentaine d’années et je n’ai pas connaissance qu’il ait été chanté avant.

Le fait d’oser dire tout haut ce que les gens pensent tout bas serait donc si extraordinaire qu’il mériterait d’être souligné même par un ténor de la rhétorique du haut vol.
Comme je ne vois pas en quoi dire quelque chose, quelle que soit cette chose, serait extraordinairement courageux, je me vois obligé de comprendre que l’extraordinaire se trouve surtout dans le fait que les gens pensent tout bas.

Qu’est donc ce mystérieux touba ?

Comme le propre du touba est d’être non-dit je ne spéculerai pas sur sa consistance précise.
Mais selon une large optique, je crois pouvoir avancer que le touba est une pensée traditionnellement honteuse. Selon une optique encore plus large c’est une pensée non chrétienne et selon un optique encore plus large, c’est une pensée non méditerranéenne.

Car il faudrait aller chercher bien au-delà de la méditerrannée ou bien au-delà de nos 5000 ans pour trouver du touba en abondance.

Dans la culture commune aux Italiens, aux Grecs, aux Français, aux Iraniens, aux Espagnols, aux Marocains, aux Libanais et autres Egyptiens, il est demandé, depuis 5000 ans, de surmonter sa peur de l’autre et de s’enrichir de ses pensées. Depuis 5000 ans, il nous est demandé de nous élever, d’aller vers une position moins bestiale, moins reptilienne.

S’il y a une région du Monde où les gens se sont creusés la tête pour s’élever dans le sens de l’acceptation de l’étrange, dans le sens de la curiosité (qui peut aller jusqu’à explorer la souffrance par le biais de la torture, qui peut aller jusqu’à faire remonter à la surface des souvenirs enfouis par hypnose) ; s’il y a une région du Monde où l’on a toujours recommandé d’aimer l’étrange, la connaissance et donc la découverte (allant jusqu’à jouer avec tous les feux, jusqu’à explorer tous les recoins de la vie, jusqu’à disséquer tout ce qui vit, jusqu’à explorer les abysses les plus profonds et les astres les plus éloignés...) ; s’il y a une région du Monde où 50 peuples ont échangé, partagé et métissé cette aspiration à s’élever au-dessus de la barbarie, c’est la région méditerranéenne.

5000 ans d’Histoire attestent que dans cette région chacun a constamment fait des efforts pour surmonter son reptile et il a été possible de cohabiter entre différents parce qu’on l’a toujours voulu. De cette extraordinaire cohabitation babélienne, il a résulté d’innombrables frictions, ras-le-bol, colères, hystéries et massacres familiaux, mais la constante culturelle est restée à toujours dépasser son rampant, son cerveau du bas, son reptile, ce cerveau primitif qui ignorait toute notion d’effort sur soi, toute notion de fraternité universelle. Pendant 5000 ans, les méditerranéens ont fait de ce qui leur restait de réflexes reptiliens un tabou.

Et depuis un siècle que le Monde apparaît aux Babéliens comme étant de plus en plus fini, leur tabou va à s’inverser et à devenir ce fameux touba qui réclame à pouvoir être dit touho.

Le courage dont il est question c’est donc le courage d’inverser des valeurs millénaires.



Jusque là, tant que le Monde paraissait infini, faire du touba un tabou exigeait des efforts intellectuels, moraux et éthiques, des centaines et des centaines de conférences, de majlis, de palabres, de conciles et d’articles de paix épuisant les cerveaux les plus courageux. Ca exigeait aussi de rechercher constamment des manières de vivre ensemble sans se foutre dessus et il a fallu essayer toutes les formules de gouvernement, dont la démocratie.

De cette mannie de rechercher tout le temps à résoudre des problèmes de plus en plus complexes, à en inventer même quand il en manquait, de cette habitude à s’échanger les recettes et les formules, de cuisine, de chimie, d’architecture, de musique, il a résulté dans cette région, un foisonnement d’innovations techniques et de développements artistiques unique au Monde.

Tout, absolument tout ce qui nous reste et tout ce dont nous héritons de ces 5000 ans de quête commune d’une même trancendance visant à faire du plus étranger, même d’un Martien, un être envers qui on ressent une fraternité, un être avec qui on a envie d’échanger, nous vient de cette volonté commune de faire de notre touba un tabou.


Tout ce dont nous héritons contient la marque de cette difficile quête. Tout ce dont nous héritons prouve que nous avons voulu fraterniser au-delà de notre reptile. Tout ce dont nous héritons est beau, complexe, mélangé, métissé, acrobatique, difficile à fabriquer et même à reproduire, parce que ça fait 5000 ans qu’on repousse nos limites, qu’on refuse la facilité.

Et parmi les éléments culturels que cette obsession de la difficulté induit, il y a le romanesque, le sens du chevalier qui doit oublier le souci de lui-même pour défendre une veuve, un orphelin, à l’autre bout du monde. Un reptile ne peut pas concevoir ce genre de chose.


Depuis environ un siècle, après le dernier sursaut orientaliste, le Monde leur apparaissant fini, les Français semblent vouloir en finir avec cette longue tradition. 

Pourquoi pas.
Bien ou mal, je n’en juge pas. Je ne crierai même pas à l’apostasie.

Mais je dis qu’il n’est pas cohérent de fonder le renversement du tabou, de faire désormais du touba notre toubo en argumentant de nos carosses, de nos châteaux, de nos églises, de nos opéras, de nos vignes, de notre langue, de nos livres, de nos mignardises et de nos vergers, de toutes ces choses héritées et marquées du sceau d’une culture millénaire qui refusait le reptile et la facilité.

Rejetons-les à la mer si nous ne nous sentons plus capables de résoudre les difficiles problèmes de cohabitation, mais n’invoquons plus aucune tradition, plus aucun dieu, plus aucune essence culturelle.

Rejetons-les à la mer mais dépouillons-nous d’abord de tout ce que nous possédons et de tout ce que nous savons.

Rejetons-les à la mer mais brûlons d’abord tous nos trésors.

Rejetons-les à la mer, mais redevenons d’abord de sombres brutes.


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