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Commentaire de Brath-z

sur « Robespierre a été un grand dirigeant de la démocratie en acte »


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Brath-z Brath-z 13 juin 2011 11:31

Je pense que la lecture nationale a toujours sa pertinence. A la période de la Révolution, aboutissement, au moins pour ce qui est du sentiment national, de près de dix siècles de construction*, cette lecture nationale était même particulièrement pertinente, puisque c’est la première fois qu’on a vu, en France, une association intime entre le roi et la Nation, puis une domination de cette dernière sur le roi.

A l’aune de cette lecture nationale, on peut considérer l’émergence du capitalisme en France et en Europe à une période bien antérieure à la Révolution. Personnellement, je considère que l’émergence et l’extension du capitalisme provient de deux événements majeurs :
- d’abord, la révolution industrielle médiévale qui a vu pour la première fois la naissance d’une économie de l’offre dans certaines régions urbaines (Naples, Bruges, Lyon) dans la deuxième moitié du XIVème siècle
- ensuite, le premier empire colonial européen aux XVIème et XVIIème siècles, qui succède à l’empire européen de Charles Quint
Ces deux conditions sont les conditions sine qua non de la domination des intermédiaires (marchands et distributeurs) dans le circuit économique (il y avait des intermédiaires dans l’économie médiévale depuis le IXème siècle au moins, mais ils n’occupaient qu’une place marginale, et avaient même été interdits en bien des villes comme « spéculateurs »). Or, le capitalisme, c’est avant tout le système de production et d’échange de richesse dont le moteur est l’accumulation de capital tous azimuts. Cela n’est rendu possible que par la prégnance des intermédiaires dans l’économie.

De ce point de vue, la Révolution n’aura accompli, au service du capitalisme, qu’une seule chose : supprimer des « freins » à son extension. Ces freins qu’étaient les octrois, la multiplicité des devises et les corporations (encore que, pour ces dernières, j’ai quelques sérieux doutes quant à leur statut de « frein » à l’extension du capitalisme) ont été supprimés dès 1789-1790 au cours du processus de fédération des peuples de France, qui aboutit finalement le 14 juillet 1790 (fête de la Fédération, symbolique) à la naissance du peuple français, un et indivisible. Personnellement, je pense que le jeu valait la chandelle.
Mais quand on se penche plus attentivement sur la manière dont fonctionnaient par exemple les colonies du Roy Tres Chrestien (Florence Gauthier a mené des études très précises sur le sujet, justement), on constate que le capitalisme, en France, est déjà bien installé au début du XVIIIème siècle. Suffisamment bien installé pour pouvoir plier la politique à son intérêt. Suffisamment bien installé pour connaître avec la « crise de la main d’œuvre » (esclaves) vers 1750 sa première grande crise systémique.
Car oui, contrairement à ce que pensent certains marxistes qui n’ont pas du tout compris Marx (au point de croire qu’il a décrit l’histoire comme la succession de modes de production, ce qui est un contre-sens total, même s’il a évolué au cours de sa vie sur cette question), le capitalisme peut fort bien s’accommoder d’esclaves. L’esclavage, entendu comme mode de production, ça n’est pas l’esclavagisme, qui n’est que le système caractérisé par la présence d’esclaves, et qui s’est toujours montré sous l’aspect d’une micro-société dépendante (que ce soit économiquement, démographiquement ou culturellement) d’une société bien plus vaste. En somme, l’esclavagisme, c’est une appendice d’une société, caractérisé par l’exploitation d’une main d’œuvre gratuite et socialement dominée, et qui n’a de finalité qu’économique. Ce cadre est idéal pour l’émergence et l’extension du capitalisme car il repose sur :
- une vision économiciste du monde (qui a d’ailleurs bien inspiré les physiocrates et autres turgotins)
- la caractérisation des relations et des hiérarchies sociales par la seule richesse (contre les statuts dans l’ancien monde)
- la domination de facto du marché par les intermédiaires (propriétaires de grandes exploitations, marchands de sucre et d’esclaves)
Bien sûr, après avoir servi de « rampe de lancement » du capitalisme, ces espaces économiques ont été sacrifiés, car peu rentables économiquement** et, surtout, que leur trop grande dépendance de fournisseurs extérieurs de main d’œuvre a empêché que surgisse un marché du travail concurrentiel (qui, comme chacun sait, permet systématiquement d’aligner vers le bas les rémunérations des travailleurs). Pour résoudre ce « problème » devenu visible à partir de 1750 (donc près de 40 ans avant la Révolution), certains (notamment à la Société des Amis des Noirs) ont proposé de permettre aux esclaves de croître et de se multiplier, afin d’avoir sur place de véritables « élevages » de main d’œuvre gratuite. Les conséquences en termes de rapport de force social de cette idée ne sont apparus à ses promoteurs qu’avec la grande et victorieuse révolte des esclaves de Saint Domingue.

