Il est impératif que nous revoyions à la hausse l’échelle de nos valeurs
humaines. Sa pauvreté actuelle est effarante. Il n’est pas possible que
l’aune qui sert à mesurer de l’efficacité d’un président se limite à la
question de combien d’argent l’on peut gagner, ou de la pertinence de
la construction d’un gazoduc. Ce n’est que par un mouvement volontaire
de modération de nos passions, sereine et acceptée par nous, que
l’humanité peut s’élever au-dessus du courant de matérialisme qui
emprisonne le monde.
Quand bien même nous serait épargné d’être détruits par la guerre, notre
vie doit changer si elle ne veut pas périr par sa propre faute. Nous ne
pouvons nous dispenser de rappeler ce qu’est fondamentalement la vie,
la société. Est-ce vrai que l’homme est au-dessus de tout ? N’y a-t-il
aucun esprit supérieur au-dessus de lui ? Les activités humaines et
sociales peuvent-elles légitimement être réglées par la seule expansion
matérielle ? A-t-on le droit de promouvoir cette expansion au détriment
de l’intégrité de notre vie spirituelle ?
Si le monde ne touche pas à sa fin, il a atteint une étape décisive dans
son histoire, semblable en importance au tournant qui a conduit du
Moyen-âge à la Renaissance. Cela va requérir de nous un embrasement
spirituel. Il nous faudra nous hisser à une nouvelle hauteur de vue, à
une nouvelle conception de la vie, où notre nature physique ne sera pas
maudite, comme elle a pu l’être au Moyen-âge, mais, ce qui est bien plus
important, où notre être spirituel ne sera pas non plus piétiné, comme
il le fut à l’ère moderne.
Notre ascension nous mène à une nouvelle étape anthropologique. Nous
n’avons pas d’autre choix que de monter ... toujours plus haut."
Alexandre Soljénitsyne, Le Déclin du courage, Harvard, 8 juin 1978