Dépassionner le débat et relativiser est souvent productif, effectivement. On reconnaît l’ombre (la patte ?) de Claude Piron dans le commentaire qui précède, et l’interventio de « Negravaski » résume d’ailleurs la quasi-totalité du livre de Piron « Le défi des Langues : du gâchis au bon sens ».
Nous sommes loin de la question d’ITV, il y a 82 commentaires, et la totalité des interventions représente actuellement 34 pages imprimées en A4. Le fond de toutes mes interventions est de dénoncer un hiatus entre la propagande et la réalité..
Qui veut connaître le vrai prèche le faux, ou bien il force juste un peu le trait. Ce qu’adoncques je fis. Le piège était grossier, et de zélés militants ont donné pleine tête dedans, avec toute la force de conviction que peut donner la répétition ad nauseam de slogans, et de certitudes préfabriquées. Comme on tolère pour soi ce que l’on voudrait arracher à autrui ! Je critiquais l’espéranto, donc je n’y connaissais rien. Le procès était entendu, la défense parlerait après l’exécution. Il est vrai que j’ai brisé un tabou, qui demande d’éviter d’amener du linge sale sur la place publique. Des fois que quelqu’un lirait ? Nous sommes assez loin maintenant dans le bas de l’écran et je pense que nous avons fatigué toutes les curiosités. Nous pouvons donc nous permettre quelques remarques existentielles, en tentant de ne pas y mêler l’affect. [Ceci dit, mes 20 ans d’esperanto, je les ai.]
- 15è règle : la perfusion
Tout d’abord, je connais fort bien l’existence de cette 15ème règle, et je profite de l’occasion qui m’est donnée pour dire tout rond qu’elle est justement le talon d’Achille de l’édifice Elle est inapplicable à une langue vivante. Elle tuerait une langue vivante, comme elle corsette l’espéranto. Soit elle est d’application et l’esperanto n’est pas vivant, soit elle ne l’est pas, et l’espéranto se dissout. Je développe :
« Tout mot qui doit entrer dans l’espéranto doit se plier à l’orthographe, (donc la la phonétique), et la flexion de la langue ». En informatique, déjà, cela donne quelques beaux monstres (« Vindozo » pour windows est assez amusant, je propose « Vorto » pour « Word » et « Poverponto » pour PowerPoint. Du côté Linux, l’exemple le plus frappant est la façon dont est désigné l’utilisateur principal. Tenez-vous bien, c’est « la root-uzanto ». Cette salade n’a aucun goût, ou elle en a trop. Bientôt on ne verra plus de différence entre l’esperanto et l’universalglot. Car le problème sera bien sûr de remplacer ce monstre-là avant qu’il ne rentre dans l’usage... Et ça, c’est une autre paire de manches. En français, un « root » est très précisément un « root » et rien de plus. Il ne s’agit pas d’une avancée à couvert du British Council à l’instigation d’un rapport secret de 1961, non, il s’agit de l’intégration à la langue française d’un mot anglais.
Je vais en arriver au fait, mais pour être sûr d’être compris, je dois encore contexter quelque peu. Trois mots me viennent à l’esprit : redingote, surbooké, et clip. Datant du siècle passé (enfin, du 19è), redingote est une altération de « riding-coat ». Heureuse époque où l’on avait le temps d’adapter... Je ne suis pas sûr que l’on serait arrivé à un aussi joli mot si le français disposait d’une « 15è règle », applicable en tout temps et tout lieu. « Surbooké », si on le regarde bien, est très curieux : le participe est bel et bien francophone. Le « book » est resté, et l« over » original s’est mué en « sur ». Ce mot est-il anglais on français ? on n’en sait rien, et c’est peut-être la beauté de la chose. Le clip maintenant, et vous allez voir (enfin) où je veux en venir. Quand ces petits films ont commencé à faire fureur, de chastes grammairiens ont hurlé : « video-clip » était trop anglophone. L’Académie Française a proposé sans rire « bande vidéo promotionnelle ». Il était trop tard et c’était inutilisable. Le mot et ses connotations étaient déjà dans l’usage. Je dis « et ses connotations », ce n’est pas gratuit. Car la 15è règle tue la connotation. Certains ont pu trouver bizarre qu’on ne réemploie pas le mot « scopitone » pour damer le pion à ce (vidéo-)clip, coupable d’un délit de sale gueule. Et pourquoi n’a-t’on pas été repêcher le mot, alors que l’objet était quasiment identique ? A cause des connotations. Le scopitone était connoté vieux, jauni, yé-yé. Rien à voir avec le clip. Une quinzième règle en Français aurait par exemple amené à l’obligation d’utiliser « scopitone », et aurait embrouillé tout un réseau de connotations, rendant la langue plus française d’aspect, mais moins riche. Ce qui rentre en espéranto, à cause justement de cette 15è règle, ce sont des dénotations. Les connotations disparaissent au lavage. Elles doivent être très consciemment et très volontairement rajoutées par la suite grâce à des affixes comme « fi- » ou « -acx- », « -ocxj- » ou « -inj- » . Et je ne parle pas du cauchemar orthographique, vu l’absence de q,w,y,x, et la présence de c (« ts ») et « c accent grave » (tch). Non, la défiguration des mots n’est pas une spécialité volapükienne....
