« Nouvelles de la Faculté des Lettres de la Manouba (Tunisie)
(Tunis, le 5 février 2012)
Par Habib Mellakh
universitaire, syndicaliste
Département de français, Faculté des Lettres de la Manouba
L’université tunisienne et le tribunal administratif solidaires de la Manouba
Une propagande malveillante continue à présenter la Faculté des Lettres, des Arts, des Humanités de la Manouba comme une institution rebelle, intransigeante ou très maladroite dans la gestion de l’affaire du niqàb quand les détracteurs qui participent à cette campagne de dénigrement décident d’être moins virulents dans leurs critiques. Faisant la politique de l’autruche et niant le réel, ces contempteurs prétendent qu’elle est isolée, privée du soutien des acteurs de la vie politique et de la société civile et des autres institutions considérées soit comme permissives ou « légalisatrices » du port du niqàb et, dans tous les cas, indifférentes à ce qui se passe à la Manouba. Ils occultent, de ce fait, les prises de position du président de la république, du président de l’assemblée nationale constituante, de plusieurs partis politiques, de la ministre de la femme et de la famille ( l’affaire du niqàb remettant en question le statut de la femme), de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme, de l’UGTT, de l’URT de la Manouba, du bureau exécutif de la FGESRS, de son conseil des cadres et les actions syndicales menées pour revendiquer la publication d’un texte juridique interdisant le port du niqàb dans les institutions d’enseignement supérieur, telles que la grève générale de soutien organisée par les universitaires, le 1 décembre 2011, leur rassemblement le 1 décembre 2011 et le 4 janvier 2012 à l’appel de leur fédération.
Les évènements survenus lors des derniers jours sont venus confirmer ce soutien et apporter un cinglant démenti à nos détracteurs malveillants ou mal informés. La publication par la presse de la position commune des quatre facultés de médecine du pays au sujet du niqàb, prise depuis le 2 novembre dernier mais ignorée du grand public et dont j’ai longuement rendu compte dans ma dernière chronique, la position des cinq doyens des facultés des lettres et sciences humaines du pays, réunis le 31 janvier dernier, qui exigent des étudiantes de se dévoiler le visage dans l’enceinte de l’établissement montrent un appui continu à la FLAHM. Elles prouvent aussi qu’en matière d’interdiction du niqàb, il y a plus royaliste que le roi et que la FLAHM a fait preuve de plus de « tolérance » ( ou a été plus laxiste du point de vue de ceux qui sont plus à cheval sur les principes) que les autres établissements qui ont généralisé cette interdiction à tous les espaces alors que la FLAHM la limite aux salles de classe, d’examen et d’encadrement.
Par ailleurs, les gens qui focalisent sciemment sur la FLAHM, présentée comme opposée au niqàb parce que c’est un foyer de mécréants, oublient ou feignent d’oublier qu’avant la prise en otage du doyen le 28 novembre 2011, date de la médiatisation de l’affaire du niqàb et du début de la crise à la Manouba, il y a eu un précédent à la Faculté des Lettres de Sousse qu’ un groupe d’assaillants a attaquée au début de l’année universitaire parce que son administration a refusé d’inscrire à la faculté l’étudiante Maroua Saïdi qu’il a été impossible d’identifier en raison de son port du niqàb et de son refus de se découvrir le visage. Le cas de cette étudiante a été soumis au conseil scientifique qui a entériné la décision de l’administration, « étant donné les impératifs de la transmission du savoir qui exige du professeur qu’il connaisse personnellement ses étudiants, qu’il n’ y ait aucun obstacle à cette connaissance aussi bien dans un but d’évaluation du travail que de formation » selon la formule utilisée dans le rapport du doyen de la Faculté des Lettres de Sousse envoyé au tribunal administratif, saisi par l’étudiante pour abus de pouvoir. Dans son arrêt datée du 28 décembre 2011, cette juridiction déboute Maroua Saïdi de son recours visant l’annulation de la décision de la faculté parce que la liberté vestimentaire « à l’image de toutes les libertés individuelles ou publiques est soumise à l’obligation de tenir compte de l’organisation des services publics et de leur marche normale » et que le refus de l’inscription « s’inscrit dans le cadre des dispositions réglementaires en vigueur et des impératifs liés au bon fonctionnement du service public et à la garantie des intérêts des étudiants eux-mêmes » dans une allusion claire du juge à l’interaction pédagogique indispensable à la réussite de la formation des apprenants .
