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Commentaire de negravaski

sur Télévision sans frontières ni barrières de langues


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negravaski (---.---.64.43) 17 octobre 2005 17:03

Je réponds au commentaire de Chocolat bleu du 15 octobre, mais je n’ai pas eu le temps de lire les nombreux textes qui ont été affichés après celui-là.

Salut, Choco ! J’espère que cela ne vous vexera pas si je vous tutoie (« Je dis tu à tout ceux que j’aime, même si je ne les connais pas », disait Jacques Prévert dans son célèbre « Barbara »). Tu dis : « il est urgent de voler l’espéranto à l’espérantisme et de l’offrir à l’humanité. » Tout à fait d’accord. Une des raisons de ma foi en l’espéranto, c’est que voilà plus de cent ans qu’il survit aux espérantistes.

J’en viens maintenant à la règle n° 15. Tu lui fais dire ce qu’elle ne dit pas. Zamenhof voulait éviter que les personnes qui adhéraient à son projet se croient limitées au vocabulaire du Fundamento. D’où cette règle qui autorise l’importation de mots étrangers. En fait, elle ne fait que codifier ce qui se passe dans presque toutes les langues vivantes. Si on regarde comment la terminologie moderne fonctionne dans des langues comme le turc, le japonais, le néerlandais, le persan, l’hébreu et bien d’autres, on s’aperçoit que cela fonctionne exactement comme en espéranto. Ou on exprime le concept nouveau en formant un mot avec les ressources de la langue, ou on emprunte le mot « international » EN L’ASSIMILANT AUX REGLES DE L’ORTHOGRAPHE ET DE LA GRAMMAIRE de la langue en question.

Tu affirmes : « Soit elle [la 15e règle] est d’application et l’esperanto n’est pas vivant, soit elle ne l’est pas, et l’espéranto se dissout. » Je ne comprends pas cette alternative. Il suffit de vivre dans le monde de l’espéranto - ou d’étudier cette langue en linguiste - pour se rendre compte qu’elle est vivante et qu’elle ne s’est pas dissoute, bien que la règle n° 15 soit appliquée depuis le début. Une des raisons que tu en donnes est que « Tout mot qui doit entrer dans l’espéranto doit se plier à l’orthographe, (donc à la phonétique), et à la flexion de la langue ». Eh oui, c’est comme cela que ça se passe quand des langues sont en contact et s’empruntent des éléments de leurs lexiques. C’est vrai, le français moderne fait exception. Il y a eu trois époques dans son histoire : l’époque où, comme dans toutes les autres langues, les mots étaient complètement assimilés (riding coat > redingote), l’époque où les mots n’étaient plus assimilé que phonétiquement (shampooing ; 50 ans plus tôt, on aurait écrit *champouin*) et l’époque actuelle, où les mots ne sont presque plus assimilés même phonétiquement ; ils le sont tout de même un peu ; personne ne prononce le /ar/ de *parking* à l’anglaise ou à l’américaine. Il te déplaît que « Tout mot [entrant] dans l’espéranto [doive] se plier à l’orthographe, (donc à la phonétique), et à la flexion de la langue ». Mais il en est ainsi dans pratiquement toutes les langues, l’anglais et le français moderne étant deux des rares exceptions.

Par exemple, là où nous écrivons *football*, on écrit *futbol* en espagnol, et en allemand « jungle » s’écrit *Dschungel*. Certaines langues assimilent même les noms propres. En croate, « Shakespeare » s’écrit *Šekspir*. En parcourant des textes dans des langues non-indoeuropéennes, on glane très vite une série de mots internationaux que ces langues ont assimilés comme le fait l’espéranto, donc « en se pliant à l’orthographe et à la flexion de la langue ».

Voici quelques exemples que j’ai ramassé sur Internet en quelques minutes : indonésien : *organisasi*, *internasional*, *demokrasi*, *manifesto* ; turc : *politik*, *kültüre*, *ekonomik*, *otomobil*, *orijinali* ; swahili : *teknolojia*, *demokrasia*, *sinema*, *kompyuta*.

Si Windows devient *Vindozo* en espéranto, c’est parce que c’est ce à quoi conduisent les règles de l’assimilation qui font de l’espéranto une langue homogène. En russe aussi le *w* devient *v*, et si on emploie le mot au génitif, on a *vindoza* qui ressemble étrangement au mot espéranto. Il se trouve que l’espéranto est foncièrement une langue slave, comme le montre son orthographe et bien des aspects de sa grammaire et de son style. Dans les langues slaves et baltes, on transcrit un *w* anglais par *v* : croate, tchèque *tramvaj*, letton *tramvajs*, lituanien *tramvajus* (="tramway"). Ce que tu appelles << le cauchemar orthographique, vu l’absence de q,w,y,x, et la présence de c (« ts ») et « c accent grave » (tch) >> et « défiguration des mots » est un système qu’appliquent à peu près toutes les langues non-occidentales. C’est très différent de ce que font le français depuis 150 ans et l’anglais depuis toujours (l’anglais est une langue qui n’assimile pas, d’où son incroyable hétérogénéité), mais pourquoi s’aligner sur ces deux langues ? Le systéme des langues baltes et slaves, qui est celui de l’espéranto, n’a aucune conséquence gênante pour ces peuples. Si l’on a de la tolérance pour toutes les langues, y compris celles-là, on doit en avoir aussi pour l’espéranto, qui est né dans le même coin, et qui, comme tout le monde, est marqué par ses origines.

Tu dis que « la 15è règle tue la connotation ». C’est peut-être ton expérience, ce n’est pas la mienne. *Radaro* en espéranto a à peu près les mêmes connotations que *radar* en français, il sert en tout cas aux mêmes emplois métaphoriques. De toute façon, du moment qu’une langue est utilisée par un groupe, les mots acquièrent forcément des connotations. Celles-ci varient selon les groupes. « Commune » et « bourgeois » n’ont pas du tout les mêmes connotations en Suisse et en France.

Autre passage qui m’ahurit : « je parle d’un discours dominant, un discours qui, sous des dehors humanistes (défense de la diversité linguistique) est en réalité l’excellent terreau d’une extrème-droite d’un nouveau type. » Je marine à longueur de journée dans le monde de l’espéranto et je ne reconnais pas du tout le milieu que je connais dans ce que tu en dis là. Nous devons avoir des expériences très différentes. C’est peut-être la preuve que c’est un univers bien plus divers qu’on ne le croit en général. Quoi qu’il en soit, cette façon que tu as d’en parler révèle une rogne contre l’espéranto qui, pour respectable qu’elle soit, t’empêche de le situer objectivement. Heureusement, c’est tellement visible qu’aucun lecteur de tes textes n’en sera influencé. Ton parti-pris négatif est trop évident.


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