Votre premier argument, qui consiste à
dire que la plupart des Français sont favorables à l’euthanasie ne
vaut rien : lorque la peine de mort a été abolie, la majorité
aurait été favorable à son maintien et la guillotine
fonctionnerait probablement encore si on avait eu recours à la
procédure du référendum. Etes-vous favorable vous-même à la
guillotine ?
L’argument de la « dignité »
est particulièrement odieux. Est-ce à dire que ceux qui préfèrent
mourir naturellement ont un comportement « indigne »,
qu’il faut considérer qu’ils se comportent comme d’ignobles cochons
et qu’il conviendrait, de leur imposer, éventuellement contre leur
gré, une solution qui leur éviterait une déchéance répugnante.
Répugnante pour qui ?
Qui déciderait de la mort du pauvre
bougre en fin de parcours ? Lui-même ? Relisez donc la fable de La
Fontaine : « La mort et le bûcheron ». Les médecins ?
Mais leur rôle n’a jamais été de tuer, sauf dans l’Allemagne
nazie. La famille ? C’est pénible, l’agonie d’un proche, mais ça
peut l’être moins pour l’agonisant que pour les proches. Aura-t-on
désormais le droit d"éliminer autrui pour convenance personnelle ?
« L’euthanasie... enfin ! ».
Il est surprenant que quelqu’un qui parle de dignité ne voie pas ce
qu’il y a d’indigne dans ce titre aussi bien que dans les images qui
l’accompagnent. Il manque en effet un montage photographique, c’est
celui où l’on verrait votre propre tête en agonisant. C’est facile
de parler de la mort des autres, ça l’est moins d’envisager la
sienne. Cela me rappelle une pièce une pièce de Marcel Aymé : « La
tête des autres », où il est question d’un magistrat qui
vient de requérir la peine de mort et fête son succès, il est si
facile de s’accommoder de la mort « des autres ».
Il se trouvera toujours des gens que
titillera la sombre tentation d’éliminer son semblable. A la mort
d’un bourreau de la République, le ministère concerné avait reçu
un nombre considérable de lettres de motivation dont la lecture fait
froid dans le dos. Mais jamais un médecin digne de ce nom
n’acceptera de décider de l’heure à laquelle doit mourir son
patient. Il faudra recruter un personnel spécialisé, des
« tueurs ». Nul doute que la bonne conscience finirait
par trouver un euphémisme, mais l’employé resterait quand même un
tueur, pour quiconque préfère regarder la réalité en face.
Bref, votre article devrait plutôt
s’intituler « Viva la muerte ! », ce serait plus explicite : sur des questions de cette sorte, l’exaltation du « enfin ! » est particulièrement indécente.