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Commentaire de khal torabully

sur Clémentine Autain : l'autre femme de cette présidentielle ?


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khal torabully (---.---.151.243) 14 janvier 2007 20:57

Bravitude et Coolitude sont les deux mamelles de Marie-Ségolène.

REACTION A L’ARTICLE PARU SUR NOVOPRESS LE 9/01/07 VOICI L’ARTICLE :

Bravitude et Coolitude sont les deux mamelles de Marie-Ségolène. Faut-il savoir parler français pour être président de la République ? Pour être candidat à ce poste en tout cas ce n’est nullement nécessaire comme vient de le démontrer, avec le brio qu’on lui connaît, la pimbêche du Poitou lors de sa visite en Chine. Qu’une femme politique de 2007, socialiste qui plus est, ignore l’existence du mot « bravoure » on ne peut en être surpris mais que son pitoyable néologisme soit accueilli par autre chose qu’une grande vague de rires un peu navrés par tant de nullité étalée, voilà qui est plus étonnant. On a ainsi pu voir l’ineffable Jack Lang, le mythomane sous UV des Vieilles Charrues qui ne sait plus quelle plume s’introduire dans le fondement pour faire encore parler de lui, déclarer avec l’emphase ampoulée qui lui est propre que cette « innovation sémantique » (il s’agit plutôt d’une invention lexicale mais on n’est vraiment plus à cela près...) était « quand même autre chose que l’habituelle langue de bois ! ». On voit assez mal le rapport et on discerne encore plus difficilement dans quelle mesure on devrait considérer comme étant un formidable progrès le fait que les inepties et mensonges politiques jadis proférés dans un langage classique et correct le soient désormais dans un idiome mongoloïde que chacun peut adapter à son goût (ou à ses aptitudes). Mais le peuple ne bronche pas... De plus en plus ignare et inculte grâce aux milliards engloutis dans l’éducation nationale, peut-être même est-il heureux et satisfait d’avoir un candidat à sa mesure qui ne risque surtout pas de l’élever ou de l’obliger à secouer un peu son aboulie intellectuelle. Et lorsque Marie-Ségo sera élue (car elle correspond trop parfaitement aux ridicules et aux conformismes de l’époque pour ne pas triompher...) la masse réjouie de ses partisans ne manquera pas de célébrer comme il se doit l’avènement d’une ère radieuse de « coolitude bravitifiée », de « gouvernopertinence écologisée », de « réflexivité citoyennisante » et de « tolérabilité humanitariste »....

Monsieur,

Permettez-moi de prolonger vos réflexions sur la « bravitude » et la coolitude, dans la suite de cette « innovation » sémantique, qui selon Jack Lang, serait aux antipodes de « l’habituelle langue de bois » des castes politiciennes. Je tiens à rappeler que les dévoiements linguistiques ne sont pas rares en politique, si l’on se réfère à Bush qui parlait de « misunderestimate », mot inconnu en américain et ne sont pas loin des mots-valise que vous inventez avec dérision à la fin de votre article : « gouvernopertinence écologisée ». Il est vrai que les temps sont « bouleversifiants »... Revenons à la « bravitude » de Madame Royal. Il m’apparaît opportun de souligner que Lang soulève un point crucial : ce mot appartient à l’univers des jeux vidéo et exprimerait plus que la bravoure. Il mettrait en exergue le sentiment de plénitude que l’on atteindrait après un acte de bravoure. C’est donc ce « supplément de sens » qui aurait fait venir ce mot à la bouche de la candidate socialiste qui ne l’a pas inventé. Soit... En sachant aussi que dans l’Empire du Milieu, l’acte munificent est de gravir la Grande Muraille, seul monument visible depuis la lune . Marche allégorique de Madame Royal vers le pouvoir au Sommet ? D’où cette référence à l’univers des jeux vidéos où les parcours du combattant sont semés d’embûches impensables ? Il est vrai que nous sommes loin de la beauté solennelle de déclarations napoléoniennes sous l’écrasante stature des pyramides d’Egypte et du Sphynx... Cela vous a interpellé, à l’instar de beaucoup d’autres. Cependant, je ne serai pas d’accord avec vous pour poser la coolitude sur le même plan sémantique que la « bravitude », comme vous l’indiquez dans le titre de votre propos. Le coolitude : ce néologisme date de 1992 (peut-on encore le qualifier ainsi après 15 ans d’existence ?). Il fut mis en circulation dans mon recueil Cale d’étoiles-coolitude (Azalées éditions, La Réunion) et couvre un concept complexe que je me permets de développer sommairement. La coolitude recouvre deux sens qui ne sont pas antinomiques. En effet, ce terme s’appuie sur le mot coolie (aussi connu comme engagé), qui vient remplacer l’esclave émancipé dans la première moitié du dix-neuvième siècle, à l’abolition de l’esclavage. L’engagé ou coolie était muni d’un contrat de 5 ans, ce qui, théoriquement, lui reconnaissait son habeas corpus. De plus, l’on est, avec l’engagisme, à la première expérimentation du salariat de la taylorisation après l’esclavage. Sur cette assise juridique, historique et économique, la coolitude tisse sa vision du monde, ou poétique, et se double d’une esthétique et d‘une sociologie culturelle : les coolies, qui étaient massivement indiens et chinois, mais aussi bretons, éthiopiens, japonais, malgaches, africains... se prêtaient à l’élaboration d’une mosaïque humaine, d’une poétique du Divers, où les Indes (espace de la diversité) sont mises en relation avec les créolisations, métissages, imaginaires nomades. La coolitude décrit bien le monde actuel où les imaginaires et les conceptions de groupes humains sont en frottement perpétuel, voire accéléré . Ce concept a été adopté par des historiens et des universitaires (voir Marina Carter, Véronique Bragard, David Dabydeen, Shiva Gurunathan, Magali Marson...) et donne lieu à des études dans le cadre du postcolonial studies et du post-structuralisme, ainsi que dans le domaine littéraire et des sciences humaines, car elle rend compte d’une réalité pour laquelle un mot et un concept faisaient défaut (1).