- Se faire son avion
Umberto Eco a bien montré, dans « A la recherche de la langue parfaite » que la confusion des langues telle qu’elle nous est racontée dans la légende n’avait pas d’origine nationale, mais technique. La « malédiction » de Babel est dûe à la différenciation des métiers. Dis-moi ce que tu manipules et je te dirai quelle langue tu parles. Pourquoi dis-je que construire un avion est impossible en espéranto ? Parce que, à cause encore de cette 15è règle, les mots en espéranto ne peuvent ni « surgir » ni être empruntés directement, comme ils le seraient en français ou en anglais. Ils doivent être adaptés puis dérivés. En espéranto, il y a par exemple un mot pour bèche, un autre pour pelle, il n’y en a pas encore pour escoupe. « Qu’à cela ne tienne, dirons-nous, voyons... d’abord, avons-nous besoin de ce mot, n’est-ce pas un synonyme de »pelle« ? - Si fait si fait, dans le langage courant peut-être, mais techniquement parlant, je vous assure qu’il y a une différence » Refuser de différencier deux objets similaires, c’est se condamner à la généralisation, c’est mal utiliser et l’un et l’autre. Différencier, c’est spécialiser. Et en espéranto, spécialiser un mot, c’est le rallonger. Si l’on veut rester fidèle au sens et à la quinzième règle du moins. Ce mécanisme d’allongement pourra bien sûr être tempéré par le contexte, mais jusqu’où ? En zoologie, une souris se dit « muso » ; en informatique aussi, et pourtant un autre mot aurait dû être créé, qui aurait ressemblé à « musilo » ou plus précisément à « ilmuso ». L’homonymie dans ce cas-ci est possible parce que les contextes ne se rencontrent pas, mais là où les choses semblables cohabitent, bonne chance ! Combien de syllabes compteraient donc les mots nécessaires à notre avion, même s’ils devenaient d’usage courant entre techniciens ?
- un espérantisme raciste
LO dit que l’epéranto vient en réponse à un problème. Je dirais pour ma part qu’il y a le problème lui-même et la perception qu’on en a. Ici, le problème est sociologique, la réponse est psychologique. Volonté de se faire comprendre ou peur de n’être pas compris ? Je pencherais pour la deuxième. Aussi, me semble-t’il important de savoir ce que chacun de nous met à la base de « son » espérantisme. La peur d’être incompris, dans une ambiance de Conspiration amplifiée par l’ombre d’un impérialisme ambiant peut transformer n’importe quel bon père de famille en singe hurleur. Quand je lis sous la plume d’Anna-Maria Campogrande « Qui vous a payé pour diffuser l’idéologie du British Council qui sévit dans le monde entier dans le but de faire de l’anglais la langue unique pour dominer le monde et évangéliser les peuples dans la religion du materialisme, de l’égoïsme et du profit ? », je me dis que nous, espérantistes de 2005, nous avons trouvé nos Juifs, nos métèques, nos tchouks. Et je crains fort que ce genre d’effluves brunâtres se répandent bien plus facilement que l’esperanto. Se sentir persécuté, ou simplement incompris, n’excuse pas ces dérives haineuses, surtout quand on a soi-même choisi sa minorité, et j’ai du mal de croire que les gens qui disent cela espèrent réellement l’unification de l’humanité. D’où mon rejet total d’un espérantisme que je juge sectaire et nombriliste. Je ne parle pas des espérantistes en tant que tels ou à titre individuel, ne m’accusez surtout pas de généralisatiion, je parle d’un discours dominant, un discours qui, sous des dehors humanistes (défense de la diversité linguistique) est en réalité l’excellent terreau d’une extrème-droite d’un nouveau type.
