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Commentaire de Najat Jellab

sur Epître à Marianne…


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Najat Jellab Najat Jellab 3 mai 2012 05:36
@ Christian.
J’avoue que je n’ai pas pu m’empêcher une fois de plus de sourire en vous lisant smiley

Revenons d’abord à Pascal. 
Vous me dites que la distinction entre l’esprit géométrique et l’esprit de finesse vous parait factice et inutile ! Vous me voyez bien étonnée de recevoir une telle remarque de la part d’un enseignant, à moins que vous ne fassiez preuve de mauvaise foi… Je ne partage pas du tout votre jugement sur Pascal car même si vous ne cessez de me « prévenir » du contraire, je crois que ses concepts se confirment par la science contemporaine et le considère donc comme un précurseur et non comme un vulgaire plagiaire comme vous le prétendez avec vos accusations infamantes. Je vais donc vous exposer ce que vous savez déjà, mais que vous ne voulez pas admettre.
L’esprit de géométrie et l’esprit de finesse se distinguent d’abord parce qu’ils ne travaillent pas à partir des mêmes principes : 
par exemple, l’un des premiers principes de la géométrie est : « par deux points distincts, il ne passe qu’une seule droite », autre exemple : « le plus court chemin pour aller d’un point A à un point B est le segment [AB] ». 
Un exemple de définition géométrique est « j’appelle carré un polygone régulier à quatre côtés égaux et à quatre angles droits ». Une fois défini le carré, cette figure peut être utilisée sans ambiguïté. Si on place cette figure à côté d’un triangle et d’un demi-cercle, on pourra aisément distinguer toutes ces figures entre elles. C’est en ce sens que les principes de l’esprit de géométrie sont « gros », car il suffit d’un minimum d’attention et de rigueur pour tirer les conséquences de ces principes ; 
Dans l’esprit de finesse, on est dans le domaine de l’intuition, des jugements que l’on porte en fonction d’une multitude de détails, de situations vécues, d’analogies implicites etc.. L’esprit de finesse, en ce sens, est sujet à l’erreur car la multitude des principes rend l’opération de l’esprit infiniment plus complexe. Mais l’esprit de finesse ne vise pas le « vrai » ou le « faux », il vise le « juste ». Un moraliste comme La Rochefoucauld avec ses Maximes est un exemple parfait d’illustration de l’esprit de finesse. 

Si vous me dites maintenant que la distinction entre « vrai/faux » et « juste » vous parait toujours factice et inutile, je vous dirais que c’est cette même différence qui, dans le domaine du droit, distingue le « légal » du « légitime ». Le légal est ce qui est conforme à une loi définie par un code, (comme on a pu définir ce qu’est un carré, on peut définir précisément le cadre d’un contrat de propriété par exemple) tandis que le légitime est conforme à la morale laquelle peut toujours être discutable et changeante. On peut donc parfaitement être dans le « juste » tout en étant dans le « faux », et je suis sure que vous avez enseigné vous-même Antigone comme exemple de cette distinction... 
Quand vous achetez une maison, vous signez un contrat qui délimite exactement votre bien dans l’espace, avec adresse, superficie etc. Mais ce contrat ne donnera aucune appréciation esthétique de la maison. Pourtant avant de l’acheter, c’est votre esprit de finesse, qui a déterminé qu’elle convenait à vos goûts. 
Cette distinction, que vous trouvez « inutile », est aussi celle qu’exploitent volontiers les agents de vente, lesquels la trouvent au contraire fort utile, quand vous entrez dans un centre d’achat pour vous procurer un marteau et que vous en sortez avec le marteau et une nouvelle télévision dont votre esprit de géométrie aurait pourtant déterminé qu’elle serait inutile vue vous en avez déjà une semblable et qui fonctionne. Votre esprit de géométrie ne faisant pas la différence entre les deux télévisions, c’est votre esprit de finesse qui a été sollicité par ces mêmes vendeurs, c’est lui qui fait la différence entre celle que vous avez déjà et celle que vous venez de vous procurer pour faire honneur à votre nouvelle maison qui mérite sans doute le modèle dernier cri. Peut-être était-ce une erreur mais c’est le propre de cet esprit e finesse que d’être plus souvent induit en erreur...
Aujourd’hui, on appelle cet esprit de finesse- pardon si l’expression est vulgaire- « l’intelligence émotionnelle » et il n’est pas de « technique de communication » qui ne se penche sur cette notion … 
Décidemment, je veux bien croire que grâce à des préoccupations de « boutiquier », Pascal avait beaucoup d’avance sur son temps. 
L’autre différence fondamentale entre les deux esprits est que les principes de l’esprit de géométrie sont artificiels tandis que ceux de l’esprit de finesse sont naturels, les premiers sont abstraits, ils n’ont rien à voir avec l’expérience de la vie, et il faut faire l’effort de se souvenir de définitions étrangères à nos intuitions naturelles et faire preuve d’un apprentissage rigoureux pour effectuer un raisonnement géométrique. En revanche, les principes de l’esprit de finesse sont tirés de l’expérience de la vie. 
Vous trouvez toujours ces concepts inutiles et factices ? Mais avoir l’esprit géométrique n’exclut pas d’avoir aussi l’esprit de finesse. Ce n’est pas parce que l’on sollicite, pour l’un, l’hémisphère gauche de son cerveau, que l’on est nécessairement à moitié écervelé et privé de son hémisphère droit. Si vous persistez dans votre opinion, vous devriez penser la même chose des découvertes des neurophysiologistes qui confirment cette division conceptuelle chez Pascal : nous savons qu’avec notre cerveau gauche, nous raisonnons de manière séquentielle, analytique, point par point. Le cerveau droit, lui, voit les choses globalement : il traite l’information de façon holistique. C’est toute la différence entre inspecter le terrain -esprit géométrique- et sentir l’ambiance- esprit de finesse…

