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Commentaire de Christian Labrune

sur Epître à Marianne…


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Christian Labrune Christian Labrune 25 avril 2012 10:22

@Najat Jellab

Je ne comprends pas du tout l’espèce d’opposition que tenez à marquer entre communautarisme et relativisme. Sans une conception politique relativiste, le communautarisme ne serait guère concevable et les deux sont indissolublement liés. Cela dit, il faut distinguer plusieurs niveaux. Continuons, si vous le voulez bien par simplification, d’appeler Marianne la République et ses valeurs. Eh bien, Marianne n’est pas du tout ce que vous appelez un « idéal transcendant ». Marianne est, si j’ose dire, relativement relativiste en ce sens qu’elle admet, tolère, des croyances différentes qui sont, elles, de l’ordre de la religion, c’est-à-dire de l’ordre de l’absolu transcendant. Marianne ne fait pas de différence et ne marque aucune préférence pour tel ou tel système religieux d’interprétation du monde prétendant révéler quelque chose sur les fins dernières. Elle ne se préoccupe que de l’immanence : organiser la vie des citoyens de sorte qu’ils se supportent et n’en viennent pas à s’entre-tuer. Des dieux et de l’avenir des hommes après la fin du monde, elle ne se préoccupe absolument pas. J’ajouterai : elle a raison.

Si Marianne n’était pas un peu relativiste, nous ne serions pas en République, l’état serait religieux comme l’était le communisme soviétique dépositaire d’une Vérité théocratique (La Pravda !) qui, pour lors, interdirait tout relativisme : le sens de l’histoire est connu, la lutte des classes mène au Paradis sur terre, il n’y a qu’une seule religion et Karl Marx est son prophète, au nom de qui on peut très bien fermer les églises des orthodoxes et persécuter tous les ennemis de classe parce qu’ils ont radicalement tort. En ce sens, vous avez raison, on ne peut pas « bannir la religion en légiférant dessus », cette position serait elle-même d’essence religieuse. L’athée que je suis, ennemi juré de toute forme d’euthanasie, pense qu’il faut tout à fait tolérer les religions et les laisser mourir naturellement de leur belle mort. Le catholicisme, par exemple, en France, est tout à fait à l’agonie et il n’y a aucune raison, puisqu’il n’a plus le pouvoir de persécuter personne, d’accélérer le processus létal.

Vous oubliez que Marianne est héritière en droite ligne de la philosophie des lumières, du Traité sur la Tolérance de Voltaire, lequel inverse une ancienne vision du monde qui faisait prévaloir la transcendance et la Cité céleste chère à Augustin. Le seul monde dont il faille se préoccuper, pour lui, c’est celui où nous sommes : le paradis terrestre, écrit-il dans Le Mondain, c’est le monde où je suis ici et maintenant. C’est cela qui compte : l’immanence. Les hommes si cela les amuse peuvent bien rêver d’une survie tout à fait hypothétique après la mort, mais à condition qu’ils n’empoisonnent pas la vie des autres avec ces sortes de croyances.

Vous me parlez de l’Islam. Il serait évidemment souhaitable qu’il en fût au même point que le catholicisme, mais pour toute sorte de raisons, il bouge encore. Il « dicte aux musulmans le respect des lois et des coutumes du pays dans lequel ils vivent » écrivez-vous. Oui, vous avez tout à fait raison : lorsqu’ils ne peuvent pas faire autrement, le Prophète les autorise à baiser la main qu’ils ne peuvent couper, mais s’ils le peuvent, leur devoir est aussi de faire triompher l’Islam. Vous savez aussi bien que moi qu’à Bruxelles où la communauté musulmane est plus nombreuse qu’ailleurs, des prêcheurs qui nous paraissent complètement cinglés prétendent réinstaurer le califat, comme s’ils étaient en terre conquise. C’est-à-dire installer un système où le politique qui organise la vie l’organiserait en fonction des principes religieux d’une seule religion. Je vous laisse à penser ce que Marianne pourrait penser d’un pareil objectif !

Vous me parlez d’un Islam « modéré ». Un islam modéré serait un islam aussi moribond que le catholicisme. Si les papes avaient encore un quelconque pouvoir, nul doute qu’ils continueraient à persécuter comme ils l’ont fait pendant des siècles, c’est dans la logique de toute religion. Mais l’islam, dans des pays qui n’ont pas connu la philosophie des lumières, la laïcité et la tolérance qui en résultent, l’Islam qui prospère dans des pays où le niveau d’instruction moyen est très faible en est resté là où nous en étions encore en Europe à la fin du XVIe siècle. Les « modérés » dont vous parlez sont à peu près musulmans comme l’athée que je suis peut être catholique à l’occasion : si je vais à l’enterrement d’un catholique, je ne vais pas cracher dans le bénitier du goupillon ; par respect pour le mort et la famille, j’asperge d’eau bénite le cercueil. J’ai une grande passion pour l’architecture religieuse et il n’y a pas d’église à Paris que je n’aie visité ; si j’étais au Caire, je visiterais les mosquées. il y a tout un folklore religieux que je trouve charmant, même si je n’adhère évidemment à aucun dogme.

Le 15 avril à Paris, de la Bastille à la Nation, il devait y avoir une manifestation des musulmans « modérés » contre l’islamisme radical. J’y suis allé et je n’ai vu personne. J’ai appris ensuite que cela avait été reporté. Depuis, j’ai cherché sur l’internet : rien. L’islam modéré à Paris n’existe pas. Je trouve que c’est tout de même inquiétant.

Il y a eu une grande civilisation islamique à l’époque du califat des Abbassides et de la grande suprématie de Bagdad. Depuis, et avec l’effondrement progressif de l’empire Ottoman après Lépante, l’évolution des choses de ce côté du monde est assez préoccupante. Vous pouvez bien dire que l’Islam fanatique que nous voyons actuellement, celui qui agite les prêcheurs fous du Moyen-Orient obsédés par les versets et les hadiths qui préconisent l’extermination des Juifs n’a pas grand chose à voir avec l’idée que vous vous faites de cette religion qui en vaut bien une autre, mais les faits sont là et ce sont les musulmans qui en sont les premières victimes. Pour quelqu’un comme moi qui habite Belleville et ne pourrait vivre ailleurs, je vous assure que c’est un vrai crève-coeur de devoir vérifier quotidiennement les conséquences abominables du travail inlassable des Frères musulmans sur la condition des femmes musulmanes. La burqa a certes disparu, mais des femmes voilées de la tête aux pieds, j’en croise encore dix par jour. Ca c’est l’extérieur. A l’intérieur des têtes, ce serait probablement encore plus horrible à voir.

En bref : je suis tout à fait prêt à accepter un certain relativisme, mais pas celui qui reviendrait à autoriser des individus à se comporter d’une manière inhumaine et à persécuter leurs semblables au nom d’une transcendance religieuse. Il est bien légitime de blasphémer, que diable ! et de dire tout le mal qu’on peut penser de la Bible ou du Coran, de coucher avec un autre que son mari sans craindre d’être lapidée, et de se promener tête nue, même si on est musulmane, sans être traitée de putain, comme il arrive maintenant souvent dans les banlieues. Ce n’est pas Marianne en tout cas qui pourrait cautionner de tels comportements ! C’est très emmerdant pour un Bellevillois moitié-chinois moitié-juif moitié-arable de devoir tonner contre l’Islam et le Coran, mais je ne vois pas comment, en l’état des choses, je pourrais faire autrement


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