Ambassadeur Christian Graeff : «
Quand l’OTAN a-t-elle déjà tué un chef d’État ? »
Dans le flot des commentaires
consensuels évoquant la mort d’un « tyran sanguinaire », une
voix libre, soudain, tranche : celle de l’ancien ambassadeur de
France Christian Graeff (à Tripoli de 1982 à 1985) interrogé au
journal de la radio publique France culture. (*)
20 octobre 2011 | Thèmes
(S.Cattori) : OTAN Libye
France culture : Après une
guerre de huit mois, comment qualifiez-vous le rôle des
Occidentaux dans la chute du régime Kadhafi ?
Christian Graeff : Mon
interrogation ce soir est courte. Quand l’OTAN a-t-elle déjà
tué un chef d’État ? Voilà. C’est ma question. Je fouille
dans ma mémoire. Je ne trouve pas la réponse. Pour moi, il y a un
assassinat politique. Il y a des responsabilités internationales
en cause. L’épilogue sera long. Moi, je ne le verrai pas je suis
un vieil homme. Mais pour ce dont je puis juger, je suis sûr qu’il
y a là matière à œuvre de justice. Parce qu’on a entendu
tellement de mensonges. Il y a eu tellement de sophistication dans
la médiatisation de la guerre emmenée par l’OTAN en Libye
au-delà, bien au-delà - oh combien au-delà - de la résolution
1973 des Nations unies, que les questions sortiront. Personne au
monde n’est en état de les étouffer, ni en Europe ni aux
États-Unis, encore moins en Israël.
France culture : Vous pensez
que les États-Unis, la Grande Bretagne et la France ont envoyé
des hommes au sol par exemple ?
Christian Graeff : Ecoutez, sur
les détails techniques on en sait beaucoup ; on en sait plus ou
moins selon les sources que l’on a. Les miennes de sources, les
sources que j’ai, m’autorisent à dire que les interventions
armées de l’Alliance, de l’OTAN, ont été considérables. Et
les simulacres, n’est-ce pas, la couverture que l’on a cherché
misérablement avec le Qatar et d’autres Émirats ou monarchies
traditionnelles arabes sont dérisoires. C’est une rigolade.
Vous avez peut-être eu
connaissance de l’ouvrage qui vient de sortir il y a quelques
jours, de Dumas et Vergès, où ils accusent : « Sarkozy sous
BHL » [1]. Voilà. Il y a là,
de façon très polémique j’en conviens, mais autant politique
que juridique … tout un argumentaire dont la CPI, peut être un
jour, aura à connaître…
France culture : Dans le droit
fil de ce que vous venez de dire, quelles sont ces questions,
incontournables à vos yeux, qu’il va falloir se poser s’agissant
du mandat de l’ONU que vous décrivez comme ayant été
outrepassé ?
Christian Graeff : Le mandat
…c’est très clair. Tout le monde le sait… on a fait une
pirouette, on a cru tromper son monde et puis … on ne dupe pas en
démocratie les esprits libres. Les esprits serfs c’est autre
chose. Les médias sont au centre du débat. Dans ce débat
national, dans ce débat culturel, civilisationnel, qui trompe qui
?
(*) Entretien retranscrit presque mot
à mot par Silvia Cattori (journal de France culture du 20 octobre
à 18h00)
[1] Voir :
http://livre.fnac.com/a3699392/Roland-Dumas-Sarkozy-sous-BHL