Je passe sur les arguments économiques où il y aurait pourtant beaucoup à dire car c’est toujours à partir d’eux (depuis que le Juif n’est plus le porteur de peste) que se mettent en place les renvois à la mer.
Hormis donc le sourd mais grandissant argument économique, l’avancement volontaire (par vrai suicide ou par euthanasie forcée) poserait un problème psychologique insurmontable. Je dis problème comme je dirais noeud gordien ou ouroboros.
Un enfant demande à sa mère quand il va mourir et sa mère répond dans très longtemps. Sans que ce soit toujours très explicite, elle indique à son enfant non seulement que c’est pour dans une échéance à perte de vue, inimaginable donc à ne pas considérer, mais aussi qu’elle ne souhaite pas que ça se produise.
La mère mais aussi les amis, sur notre lit d’enfant, nous souhaitent la plus grande longévité possible (ce voeux n’est pas clairement énoncé en France, il l’est en extrême Orient). Ce n’est pas tant le fait qu’on espère pour nous une longue vieillesse qui est réconfortant, c’est le fait que les gens semblent refuser notre mort rapide, autrement dit ils ne visent pas à nous tuer et iraient même à nous porter secours. Cette perspective d’une protection sociale est fondamentale du goût de vivre de l’enfant (et elle est hélas souvent très tôt altérée par bien des injures ou manifestations hostiles)
Si l’on en venait à une convention selon laquelle un vieux devrait se suicider vers 70 ans et que la chose se systématise, même si ce seuil des 70 ans est décrété non abaissable, ça perturbera profondément la psychologie des enfants. C’est que l’air de rien, peut-être même chez les sauvages isolés, chacun vit avec certes la déprimante perspective de sa mort inévitable mais aussi et par défense, par protection contre la dépression, avec un fantasme d’immortalité. Sans ce délire personne ne construirait rien qui ne dure plus de 50 ans.
Si une sorte de machine dieu, chais pas quoi nous mettait à mort pile à 70 ans. Nous nous retrouverions seuls animaux au Monde à savoir qu’ils mourront et à savoir aussi qu’il n’y a aucun espoir de gratter une seconde de plus. Autant dire que l’humanité ne sera plus du tout la même.