« Nouvelles de la Faculté des Lettres de la Manouba (Tunisie) 3/3
(Tunis, le 1 février 2012)
Par Habib Mellakh
universitaire, syndicaliste
Département de français, Faculté des Lettres de la Manouba
(suite et fin)
La position doctrinale et politique du ministre
Si l’interdiction du niqàb dans l’enceinte des institutions d’enseignement est une décision des plus sensées au niveau pédagogique et sécuritaire, que la position doctrinale d’Ennadha sur la question n’est pas une position dogmatique, que le ministre de l’enseignement supérieur ainsi que d’autres dirigeants nadhaouis sont convaincus du bien fondé de la position des enseignants, qu’est ce qui explique que le ministre diffère continuellement la publication d’un texte interdisant le port du niqàb dans les cours, pendant les examens et pendant les séances d’encadrement dans toutes les institutions universitaires alors qu’il l’avait promise depuis le 4 janvier dernier au secrétaire général de la FGESRS avant de se rétracter dans l’émission Saraha Raha le 7 janvier ?
La promesse s’expliquerait-elle par la pression ce jour-là du rassemblement des universitaires ? Qu’est-ce qui justifie le revirement annoncé au cours de l’émission Saraha Raha de Hannibal TV ? C’est l’absence de constitution, explique-t-il, et il subordonne la publication d’une loi ou d’une circulaire dans ce sens à la promulgation de la constitution. Il revient à la charge le 25 janvier dans un entretien accordé au journal Al Maghrib où il précise : « Nous n’avons pas le droit de publier de loi dans ce sens parce quelle pourrait entrer en contradiction avec la nouvelle constitution. Nous attendrons la fin des travaux de la Constituante. Quand la Constituante aura achevé la rédaction de la constitution, nous promulguerons des lois et publierons des textes à la lumière des dispositions constitutionnelles ». Cette déclaration est surprenante parce qu’elle suppose que notre ministre est capable de prédire l’avenir et inquiétante parce qu’elle laisse entendre qu’il fera perdurer la situation de blocage jusqu’à la promulgation de la prochaine constitution avec les risques certains de nouvelles perturbations des cours et des examens. Un argument pareil pourrait paralyser la fonction législative de l’Assemblée constituante et le travail du gouvernement. Cette déclaration semble en outre se contredire avec la consultation soumise au tribunal administratif le 30 décembre 2011 au sujet du port du niqàb. Il est inutile en effet de demander l’avis de cette juridiction sur ce problème quand on affirme simultanément qu’on ne pourra pas légiférer en l’absence de constitution. Une autre énigme : pourquoi demander l’avis d’une cour qui a déjà statué sur la question et qui a publié un arrêt datant du 7 juillet 2011 déboutant une étudiante ayant présenté une plainte pour abus de pouvoir parce qu’elle n’a pas été autorisée par la Faculté des Sciences de Tunis en raison du port du niqàb à passer ses examens et un autre arrêt datant du 30 décembre 2011 rejetant le recours d’une étudiante de la Faculté des Lettres de Sousse empêchée de s’inscrire pour le même motif ? La cause n’est-elle pas entendue ?
Monsieur Moncef Ben Salem ne saurait ignorer la fonction législative de la Constituante. Il sait pertinemment qu’on peut publier aujourd’hui un texte réglementaire sur le niqàb d’autant plus que ce qui lui est demandé, c’est d’appuyer les dispositions actuelles en vigueur et de demander à tous les contestataires de s’y soumettre ne serait-ce que parce qu’elles recueillent l’adhésion de l’extrême majorité des parties prenantes dans le conflit. Madame Sihem Bady, la ministre de la femme qui a demandé à l’infime minorité des étudiantes intégralement voilées de se plier à la volonté de la majorité des étudiants et de ne pas hypothéquer leur avenir, l’a bien compris. Monsieur le Ministre ne veut pas publier de texte comme le montrent les sous-entendus liés à la déclaration faite au quotidien Al Maghrib. Il se réfère à l’absence de constitution avec l’idée de derrière la tête de soumettre les codes vestimentaires aux dispositions de la future constitution. En d’autres termes, si une nouvelle disposition constitutionnelle fait de la religion la source de la législation, les codes vestimentaires devront alors changer pour se conformer au nouveau fait juridique et le port du niqàb sera légitimé. Ce serait une première dans notre pays où les codes vestimentaires sont habituellement définis par les professions en toute indépendance.
Cette déclaration est révélatrice des intentions des nahdhaouis, ou du moins de l’une de leurs factions, de faire de l’Islam tel qu’ils le comprennent, la source de la législation. On ne m’objectera pas qu’Ennadhaa a sur le niqàb des divergences doctrinales avec les partisans du voile intégral. Mais elles sont secondaires. Pour Ennadha, ces islamistes sont des alliés politiques, idéologiques et électoraux naturels avec qui ils doivent composer et dont ils doivent prendre en compte les aspirations alors que le CPR et Ettakatol ne sont que des alliés stratégiques. Sommes-nous dans un processus révolutionnaire censé renforcer les acquis, réaliser les objectifs de notre révolution citoyenne et renforcer la république citoyenne que nous commençons à construire ou sommes-nous sur la pente raide qui risque, pour des raisons de politique politicienne, de nous mener inéluctablement – si on n’y prend garde– vers un régime liberticide ?
Répondre à cette question est prématuré mais il est certain qu’on n’est pas sorti de l’auberge. C’est ce que montre malheureusement l’analyse de la situation. La position gouvernementale actuelle risque d’exacerber la polémique, les contradictions et d’encourager une rébellion contre un code vestimentaire scolaire qui n’est pas perçu dans le monde entier comme une atteinte à la liberté personnelle et une désobéissance à un règlement intérieur adopté par des instances élus démocratiquement en juin 2011, au lendemain de la révolution tunisienne et à qui le législateur donne des prérogatives de réglementation. L’attitude d’un ministre refusant de publier un texte qui pourrait débloquer la situation fait d’un conflit créé de toutes pièces par une infime minorité qui ne reconnaît pas les lois du pays et qui veut imposer son diktat, une affaire d’état qui mobilise toutes l’énergie des universitaires, des syndicalistes, de la classe politique, des animateurs de la société civile et qui fait perdre un temps fou et énormément d’argent au pays. Jusqu’à quand une minorité minuscule estimée selon le ministre à 90 étudiantes sur une population universitaire de 2800000 jeunes filles (cf. Al Maghrib du 25 janvier 2012), dont le combat n’a aucune légitimité au regard du droit tunisien et du droit international et encadrée par un groupuscule d’étudiants, tellement réduit qu’il ne peut pas se mobiliser ailleurs qu’à la FLAHM, continuera-t-elle à perturber impunément la marche d’une institution dont le seul tort est de défendre avec une grande rigueur les règles pédagogiques et la suprématie de la loi ? ».
Salah HORCHANI
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