@Luc-Laurent Salvador
"Le complotisme est le reflet de l’activité intellectuelle la plus
fondamentale qui soit, celle qui consiste à « construire la réalité » en
cherchant la cohérence lorsqu’elle n’est pas présente.«
Lorsque la cohérence n’est pas présente, on est dans l’indécidable et je ne vois pas d’autre possibilité pour la raison que le doute, la suspension du jugement, l’ »épochè« de Sextus Empiricus. D’un strict point de vue phénoménologique, si aucune cohérence n’est perceptible, c’est comme s’il n’y avait pas de cohérence. On peut évidemment faire marcher l’imagination pour en fabriquer une, mais ce sera un artefact. Si on a un peu de génie, cela pourra devenir une fiction littéraire. Sinon, on risquera de tomber assez vite dans ce qu’on nomme communément en psychiatrie un délire.
Vous devriez méditer la phrase bien connue de Shakespeare, dans Macbeth, qui définit la vie »une histoire pleine de bruit et de fureur, racontée par un idiot, et qui n’a pas de sens". Les plus grands esprits - et Shakespeare n’est pas le premier venu - ne pensent pas que tout ait un sens, que tout s’enchaîne dans le monde à la façon des engrenages des machines d’autrefois. Les systèmes complexes comme le cerveau humain - et plus encore les sociétés résultant de l’interaction de millions de cerveaux - s’expliquent davantage par les nouveaux paradigmes de la physique du chaos que par un déterminisme laplacien désormais simpliste et dépassé. Il y a des problèmes qui resteront nécessairement sans solution ; il faudra bien s’en faire une raison. L’histoire, lorsqu’elle s’occupe des périodes lointaines et très refroidies, reste une discipline conjecturale, elle ne prétend jamais rivaliser avec les sciences dures pour rendre compte d’un déterminisme. Et lorsqu’il s’agit de réfléchir sur un hier encore tout chaud, si on croit pouvoir tout comprendre, mieux vaut se faire transporter immédiatement aux urgences de Sainte-Anne.