Karachi : le juge conforte la piste des retraits en liquide des banques suisses.
Les juges Roger Le Loire et Renaud van Ruymbeke, qui enquêtent sur des fonds détournés en marge de contrats d’armement, lesquels auraient pu contribuer au financement de la campagne d’Edouard Balladur en 1995, tentent d’identifier la provenance des dix millions de francs versés en espèces le 26 avril 1995 sur le compte du candidat Balladur.
Ils s’intéressent également aux conditions d’achat d’une résidence secondaire en 1996, par l’ancien premier ministre. Ils disposaient, jusqu’à présent, des déclarations d’Hélène Gaubert, l’épouse de Thierry Gaubert. Ce proche de Nicolas Sarkozy et de Nicolas Bazire, deux pivots de la campagne Balladur, doit être jugé à partir du 8 février 2012 dans le procès lié aux détournements de fonds dans le 1 % logement.
Mme Gaubert avait notamment fait état de voyages effectués par son époux en Suisse, dans les années 1990, en compagnie de l’homme d’affaires Ziad Takieddine. « Il allait chercher des espèces pour les remettre à Nicolas Bazire », avait-elle notamment indiqué au Monde, le 24 septembre.
Nicola Johnson, la compagne de Ziad Takieddine, avait conforté ces accusations, en précisant devant les juges que MM. Takieddine et Gaubert se rendaient fréquemment à Genève pour y rencontrer le banquier Mauricio Safdié, d’où ils revenaient avec des « valises pleines d’argent ». Un coffre aurait ainsi été loué au nom de M. Gaubert.
En possession de ces informations, le juge Van Ruymbeke a adressé aux autorités judiciaires suisses le 9 juin une commission rogatoire internationale, qui vient tout juste de rentrer au dossier. Interrogé par la justice suisse le 24 octobre, M. Safdié, qui était en 1995 l’un des responsables de la banque éponyme, s’est rappelé les visites de M. Gaubert :
« Je ne me souviens plus des raisons pour lesquelles il souhaitait ouvrir un compte (...), il a simplement demandé que le compte soit ouvert au nom d’une société pour ne pas qu’il soit ouvert à son nom. » Présentant son ancien client comme « une personne très discrète qui parlait peu », M. Safdié a assuré : « Il est exact qu’il est venu plusieurs fois à la banque pour retirer des sommes en liquide. Il me téléphonait avant pour m’avertir. (...) Je ne crois pas qu’il m’ait dit ce qu’il entendait faire avec le liquide qu’il retirait ainsi. » Le banquier a précisé ne pas avoir rencontré M. Takieddine.
D’après les renseignements recueillis par la justice suisse, de fortes sommes d’argent auraient été décaissées au printemps 1995. Ainsi, le mardi 2 mai 1995, à cinq jours du second tour de l’élection présidentielle, 497 500 francs sont versés sur le compte de M. Gaubert. Le lendemain, cette somme est transférée vers une fiduciaire. D’après les documents bancaires transmis par la Suisse, plus de dix millions de francs ont transité sur ce compte entre 1995 et 1998, sans que l’on en connaisse la provenance ni la destination.
Tant Nicolas Bazire que Thierry Gaubert, entendus récemment par les magistrats, ont réitéré leurs dénégations. M. Takieddine dément aussi le rôle qu’on lui prête. M. Bazire, actuel directeur général de LVMH, auditionné le 24 novembre, avait souhaité bénéficier du statut de témoin assisté, mais le juge Van Ruymbeke n’a pas accepté de lever sa mise en examen pour complicité de recel d’abus de biens sociaux.
A la lecture du procès-verbal d’audition, il apparaît que le magistrat accorde du crédit aux déclarations convergentes de Mmes Takieddine et Gaubert, surtout en les rapportant aux informations ramenées de Suisse.
« Je nie formellement toute remise d’argent par l’un ou par l’autre », a indiqué M. Bazire, en référence à MM. Gaubert et Takieddine.
M. Bazire a tenté de discréditer les témoignages des deux femmes, toutes deux engagées dans des procédures de divorces houleuses. « Quel meilleur moyen que d’impliquer par mon intermédiaire dans une affaire politico-judiciaire qui dépasse très largement leurs différends privés ? (...) Je pense que je suis l’instrument idéal pour impliquer leur mari dans une affaire qui les compromet publiquement », a déclaré M. Bazire.
Il a contesté l’hypothèse formulée par les juges sur la provenance suspecte des dépôts en liquide sur le compte de campagne du candidat Balladur. « Il n’est pas envisageable que cet argent provienne ou de commissions ou de fonds spéciaux. Cet argent provient à l’évidence de nombreux soutiens dont bénéficiait le candidat à l’époque qui partait favori. Je n’ai pas participé, ni à leur collecte, ni à leur maniement », a-t-il argumenté, renvoyant la responsabilité du financement à René Galy-Dejean, trésorier de la campagne.