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Commentaire de L’Ankou

sur Laïcité, un débat nécessaire et probablement salutaire


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L’Ankou 5 avril 2011 11:32

Merci à vous, Monsieur Jebri.

J’aime toujours à lire la prose des gens qui aiment assez la France pour vouloir en faire partie et qui y apportent toute la richesse de points de vue originaux.

Je suis d’accord avec vous sur ce que doit être la laïcité : le respect de toutes les croyances et des incroyances (je confirme qu’il est maladroit de faire de l’athéisme une foi parmi d’autres, mais ce n’est pas un point de désaccord rédhibitoire)

Effectivement, des responsables politiques se servent de la religion et de la laïcité pour diviser les Français, non seulement en raison de leurs croyances et de leur origine, mais aussi en raison d’autres clivages profonds : le rationalisme contre les superstitions, l’universalisme et l’intégration « à la française » contre le communautarisme, etc. Ne nous y trompons pas, ce sont des professionnels de la division. Leur but est évident : soulever tous les sujets riches en clivages afin de séparer, de morceler, de désunir les oppositions. Il n’y a qu’un sujet à clivage qu’ils ne soulèvent pas, c’est la lutte des classes. On peut donc justement penser que c’est le seul vrai sujet, celui qu’ils veulent nous faire oublier, celui de l’illégitimité des grandes fortunes, de l’injuste répartition des profits, de l’exclusion économique, etc. Donc, oui, la laïcité est un sujet passionnant, mais ce n’est pas un hasard s’il sort maintenant, pour faire, une fois de plus, diversion.

« Toutes les croyances sont sur un même pied d’égalité » ? Oui et non. Des raisons historiques distinguent la façon dont sont gérées les églises catholiques d’une part, et d’autre part, les églises orthodoxes et les temples, qu’ils soient juifs ou protestants, bouddhistes ou autres. Ces raisons forcent les collectivités publiques à entretenir les églises catholiques. Personnellement, je ne demande pas mieux que ce financement cesse, mais j’apprécie cependant la fraicheur tranquille des vieilles pierres par temps de canicule, et je ne suis pas certain que les croyants soient assez nombreux encore pour entretenir et réparer les monuments historiques. Mais du coup, il faut faire preuve de pédagogie pour expliquer aux musulmans pourquoi on ne finance pas aussi leurs lieux de cultes, pourquoi on ne les entretient pas, pourquoi on met des bâtons dans les roues de toute velléité d’implantation... Difficile d’expliquer que ce n’est pas du racisme ou de l’islamo-défiance, d’autant que ces raisons historiques arrangent bien, aussi, les racistes, les islamophobes, la plupart des riverains et la grande majorité des saucissonneurs du dimanche, abrutis d’un patriotisme obtus.

C’est un vrai problème, mais qui, selon moi, ne mérite pas un débat national immédiat et public.
 

Il me semble en plus que le vrai débat de fond s’articule bien, comme vous le dites, entre les notions de multiculturalisme et de communautarisme. On peut se rappeler que l’identité française s’est construite sans douceur, en imposant la disparition de patois et de langues régionales, de systèmes de mesure invraisemblables, et en reléguant de force la religion dans une sphère la plus privée possible.

L’histoire de France à sauvagement nivelé des différences ethniques, linguistiques, culturelles, religieuses, pour finalement défendre un modèle commun. On a fait une nation avec des peuples et des cultures assez peu compatibles : des Bretons, des grecs phocéens, des Celtes, des Gallo-romains, des Basques, des Normands, des Burgondes, des huns, des languedociens, des Juifs, des Sarrazins, des cathares, des auvergnats, et, plus récemment, des Alsaciens, des Lorrains, des Antillais, des Guadeloupéens, puis des Niçois et des Savoyards, des immigrés Russes, Portugais, Espagnols, Algériens, Marocains, et tant d’autres. Autant de langues, de poids et mesures, de patois, de croyances, de structures familiales, de récits et de comptines, de plats régionaux, de musiques, de danses, de costumes, de rituels qui ont d’abord cohabité puis qui se sont, pour le meilleur ou le pire, fondu dans une pseudo-culture commune, totalement factice, artificielle, qu’on appelle France. Il y a encore quelques suvivances folkloriques, et quelques militantismes régionalistes et linguistiques pour nous rappeler combien ce fut dur et précaire de faire la France.

On prétend que ce modèle a des vertus universelles. Il en a. Du moins, c’est sûr qu’il est plus syncrétique, « par construction » que la culture de tel ou tel groupuscule ethnique fermé sur lui-même. Il n’est pourtant pas totalement universel : Il a ses partis-pris, ses lourdeurs, ses atavismes. On pourrait le rendre plus universel, et ça consisterait à s’interroger sur son évolution plus que sur sa conservation dans une fixité immuable (et parfaitement fantasmatique) dont rêvent les nationalistes obtus. Pour moi, pas question d’adopter une religion, mais je suis ouvert à faire évoluer le mode de vie français pour y intégrer des arts culinaires, la beauté des meubles orientaux, le raffinement, l’hygiène et le respect des hôtes. La façon dont les femmes noires portent leur bébé mérite qu’on généralise la méthode. Les palabres et le respect dse anciens peuvent aussi nous inspirer des évolutions venues d’Afrique. L’Inde, le Chine, le Japon doivent aussi être étudiés. Je veux bien essayer la toge ou la Kosovorotka, si c’est plus confortable. Pourquoi réserver le boubou ou le sari à certaines populations, si c’est seyant, coloré et pratique ? Vous n’en avez pas marre des uniformes ? Ca ne vous dit pas de briser les marqueurs socio-culturels en adoptant des codes plus colorés ?

D’ailleurs, c’est étonnant : il y a des cultures pour lesquels vous faites l’effort sans même y penser... Il est sans doute inutile de mentionner l’influence possible des Etats-Unis... C’est curieux, mais là, personne ne veut à tout pris conserver le mode de vie national contre l’invasion linguistique, télévisuelle, cinématographique, juridique, culinaire, familiale, venue d’outre Atlantique... Étonnant, non ? Quand on voit comment nos vies ont changé en quelques années sous ces influences (ne dites pas le contraire : vous être internautes, non ?), le conservatisme d’un mode de vie « de nos ancêtres » devient dérisoire et ridicule tant il est évident qu’il relève du fantasme...

Bref, la fidélité à l’Identité française devrait effectivement nous guider ver l’intégration (dans ce qu’elle a aussi de bilatérale), l’universalisme, l’ouverture à l’autre, le partage des différences, mais dans le sens d’une construction commune partagée, et non de replis sur des communautés fermées. Quand on aura posé le débat en ces termes, je veux bien qu’on détermine comment on finance les mosquées et autre lieux de cultes, mais d’ici-là, je considère la question comme prématurée et inopportune. Et je retourne donc à la lutte des classes...


Bien à vous,
L’Ankou

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