Le procès d’Al Allaj a duré 10 ans. Son fameux « Je suis la vérité » est resté comme le prétexte suprême et imparable de sa culpabilité... pour ceux qui pensaient qu’il n’était de toutes façons que le petit fils d’un Zoroastrien. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase... pourrait-on dire.
Mais, surtout, par sa condamnation, c’est toute l’intelligence, la poésie, la finesse théologique soufi qui a alors été éradiquée du devant de la scène. Lorsque Dieu est Amour en essence, alors toute personne rejoignant cette essence peut dire « Je suis la vérité. » Ce n’est pas très difficile à comprendre... pour celui qui veut bien entendre.
Pour le soufisme, « Mahomet est le sceau des prophètes et Jésus est le sceau des saints ».
Donc, si on recherche la sainteté il faut imiter JC. Les soufis
reconnaissent en JC une perfection et une intelligence théologique plus
grande que celle de Mahomet. Cette pensée libérale de l’Islam a été
présente jusqu’au Xe siècle... époque où un courant de l’Islam (le
mutazilisme) pensait que le Coran était un livre inspiré de création
humaine et non pas incréé de Dieu.
On comprend que cela soit inacceptable pour un musulmans qui n’est pas de cette école.
Il y a 4 grandes écoles juridiques en Islam. L’école juridique la pire, le Wahabisme, est celle qui est la plus répandue aujourd’hui. On la reconnait facilement à l’archaïsme holiste de son discours. Pour lui, toute science humaine est hérétique : l’Histoire en premier ! Le Coran est la photocopie parfaite du Livre qui est au Ciel : la Mère du Livre. L’Islam est donc la religion archétypique et naturelle de l’humanité : « Un enfant naît musulman et ce sont ses parents qui le pervertissent avec de fausses doctrines. » comme il est expliqué dans les hadiths.
Pour un soufi, il faut aimer l’Homme au plus profond de soi, dans sa totalité et dans son Histoire propre, -là où, peut-être, Dieu nous donne à aimer d’un amour que nous ne possédons pas- pour pouvoir dire : « Je suis la Vérité »... « ...c’est la parole la plus humble qui soit. L’orgueil serait de dire : »La vérité, je l’ai. Je la détiens, je l’ai mise dans l’écrin d’une formule. La vérité n’est pas une idée mais une présence. Rien n’est présent que l’amour..." Christian BOBIN L’Homme qui marche.
Je ne me
connais pas moi-même. Je ne suis pas chrétien, pas juif, pas musulman. Je ne
suis ni de l’Est, ni de l’Ouest, ni du sol ferme, ni de la mer. Je ne suis pas
de l’atelier de la nature, ni des cieux tournants. Je ne suis pas de la terre,
ni de l’eau, ni de l’air, ni du feu. Je ne suis pas de la cité divine, pas de
la poussière, pas de l’être ni de l’essence. Je ne suis pas de ce monde et pas
de l’autre, pas du paradis, ni de l’enfer. Je ne suis pas d’Adam ni d’Eve, ni
de l’Eden ou des anges de l’Eden. Mon lieu est le sans lieu, ma trace ce qui ne
laisse pas de trace ; ce n’est ni le corps, ni l’âme, car j’appartiens à l’âme
du Bien-aimé.
J’ai abdiqué la
dualité, j’ai vu que les deux mondes sont un. C’est Un que je cherche, Un que
je contemple. Un que j’appelle. Il est le premier, il est le dernier, le plus
extérieur et le plus intérieur. Je ne sais rien d’autre que : « Ô Lui » et « Ô
Lui qui Est ».
Je suis enivré
par la coupe de l’amour, les mondes ont disparu de mes regards ; je n’ai
d’autres affaires que le banquet de l’esprit et la beuverie sauvage. Si j’ai
dans ma vie, passé un instant sans Toi, à partir de cette heure et de ce
moment, je veux regretter ma vie. Si je puis gagner dans ce monde un instant
avec Toi, je veux fouler aux pieds les deux mondes et danser en triomphe pour
l’éternité.
Djalâl ad-Dîn Rûmî