Toutes les langues ne se valent pas.
Selon quel critère ?
Celui de la perfidie.
Et la langue française est reine.
Avec le mot devoir, les français peuvent tirer sur l’élastique de son sens et de son enveloppe pour établir son droit à tuer n’importe qui, n’importe où
Du mot devoir le français permet de passer au mot droit et réciproquement.
Pareil avec le mot défendre que nous savons très bien tirélastiquer jusqu’à ce qu’il rejoigne le mot attaque.
Pareil avec les mots sécurité et protection, bien entendu.
Je crois que cet élasticisme vient en droite ligne de notre devise idéaliste.
Liberté, égalité, fraternité nous obligent trop à n’agir que selon quelque principe humaniste.
Nous aurions comme devise « Qui s’y frotte s’y pique » ou « Nous devons régner » nous n’aurions pas été obligés de déguiser toutes nos agressivités sous des voiles archangistes.
Nous étions coincés pour guillotiner quelqu’un sous la devise Liberté, Egalité, Fraternité.
Il nous fallait forcément développer l’art de tuer tout en ayant l’air de caresser. Et nous avons développé l’élasticisme. Il n’y a pas que la peinture et la sculpture qui se sont retrouvées mises en boîte par nos Picasso et autres Buren. Les mots aussi ont morflé sous la férule de nos virtuoses du verbe.
Tiens, Rimbaud et le coquelicot sur la chemise blanche du soldat endormi. C’est joli non ?
Ce talent à conjuguer le principe de l’élimination vaut à toutes les échelles, tant d’un couple, que d’une famille, que d’un immeuble que d’un quartier, que d’une ville, que d’une ville, que d’une région, que d’un pays, que d’un continent, que de la Planète
Bien entendu, Kipling aussi, avec l’anglais, savait exploiter l’élasticité des acceptions, tout comme Jules Ferry. Les Anglais ne sont évidemment pas à la traîne sur ce plan du classement. Les Allemands non plus qui savent très bien affirmer que « Arbeit macht frei ». Mais les Français sont fichtrement doués et se situent certainement dans le peloton de tête des élastistes du sens.
Au point qu’il n’y a plus de sophisme en France. Chaque mot voulant dire ce qu’on veut, on peut pondre n’importe quel slogan, pourvu qu’il comporte une figure de style, il fait florès ; Avec « Sous les pavés la plage » on peut incendier la cité. Avec « Travailler plus pour gagner plus » on peut mener les gens où l’on veut.
Mais tout ça n’est rien ou sans danger pour quiconque si l’on ne considère pas à la suite le rapport des forces.
C’est une chose de dire qu’on a le devoir d’éliminer son voisin de palier et de le faire enfermer en invoquant sa sécurité, c’est autre chose d’en avoir les moyens.
Cette réédition par Claude Guéant des assertions de Jules Ferry, considérée dans le périmètre seulement interne, national, ouvre en grand la porte à toutes les éliminations puisqu’il suffit de faire glisser le sens du mot civilisation vers coutume, culture, religion, moeur, manière, comportement et on se retrouve avec des manières de respirer, d’écrire ou de manger qui valent moins que d’autres.
Considérée dans un périmètre extra national, l’assertion de Guéant ne peut que pousser tous les autres pays à la méfiance et à l’armement.
Il vient de lancer le genre de cercle vicieux qui ne s’éteint que par épuisement des parties (Cf la vraie première guerre mondiale qu’a été la guerre de Sept ans)
Ce moment-ci ressemble au moment où Isabelle Eberhardt avait, à 20 ans, décidé de foutre le camp d’ici pour aller vivre dans le désert. C’était juste avant que ne démarre la guerre de 14-18 où Rudyard Kipling s’était montré tellement emballé à l’idée que son fils la fasse (il n’a pas survécu 48h à son arrivée dans les tranchées)
Et en dépit des protestations que l’assertion de Guéant a provoquée, elle est clairement passée comme une lettre à la poste. Il est loin, très loin d’être désavoué par la masse. Cela grâce à l’élasticité des sens qui permet à ceux qui l’ont entendue, de la comprendre de la manière qui les arrange.
Vraiment, faire de qu’on veut des Français grâce au français est très facile