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Commentaire de Michel Tarrier

sur 50 ans d'immunité du terrorisme agricole, basta !


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Michel Tarrier Michel Tarrier 6 octobre 2011 23:26

Le bio, ça n’existe pas !

Si l’on considère que la FAO avait déjà déclaré, dans un moment de cynique lucidité, que la planète pouvait nourrir l’entièreté de sa population en culture biologique, puis que dans la ligne, l’ONU vient de suggérer que la production alimentaire mondiale pourrait doubler en dix ans grâce aux techniques naturelles de l’agroécologie dispensée de chimie et de pesticides, on ne peut qu’en conclure que nous avons été abusés depuis plus d’un demi-siècle, le temps nécessaire pour une intoxication inutile de nos paysages, de notre biodiversité et de nos corps. Crions au crime, à l’imposture et à la trahison, indignons-nous ! Il faut demander des comptes, avec l’appui de la FAO et de l’ONU. Prenons Jean Ziegler pour conduire la bataille ! Soyons immensément naïfs, comme toujours !

Nous pourrions, tout de même, nous interroger sur une scandaleuse inversion des valeurs. Pourquoi en sommes-nous arrivés à ce que le bio, c’est-à-dire le naturel, le bon, le salutaire, le « normal » nous soit proposé comme le rare, l’exceptionnel, l’inaccessible, le hors de prix ? Une amnésie citoyenne, ajoutée à un décervelage médiatique, doux ingrédients de nos démocraties, nous permettent d’accepter un des plus criminels détournements, opéré au fil d’une décennie par le système des fieffés intérêts agrochimiques. C’est ainsi que la merde létale offerte comme plat courant nous semble légitime et qu’il nous paraît parfaitement logique qu’une saine nourriture soit taxée d’un bonus. Tout un chacun est depuis belle lurette rompu, non seulement à la fadeur et à la médiocre qualité d’un fruit ou d’un légume, mais aussi à la dangerosité révélée de sa consommation. La pomme du Paradis perdu et celle de la sorcière de Blanche Neige ont peut-être leur rôle à jouer dans l’inconscient de cette conception. Alors, au royaume des obèses obsédés par l’anorexie, on courbe l’échine et on se bâfre. Et on se dit qu’il faut avoir les moyens pour manger sain, qu’il faut aller faire ses courses on ne sait où pour ne pas se faire avoir, que c’est un privilège de retrouver le goût de la tomate, la saveur de la pêche, qu’il est normal qu’un fruit acheté le midi soit pourri (ou vomi) le soir.

De l’écu à l’éco… Recourir au vocable bio, c’est faire acte de blanchiment vert. Comme s’il y avait deux catégories d’automobiles, celle des véhicules tueurs pour pauvres gens et celles des fiables pour l’élite. Il en est d’ailleurs un peu ainsi ! Comme dans tous les domaines. Ou comme si tous les fruits et légumes d’un pays étaient irradiés suite à un nuage radioactif et que pour continuer les ventes, on les offre avec une ristourne proportionnelle à l’irradiation. Les plus chers seraient les moins dangereuses.

Il faut retrouver les vraies valeurs et en finir avec cette inversion orwellienne de la réalité imposée par des fabricants de mort qui s’annoncent comme des producteurs de Vivant ! En ce cas, ne conviendrait-il pas de militer pour la suppression de la mention bio (AB) parce que la Nature est bio par définition et que c’est la condition naturel d’un produit de la terre et du terroir et d’exiger, en revanche, l’apposition sur tous les produits « industriels » de l’agriculture chimique (AC) les mentions « trafiqué, suspect, susceptible de nuire à votre santé et à votre environnement ! »

La réinvention du bio

Je suis littéralement obsédé par cette notion d’imposture, je ne mangeais que du bio du temps avant-Grenellien de mes grands-parents ! Ils ont pourri notre nourriture pour nous la restituer propre comme un privilège. C’est absolument facho et antidémocratique. Carla Bruni et Madame Obama donnent l’exemple en se faisant livrer du bio auquel les gens de la vie courante n’ont pas aisément accès. Comme si le crime était normal et qu’on signale - hors de prix - du pacifique.

Bien sûr que je suis favorable au recours du bio, mais je suis aussi conscient que c’est une réinvention perverse du capitalisme vs économie verte. Mes grands-parents mangeaient bio comme monsieur Jourdain faisait de la prose. Il a donc fallu passer par la case « poison chimique » pour retrouver le naturel et le baptiser biologique. Existerait-il des végétaux non biologiques ? Un certain nombre d’agriculteurs ayant peu ou prou abandonné le chimique et opté pour l’organique sont du type nouveaux Cathares. Ils se font plaisir en tenant un discours moralisateur mais le bio n’est pour eux qu’une nouvelle cible. Aucune dévotion, aucune sincérité n’y préside. C’est le coup du saint derrière lequel préside seulement l’appât du gain.

J’ajoute que le bio est toujours équivoque puisque nos sols sont empoisonnés, je l’ai dit et répété, d’un cocktail de 100.000 molécules irréversiblement « perdues et irrattrapables ». Quand on connait un tant soit peu les interdépendances écosystémiques, on sait qu’il n’y a pas de cloisons étanches dans la Nature. J’ai un potager bio et mon voisin vient d’épandre un herbicide systémique : dois-je assassiner ce con et aller en prison à vie ? Où est la démocratie si pour ne pas manger de la merde il faut mener des enquêtes oiseuses, lire des étiquettes illisibles et payer un gros prix ?

Et puis… Au-delà des effets d’annonces auxquels se doivent la FAO, l’ONU et autres entités à double jeu, pensez-vous que l’on va pouvoir nourrir 10 milliards de sapiens avec des produits du sol cultivés naturellement, selon les usages d’un temps pas si ancien (années 1960) où nous étions 2 ou 3 milliards ? Presque toutes les terres fertiles sont occises et il ne nous reste plus qu’à cultiver des horreurs transgéniques ou de la pathologie vivante hors-sol, hors-saison et hors-raison pour assurer la sécurité alimentaire à telle multitude de bouches, y compris celle du milliard de gens qui crèvent la dalle et ont d’autres soucis que de lever le petit doigt en l’air sur des marchés snobinards de connards privilégiés.

Avant de nous plaindre sur la bouffe mortelle, il ne fallait pas sombrer dans ce putain de capitalisme, dans un système où l’on n’hésite pas à spéculer sur les sols, les famines et les sécheresses. Et surtout : il ne fallait pas surpleupler la planète ! Quand on est cinquante dans un ascenseur prévu pour douze, on ne se plaint pas s’il se casse la gueule. Nous sommes donc plus ou moins condamnés à ingérer de la bouffe mortelle. Sauve qui peut !


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