Les détracteurs amnésiques ne se souviennent plus que, bien avant la survenue des incidents de la Faculté des Lettres de Sousse et de la FLAHM, la Faculté des sciences, des mathématiques et des sciences physiques de Tunis a interdit pendant l’année universitaire écoulée à l’étudiante Sana Akdiri, inscrite en 3ème année de la licence fondamentale de physique, de suivre les cours et de passer les examens à cause du port du niqàb. Pourtant l’étudiante s’est pliée à la décision des autorités universitaires parce qu’elle n’était pas soutenue par ce même groupuscule qui a semé la panique à la Faculté des Lettres de Sousse au début de l’année universitaire et qui perturbe depuis plus de deux mois le fonctionnement normal de la FLAHM, mettant sous tension constante et agressant souvent son personnel et ses étudiants.
La décision de la faculté des sciences de Tunis a été validée le 7 Juillet 2011 par le tribunal administratif qui a pris en compte les arguments présentés par son doyen au sujet de la formation théorique et pratique reçue par les étudiants et les risques de fraudes liés au niqàb. L’activité d’enseignement, lit-on dans l’arrêt rendu par le tribunal administratif, citant le rapport du doyen, exige pendant les cours théoriques et les séances de travaux pratiques « une interaction pédagogique avec l’enseignant et la participation en classe », rendues impossibles par ce voile qui couvre le visage. Les séances de TP supposent en outre le port d’un uniforme règlementaire et l’interdiction de tout vêtement « susceptible de présenter un danger pour l’expérimentateur » dans les laboratoires, selon les termes du même arrêt.
A côté de sa dimension pédagogique, la question du niqàb a une charge hautement idéologique et politique difficile à assumer par les institutions d’enseignement supérieur, qui n’ont pas voulu s’aventurer sur un terrain aussi glissant, parce qu’elle concerne le statut de la femme tunisienne, objet des débats les plus passionnés et les plus contradictoires depuis la Révolution. Ni la FLAHM, ni la faculté des sciences de Tunis, ni la Faculté des Lettres de Sousse n’ont voulu la médiatiser, jalouses qu’elles étaient de leurs prérogatives et pour qu’elle ne soit pas montée en épingle par les hommes politiques. Ce sont les violences exercées par le groupuscule qui a sévi aussi bien à Sousse qu’à la FLAHM, particulièrement le 28 Novembre et le 6 Décembre 2011 qui ont porté l’affaire devant les médias. Certaines institutions universitaires avaient même adopté un profil bas face à la présence de quelques étudiantes intégralement voilées comme le montre par exemple cette information publiée le 6 Juin 2011 par le journal électronique Leaders qui reprochait à l’administration d’un établissement de Tunis d’avoir permis à des étudiantes dont le visage était couvert par un niqàb de passer les examens malgré l’opposition du conseil scientifique et du syndicat. Et le journal de se faire l’écho des protestations énergiques d’un enseignant ayant une ancienneté de plus de 33 ans dont il ne cite pas le nom et qui a adressé une lettre au ministre de l’enseignement supérieur où il écrit en substance : « j’avoue que je ne peux pas dispenser pleinement mon cours quand je ne sais pas à qui je m’adresse. J’ai toujours veillé à ce qu’il y ait une interaction pédagogique entre mes étudiants et moi-même et je tiens à continuer à le faire. Le fait de m’adresser à des visages masqués me gêne énormément et fait que les conditions de travail ne sont plus propices à un enseignement d’un niveau scientifique valable ».
Pour qui suit la chronologie des évènements, il est évident que le sit-in de la Manouba et les violences qui l’on suivi ont été la conséquence logique des évènements de la faculté des sciences de Tunis, de la faculté des lettres de Sousse où les doyens ont appliqué rigoureusement le règlement et de la décision du tribunal administratif rendue le 7 Juillet 2011. Devant l’obstination des universitaires à défendre le bon sens pédagogique et les prérogatives du conseil scientifique, que restait-t-il à faire sinon à recourir à l’argument de la force après la faillite du système de défense des partisans du niqàb, incapables de convaincre par la force de l’argument. Et si ces derniers ont choisi la FLAHM, c’est pour faire accroire auprès de l’opinion publique qu’ils sont victimes d’une discrimination politique et religieuse parce que le doyen de cette institution est adhérent à un parti politique moderniste et que ses enseignants sont des mécréants qu’il faut également combattre tout simplement parce que les islamologues de la FLAHM étudient l’Islam avec les outils de la linguistique, des sciences sociales et de la psychanalyse et qu’ils font des travaux d’exégèse non conformes à la doxa. Comme le dit l’adage : « Qui veut tuer son chien, l’accuse de la rage ».
Cet historique est révélateur du conflit entre le droit exercé par les universitaires, en vertu de la loi qui les autorise à « légiférer » sur les questions scientifiques et pédagogiques, droit qui s’est manifesté dans l’interdiction du niqàb pour des raisons légitimes et légales approuvées par le tribunal administratif et l’arbitraire d’un groupuscule qui ne reconnaît pas ces prérogatives et qui est appuyé par un ministre dont l’attitude porte à croire qu’il rechigne à protéger les enseignants et qui refuse de valider par une circulaire leurs positions.