Il en va de même pour la seconde définition connotée par la coolitude, qui provient du fait que dans cette mise en relation entre coolies, dominants et dominés de l’époque, j’ai opté pour une attitude non-violente, que certains, en versant dans l’anglicisme appelleraient « cool », attitude détendue, sans intention belliqueuse, car il m’était important de prôner une attitude constructive dans cet humanisme du Divers qui s’inspire d’un moment difficile de mises en contact de groupes humains et de cultures. J’y posais un désir de pardon mutuel entre descendants d’anciens négriers, esclavagistes, coolies et esclaves, et la volonté assumée de l’ouvrir à des rapports entre espaces humains et culturels contemporains avec cette injonction de dépassement par le respect de la diversité. Ainsi, tout en tenant compte des horreurs du passé, ce paradigme oeuvre pour une construction de la diversité culturelle avec un esprit dégagé du désir de revanche. Elle permet aux sociétés, cultures, visions du monde déjà en présence, de dégager une attitude pluraliste, moins marquée par les violences et les visions binaires. L’esprit présidant à cette mise en relation dans un imaginaire pluriel, nomade et égalitaire entre dans le cadre de ce que j’appelle l’imaginaire corallien (mise en relation errante et agglutinante), qui donne une symbolique prégnante, tangible et dynamique à l’idée de connectivité errante du rhizome de Deleuze et Guattari, car le corail conjoint l’idée de la diversité culturelle à celle de la biodiversité, ce qui me semble participer du même mouvement. C’est ce que, par la suite, beaucoup ont décrit comme la cool attitude, comme l’a rappelé une campagne de pub en 2004 : Coolitude, parce que je suis cool. L’on sait aussi que ce terme recouvre toute une tendance qui va du cinéma, en passant par la musique et la littérature pour emplir la blogosphère, et qu’il correspond à une attente et à une esthétique. Il est évident, dans la lexicalisation en question, la suffixation en tude n’est pas choquante à l’esprit du français, comme le prouve aussi le terme de madame Royal, nettement moins décalé que le suffixe ing dans les faux-amis parking et pressing, si souvent utilisés par les francophones.

