@Christian. Tout d’abord, je vous rassure, en effet, je n’irais pas plus vous égorger que je ne m’égorgerais moi-même, et je crains que cette histoire d’apparition de Dieu, même au pire fanatique d’Al Qaida, n’ait déjà été réglée par Mohamed quand il a déclaré que Dieu n’enverrait plus de messager après lui et qu’il n’apparaîtrait pas avant le retour de Jésus…
Je ne dis pas non plus que je crois à l’Antéchrist ni aux prophéties diverses, mais que s’il faut prendre cet exemple pour montrer que la seule connaissance objective des textes permet de dénoncer leur falsification, exploitation, et par la même occasion le caractère infondé des accusations qui portent sur l’islam, je n’hésite pas à le prendre et à le traiter comme la dogmatique invite à le faire, sinon mes arguments se situeraient sur un plan non recevable pour celui qui y adhère.
Si par exemple dans l’un de vos messages vous me disiez que vous éprouviez haine mépris ou méfiance vis-à-vis des gens qui pratiquent le tennis parce que ce sport causerait tant de blessures qu’il déformerait le corps, je serais bien obligée, de la même façon, de prendre une raquette et de taper dans la balle pour vous montrer que jouer au tennis n’est pas ce que vous décrivez, mais que les blessures résultent d‘une méconnaissance technique du jeu. Cela ne prouverait pas pour autant que le tennis serait mon sport préféré ni le seul qui permettrait une meilleure santé du corps.
Je ne suis pas une missionnaire de l’islam, mais je le défends fermement quand je perçois des provocations injustifiées. Et puisque justement, il pose problème dans la sphère politique, il faut bien que la philosophie vienne au service de la politique et aucun philosophe ne convaincra un religieux s’il ne lui parle la langue qu’il connaît, s’il ne situe sur un terrain commun.
Vous semblez, comme il est d’usage de le faire, opposer la religion à la philosophie puisque, comme on le dit couramment, la première a pour objet la Révélation et la seconde la Raison. Très bien, vu ainsi, tout est simple, et on ne voit pas pourquoi ni comment dans la sphère politique nous rencontrons tant de problèmes puisque les deux s’occupent de domaines si disjoints. Mais, s’il y a conflit, c’est qu’il doit y avoir un ou des domaines communs.
Il y a deux façons pour la philosophie d’appréhender le religieux : la première consiste à ne pas s’en occuper, feindre d’ignorer son existence par méfiance, c’est qu’on peut appeler la laïcité de statu quo, et qui comme vous l’avez aussi remarqué a permis le vivre ensemble mais semble traverser de fortes turbulences , et la deuxième consiste à déclarer les éléments qui composent la religion comme inacceptables, c’est ce qu’on peut appeler la laïcité de force et les deux appréhensions me paraissent incompatibles dans la mesure où il est nécessaire à la laïcité de force de s’occuper du religieux si elle veut le déclarer inacceptable. Inversement, si la laicite de statu quo ne s’occupait pas du religieux il lui serait impossible de le déclarer inacceptable. Ces deux appréhensions sont réciproques : le religieux peut ne pas s’occuper de philosophie ou bien la déclarer inacceptable. Par exemple en taxant les philosophes d’atheisme... Ceci vaut si l’on se situe du point de vue intérieur à chaque sphère. Mais d’un point de vue extérieur à la philosophie et à la religion, il peut être possible d’établir qu’une partie seulement de la sphère philosophique est incompatible avec la religion et une partie seulement de la religion peut être incompatible avec la philosophie. Mais si l’on reste d’un point de vue seulement intérieur a chaque mode de pensée, on est contraint à la réciprocité des perspectives. Si toutefois l’une veut être capable de juger l’autre, il doit être possible de construire un sol commun, et où la question de l’acceptable et de l’inacceptable devient enfin décidable.
Etablir une ligne de démarcation entre les deux serait à mon avis une erreur, les deux disciplines se rencontrent constamment, s’entrecoupent, se contredisent, ou feignent de s’ignorer mais il faut, pour le bien commun, identifier leur interférences et j’en vois au moins trois :
- la philosophie, ou la raison, ne peut ni anéantir ni donner naissance à une religion. Toutefois, il arrive que la philosophie, par sa critique et les crises qui en résultent, prépare le terrain pour une nouvelle expérience ou pour une transformation des représentations religieuses. Ainsi la philosophie de l’Antiquité tardive a ouvert la voie à l’évangile.
- La valeur d’une religion se mesure non pas à partir d’une norme absolue, intemporelle et universelle, mais dans le cadre de son environnement culturel. Une religion capable d’organiser son univers de pensée en fonction de l’image du monde qui est, capable d’accommodation (pour reprendre un terme de Calvin), continue de s’imposer.
Ainsi, le protestantisme a tiré sa force de ce qu’il a su s’adapter ou même fonder l’éthique du capitalisme comme l’a si bien montre Max Weber. .
- La religion comporte une exigence pour la philosophie : les expériences religieuses font partie des contenus de réalité que la philosophie doit penser. Il lui faut les prendre en compte au même titre que les données scientifiques, s’interroger sur leur statut et leur signification, et non les nier ou les dissoudre. Une pensée incapable de leur faire place- et droit- présente des carences graves d’un point de vue strictement philosophique.
Pour ces raisons vous avez tort de considérer que le vrai clivage se situe entre le scepticisme rationnel et le dogmatisme religieux : je ne vois pas de clivage sauf à vouloir pour l’un la démission de l’autre ; ce qui est impossible.
Je reçois également votre prophétie concernant un XXIIe siècle débarrassé du monothéisme avec beaucoup de circonspection car mieux que le capitalisme, le monothéisme a toujours trouvé en lui les moyens de se régénérer, non pas par la trouille que l’homme a de Dieu, mais parce qu’une société ne peut pas rester longtemps dans un climat de vacuité culturelle et spirituelle, ainsi va le mouvement du balancier.
A titre personnel, j’ai mes moments plus que libertaires et impertinents, bien entendu.