Combien
de morts la catastrophe de Tchernobyl, survenue en 1986 a-t-elle
causés ? Derrière cette interrogation, c’est toute la dangerosité de la
filière électronucléaire qui est posée. Elle n’est donc pas anodine, en
ces années de retour en grâce de l’atome et de lobbying intense des
milieux nucléocrates. La question semble élémentaire ; mais lui apporter
une réponse se révèle ardu.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS), dont on serait en droit
d’attendre qu’elle serve de lieu d’expertise à ce sujet, est en effet
liée de manière contractuelle depuis 1959 à l’Agence internationale pour
l’énergie atomique (AIEA). Résultat : elle a toujours fait le black out à
ce sujet.
Un lien incestueux qui est dénoncé par un collectif antinucléaire –
Independant-WHO (pour une OMS indépendante)1. C’est ce groupe qui
organise depuis 2007 un piquet de protestation quotidien devant le siège
de l’organisation onusienne.
En septembre 2005, un colloque de l’OMS avait abouti à un chiffre
extravagant démontrant la mainmise du lobby nucléaire : il n’y aurait eu
que 4000 morts liés à la catastrophe de Tchernobyl. Une position qui
avait été dénoncée comme « négationniste » par les associations de défense
de l’environnement. Vu le tollé, l’OMS avait ensuite quadruplé ces
estimations, sans fournir d’explication à ce sujet. Le chiffre
« officiel » est donc aujourd’hui de 16 000 décès.
Bien loin des chiffres réels, les travaux sur le terrain menés en
Ukraine – lieu de la catastrophe–, en Biélorussie et en Russie – pays
qui ont subi de plein fouet le retombées radioactives – donnent des
chiffres beaucoup plus élevés : entre 600 000 et 900 000 vies perdues.
Recherches précieuses
Si l’on considère uniquement les liquidateurs, cette « chair à
neutrons » utilisée pour déblayer les décombres de la centrale, on compte
d’ores et déjà près des 125 000 morts (sur les 830 000 personnes
mobilisées).
Jusqu’à présent, ces travaux, notamment ceux du professeur Youri
Bandajevski et du professeur Vassili Nesterenko (décédé en 2008) ont été
disqualifiés par les experts occidentaux prompts à mettre en doute
toute recherche n’émanant pas du cénacle des grandes universités.
Cela sera un peu plus difficile à l’avenir : l’Académie des sciences
de New York a consacré au début de l’année 2010 un volume de ses
annales2 à cette problématique. Une validation ou, du moins, une entrée
dans le champ scientifique occidental de ces années de recherches. « On
peut bien sûr beaucoup critiquer les ex-républiques soviétiques, mais
s’il y a un domaine où elles étaient avancées, ce sont bien sur les
disciplines techniques et scientifiques où leurs chercheurs étaient de
haut niveau », relève Alison Katz, coordinatrice de l’association
Independant WHO, qui diffuse cette étude dans les milieux critiques face
à l’atome.
Les effets sanitaires observés sur le terrain sont encore mal
connus. L’ouvrage met en évidence toute une série de pathologies liées à
la radioactivité et guère documenté dans la littérature officielle.
Traduction précieuse
L’ouvrage est volumineux et très technique. Ce sont près de 5000
articles et recherches qui ont été condensés et, surtout, traduits en
anglais, langue de communication scientifique par excellence. Le
matériau est fort riche. Les auteurs ont notamment eu accès à des
données encore classifiées il y a quelques années. Introduites dans
certains modèles épidémiologiques reconnus, ces chiffres obligent à
reconsidérer l’ampleur de la catastrophe.
Ils mettent en évidence l’ampleur des retombées radioactives : 10
milliards de curies (soit 200 fois plus qu’initialement prévu et 100
fois plus que les retombées générées par les bombes atomiques
d’Hiroshima et de Nagasaki). Entre 1986 et 2004, ce sont ainsi près d’un
million de personnes qui ont perdu la vie de par le monde.
Pollution durable
Un chiffre plus élevés que certaines extrapolations menées au début
des années nonante. Certaines études – celles qui avançaient des
hypothèses pessimistes – tablaient alors sur un chiffre équivalent, mais
sur une quarantaine d’années. Il semble donc avoir été atteint en la
moitié moins de temps.
Dans la région fortement irradiée – Biélorussie, Ukraine et Russie
–, le taux de certains cancers a progressé de 40%. Mais l’ouvrage évoque
aussi les retombées mesurées en Europe du Nord, en Amérique du Nord ou
en Afrique : la radioactivité de Tchernobyl peut être mesurée dans les
sédiments du Nil. Et elle est là pour des durées d’ordre géologique (de
20 000 à 200 000 ans). I