Le ministre de l’enseignement supérieur et beaucoup de dirigeants nahdhaouis ne restent pas en effet insensibles à l’image de la victime que veulent se forger auprès de l’opinion publique les sit-ineurs de la Manouba. Dans une déclaration faite au Nouvel Observateur publiée dans le numéro du 2 février 2012, il reprend comme un leitmotiv l’idée qu’on ne peut pas légiférer sur le niqàb en absence d’une constitution, idée déjà développée dans l’émission d’Hannibal TV Saraha Raha et dans le quotidien Al Maghrib. Il n’exclut pas implicitement que les prérogatives des conseils scientifiques puissent être confisquées si la future constitution légalisait le niqàb et il exprime sa sympathie à l’égard des sit-ineurs de la Manouba : « Je trouve qu’ils se comportent de manière civilisationnelle(sic !). Il ne faut pas être dur avec eux. C’est dommage que certaines filles soient empêchées de passer leurs examens parce qu’elles portent le niqàb. Je m’étonne que des gens qui font partie de l’élite de la Tunisie soient incapables de gérer une petite affaire. D’autant que leur refus d’accepter des étudiantes voilées se trouvera peut-être un jour contraire à des lois futures. Pour le moment, il suffirait qu’elles suivent les cours dévoilées en se tournant vers un mur et qu’elles ne regardent pas le professeur. Et pour les examens, que des femmes contrôlent leur identité ». Les rôles sont inversés. Le bourreau devient une victime. Les agressions sont niées par omission et les agressés deviennent une élite incapable de gérer une aussi petite affaire que celle du niqàb, ce qui leur vaudra, si le ministre reste au gouvernement, la confiscation de leurs prérogatives pour incompétence (sic !). Pas une seule tentative de réfutation des raisons pédagogiques ayant motivé le refus des enseignants ni de remise en question du verdict et des attendus du tribunal administratif ne sont esquissées dans les déclarations du ministre. Autre indice d’un monde à l’envers : c’est la première fois dans notre pays qu’un gouvernement montre autant d’indulgence sinon de bienveillance face aux sit-ineurs au point qu’ils ont été pendant un mois les seuls maître à bord à la faculté et qu’ils se sont plu impunément pendant le mois restant à perturber ses cours et ses examens. Curieuse situation que celle d’un pays où le gouvernement regarde faire les violeurs des règlements universitaires et du code pénal sans réagir et où on adopte des règles de droit inédites en refusant d’appliquer la loi en vigueur sous prétexte qu’elle pourrait changer dans une année !
C’est ce contexte qui explique aujourd’hui la visibilité des positions de plusieurs institutions universitaires et la publicité qu’ils font à leurs démarches conjointes. La « fuite » relative à la position commune des doyens des quatre facultés de médecine du pays contre le port du niqàb dans leurs institutions, la démarche récente des cinq doyens des faculté des lettres et des sciences humaines du pays, réunis pour réitérer leur interdiction du voile intégral dans l’enceinte de leurs établissements et dont les résultats ont été répercutés par les médias relèvent d’une volonté d’envoyer un signal fort au gouvernement : les universitaires sont solidaires de la FLAHM et ne sont plus prêts à accepter la complaisance du gouvernement à l’égard des sit-ineurs. A cet égard, un évènement historique, qui est passé inaperçu, a eu lieu à la Faculté de Médecine de Tunis le 1 décembre 2011. Les enseignants de cette faculté ont suivi presque massivement ce jour-là le mot d’ordre de grève lancé par le bureau exécutif de la FGESRS pour soutenir la FLAHM, alors qu’ils ne sont pas affiliés à ce syndicat !
Ce message ainsi que les décisions du tribunal administratif ont conforté les enseignants de la Manouba dans le bien fondé de leurs décisions. C’est ce qu’ont rappelé les enseignants réunis en assemblée générale commune le jeudi 2 février. Ils ont à nouveau exprimé leur colère face à l’inertie et aux duperies du gouvernement et ils ont salué la détermination de la FGESRS à prendre des positions très fermes dictées par le fait que les négociations avec le ministère de tutelle au sujet de l’affaire du niqàb semblent avoir abouti à une impasse.
Dure, dure sera la reprise si le ministère ne prend pas conscience que les universitaires sont plus que jamais déterminés à défendre les compétences qui leur sont consenties par la loi et que le statu quo ne fera qu’envenimer la situation non seulement à la FLAHM mais aussi dans toutes les institutions du pays ! ».
Salah HORCHANI
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