Tout cela pour dire que d’un point de vue strictement capitaliste, la Révolution aurait dû s’arrêter en 1791. D’ailleurs, l’opposition factice entre la « bonne révolution » de 1789 et la « mauvaise révolution » de 1793, promue par tout ce que notre pays compte de bien-pensants privilégiés déculpabilisés (Jean-François Khan et son La Fayette, François Furet et sa révolution française « à l’américaine », le film de Robert Enrico et Richard T. Heffron La Révolution française : les Années Lumières - les Années Terribles, etc.) montre avec évidence que, pour ces gens-là, les deux années qui ont suivi le 10 août 1792 restent un cauchemar républicain et démocratique dont il faut retirer tout souvenir dans le peuple. Quand B.-H. Lévy, avec la subtilité qui lui est coutumière, a appelé les Tunisiens à « un thermidor tranquille » après la chute de Ben Ali, il n’a pas dit une énorme c*nnerie. Il n’a fait que traduire en mots ce qui est le fond de pensée dominant de notre oligarchie : les deux années vaillantes de la République démocratique, populaire et sociale sont le repoussoir par excellence, dont il faut absolument empêcher que le peuple s’inspire.

Évidemment, on pourra toujours prétendre, à rebours, qu’il était évident que le capitalisme triompherait de la Montagne, que le combat était truqué, que les révolutionnaires n’avaient aucune chance face aux contre-révolutionnaires***. Mais quand on vit les événements, on ne raisonne pas ainsi. On fait de son mieux, et au pire, on combat pour l’honneur. Robespierre en avait manifestement conscience, lui qui avait prévenu ne pas avoir prévu de vivre longtemps.

* : on date généralement la « naissance » de la Nation à la bataille de Bouvines en 1214, où Philippe II Auguste, premier roi à se faire appeler « Rex Franciae » (roi de France) au lieu de « Rex Francorum » (roi des Francs), vainquit les monarchies européennes coalisées et fut acclamé sur le chemin du retour par des paysans... y compris un grand nombre qui étaient vassaux du seigneur de Flandres, qui avait pourtant prit parti contre le roi de France, mais pour que cela ai pu avoir lieu, il faut que ce sentiment national ai été antérieur à Bouvines, raison pour laquelle je place personnellement l’origine de la construction nationale en 987, élection unanime de Hugues Capet

** : un esclave, il faut le nourrir, l’habiller, l’héberger et en prendre soin ; un ouvrier « libre » n’a qu’à crever dans son coin

*** : à ne pas confondre avec les anti-révolutionnaires qui, eux, étaient plus favorables aux premiers qu’aux seconds ; je n’ai malheureusement pas retrouvé la citation que je voulais mettre ici en exemple, mais grosso-modo, des royalistes emprisonnés ont écrit bien plus tard qu’à l’époque, ils lisaient avec une même horreur les discours prononcés par les uns comme par les autres, mais que celui qui leur semblait être le moins pire de tous, aussi bien par les principes qu’il défendait que par les méthodes qu’il préconisait, était, précisément, Robespierre


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