La fortune d’un mot, comme vous le savez, provient de son utilité reconnue, née d’une lacune ou parfois, d’un esprit inventif, poétique, qui rencontre une attente sociale et humaine. Je ne suis pas contre l’inventivité lexicale, loin s’en faut, mais tout réside dans l’intention et l’utilité de l’invention dans un contexte que le mot peut, selon son destin, transcender. Revenons au mot bravoure, que l’on a opposé à « bravitude », qui a aussi donné bravade, bravache, braverie et...bravacherie (paroles de bravache) à la langue française. Quelle que soit la valeur euphonique de chaque terme, on peut reconnaître ici les nuances à l’œuvre dans l’étoffement du sens. Cela fait partie de l’imaginaire de la langue, à n’en point douter. Je ne suis pas, en tant que poète, contre ces emplois, cependant, il est important qu’ils soient en adéquation avec l’esprit de la langue et un usage attendu, ou inclus dans un code indiqué, même s’il lui revient de le transgresser... On se souvient ici du mot abracadabrantesque (terme corallien né du contact entre le persan, l’hébreu et le grec) de Chirac soufflé par un certain de Villepin diplomate et poète, et qui avait fait florès à l’époque... Ici aussi, c’est la suffixation ( tesque) qui avait interpellé, car abradacabra est un mot qui n’est pas inconnu de la sphère de jeux des petits et d’adolescents. Dans le même milieu, l’on accueillerait positivement le mot clavarder (mot-valise : bavarder sur un clavier), venu de Québec, utilisé au lieu de chatter, de l’anglo-américain, qui froisse l’oreille et pointe à la nécessité d’inventivité dans un univers mondialisé, qui malgré les apparences, se complexifie sans cesse... Il appartient à chaque sphère, à chaque usager d’une langue de trouver cette adéquation qui définit l’inventivité langagière et une situation de carence. Et encore... Parfois, même des erreurs sont authentifiées, car l’invention correspond à une attente, ou parfois, la précède... L’on se souvient de l’acronyme OK du général Custer, qui, en voulant abréger All Correct, par défaut d’éducation, avait orthographié Oll Korect, et qui a été repris en OK, universalisé depuis que ce sigle a été popularisé pour les besoins du message télégraphique. Ce qui indique que parfois, même une bourde peut être reprise du moment qu’elle remplit une fonction de communication ou de poéticité et entre dans de besoins divers de communication, de technologie, d’efficience, de code social ou littéraire... Il est sûr, que du fait du contexte passionnel de la campagne électorale, le mot « « bravitude est sorti de sa sphère de jeux vidéo pour s’adonner au jeu politique, voire, sémantique, avec ses phrases assassines, ses règlements de compte ou ses ajustements de sens, car les locutrices et locuteurs ne manqueront pas d’y adjoindre la nuance ironique qui semble lui appartenir, désormais... Pour terminer, je tiens tout naturellement à attirer votre attention sur le fait suivant : de deux mamelles que vous indiquez, permettez-moi de signaler que celle de la coolitude, qu’il s’agit de reconnaître dans ses richesses et promesses de rencontre avec l’autre, est la plus nourrissante, et qu’il n’est pas équitable de l’aligner sur celle de la « bravitude » qui, à en juger par votre réaction et de beaucoup d’autres dans les médias et sur la toile du net, n’est pas à la hauteur des mots de l’illustre prédécesseur socialiste de Madame Royal en rhétorique sur la Grande Muraille de Chine... Tout semble indiquer que « bravitude » semble « rimer » avec une « bravacherie » rhétorique. Ce qui est à mettre en ligne de mire, pour abonder dans le jeu sémantique et vidéo, c’est que les mots et les « dérapages » ont et auront toujours une portée forte sur les citoyens et l’électorat. L’épisode de « racaille » et de « Karcher » est encore dans nos esprits. Et ces mots qui ont des répercussions si fortes indiquent qu’au-delà du jeu de « l’élimination » par la faute (langagière, dans ce cas), les sociétés de plus en plus médiatisées et « réseautées » donnent une valeur quasi sacrale au langage, qui constitue un fonds commun de références et de représentations que chacun(e) défend selon des normes grandement partagées, au-delà des clivages idéologiques. Il semblerait même, que bien que la bipolarisation de la campagne se précise, il n’y a pas enore un clivage idéologique encore nettement tranché, ce qui aurait pour effet d’ériger la langue et son utilisation comme critère de gouvernance, de compétence et d’adresse politique. L’on relève, dans cet esprit, les « droits humains » de Ségolène Royal, et ce matin, France info, évoquant la « dispute fiscale » du couple socialiste, présentait une possible défaillance de la candidate quant à la définition de la « richitude ». Nous mesurons ici combien les mots peuvent coller à des personnalités et à leurs ambitions politiques. La candidate Royal devrait certainement prendre garde à ces exercices lexicaux, car, sur cette lancée, l’on pourrait tout aussi bien parler d’une « langue participative » propre à celle qui serait en contact avec tout votant virtuel ou réel et proche d’un registre linguistique participant d’un nivellement par la « démocratie » de masse que Tocqueville faisait rimer avec médiocratie.

Alors, gageons que Madame Royal serait mieux inspirée de se nourrir à la mamelle de la coolitude, pour exprimer une attitude dégagée de tout orgueil, inventivité aventuresque ou de bellicisme en foulant la Grande Muraille ou les autres obstacles qui constituent ce parcours de marathon linguistique, intellectuel et physique qu’est la campagne présidentielle. Et de bien y accoler la diversité des visions du monde qui lui sied. Khal Torabully

(1) Voir Coolitude sur Wikipédia. Lire “Coolitude” sur le site du Groupe d’études et des recherches sur les mondialisations (GERM) et « Les Enfants de la Coolitude », sur le site du Courrier de l’Unesco ou sur celui de île en île, parmi d’autres.


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