- opération Prométhée
Pour toutes ces raisons, je pense qu’il est urgent de voler l’espéranto à l’espérantisme et de l’offrir à l’humanité. Qu’il aille au monde et non pas exiger du monde qu’il vienne à lui. Une première réponse se fait déjà jour dans une tendance de l’espérantisme qui s’est nommée « Raumiste » (mais je ne la connais pas plus que ça). Je pense pour ma part que ce qu’il faut rejeter, c’est la confrontation. Ne pas permettre qu’on sous-estime l’espéranto est une chose, mais le surestimer constamment ne peut qu’exposer le nouveau-venu à de cruelles déceptions. Adieu les boîtes vides, les Instituts inexistants, les universités sans étudiants. Adieu les miroirs aux alouettes. Testez tout, n’utilisez que ce qui fonctionne, et ayez le courage de dénoncer le reste à voix haute, votre cause en sortira renforcée et non défraîchie. Ayez le courage d’accepter que votre langue maternelle se transforme ; sans l’invasion romaine, autrement plus brutale, je l’ai dit, que l’actuelle extension anglo-saxonne, vous n’auriez pas cet outil linguistique dont vous êtes si fiers et trop jaloux. Ne vous demandez pas où va votre français, faites-lui plutôt confiance. Ce n’est pas, comme votre République, un objet Un et Indivisible - c’est une réalité déjà multiforme, un multilinguisme en graine. Respectez les individus qui vous font confiance, et que vous avez enthousiasmé pour l’espéranto : vous êtes responsable des espérantistes que vous créez.
J’ai adoré l’intervention de Skirlet qui disait « S’il s’agit de Chomsky qui déclare que l’espéranto n’est pas une langue, c’est un peu léger. D’abord, quelles sont les critères linguistiques selon lequels on peut affirmer cela ? » - en critères linguistiques, justement, Chomsky s’y connaît mieux que nous... mais je ne veux pas me moquer. Par modestie essentiellement, il faut accepter que l’espéranto ne soit pas une langue comme l’anglais, le français, l’allemand, et arrêter de vouloir à tout prix figurer sur la même photo qu’eux, arrêter de dresser l’oreille quand on parle de disparition du français, dénoncer la manipulation mentale qui dit que des cultures sont en danger parce que l’anglais frappe à la porte, ce qui est faire bien peu de cas de la vivacité des cultures et des traditions, car la langue et la biodiversité ce n’est pas la même chose. Une bonne fois pour toutes, les langues ne sont pas exclusives, elles s’interpénètrent ! Ceux qui parlent de diversité linguistique se trompent de combat. Et, je le répète, ils auraient la nausée s’ils voyaient ce qu’ils sont réellement en train de faire.
Dites-vous que la langue des Signes aussi a mis du temps à être adoptée, et que quelque part, mais oui, vous aussi vous parlez à des sourds. Vous êtes sensés pouvoir les faire bénéficier du monde ; pas les enfermer dans vos valeurs, si bonnes vous paraissent-elles.
26/08 09:23 - Henri Masson
Une nouvelle Télévision d’Espéranto sur Internet ! Une nouvelle télévision réticulaire (...)
18/07 00:17 - funram
Qu’est-ce que le NKVD a à voir là-dedans ? Certes, il a formé une coallition d’un (...)
05/07 19:08 - skirlet
« Quand vous voyez un espérantiste commencer quelque chose, même s’il présente bien, ne (...)
15/06 22:33 - chocolat bleu pâle
Ah, j’applaudis à farbskatol’, qui lui a des ambitions raisonnables et les moyens (...)
08/06 21:39 - Roland
après une interruption due au manque d’argent (eu fait si ça vous dit de les aider ! (...)
12/05 14:55 - skirlet
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