Que Pascal n’ait « pas intégré » la méthode analytique en géométrie, je ne vois en quoi cela amoindrit ses apports ; à moins que vous ayez décrété un jugement de valeur en faveur de la géométrie analytique au détriment de la géométrie synthétique et que vous ayez l’ambition de me démontrer l’infériorité du théorème de Pascal sur la relation de Chasles par exemple… La géométrie analytique permet certes de démontrer une propriété à l’aide d’opérations sur les nombres dans un système de coordonnées, mais sans comprendre fondamentalement pourquoi cette propriété est vraie géométriquement. 

Quant à cet univers « dont le centre est partout et la circonférence nulle part », Que Pascal ne soit pas l’inventeur de ce concept ne le discrédite pas, on pourrait sans doute en dire autant de tous les grands noms. Mais, contrairement aux visées que vous lui donnez, j’ai bien peur que cette définition de l’univers ne donne pas seulement le vertige au libertin, mais aussi à nos astrophysiciens rationalistes contemporains qui constatent qu’en effet, le centre que l’on pourrait supposer aujourd’hui ne serait pas celui de demain dans la mesure où l’univers est en constante expansion : on voit à grande échelle les galaxies s’écarter constamment les unes des autres, non pas par un mouvement dans l’espace mais par un gonflement constant de l’espace lui-même. Le centre est donc potentiellement partout, et la circonférence ne peut être nulle part puisqu’il n’y a pas de limite à cette expansion, il ne peut donc pas y avoir de ligne qui en limite la surface. 
J’ai bien peur qu’une fois de plus, les intuitions de Pascal ne soient pas si ineptes et improbables 

J’en reviens maintenant à ce que je disais précédemment sur ce qu’il y a « d’irrationnel » même dans l’esprit géométrique. 
Vous trouvez que ce que j’entends par irrationnel parait flou, pourtant ma définition était la suivante : « tout ce qui ne peut être le résultat d’un discours déductif de la raison ». Par exemple, un triangle, comme objet géométrique, n’est pas le résultat d’un discours déductif de la raison. Il n’est pas « démontrable ». Par contre, une fois défini et supposé un triangle, un triangle rectangle par exemple, je peux déduire par la raison que le carré de son hypoténuse est égal à la somme des carres des deux autres côtés. 
J’ai préféré conserver l’exemple des géométries non euclidiennes non pas pour profiter sournoisement d’une erreur -que vous ne commettez pas d’ailleurs- mais parce que j’avais cité la géométrie comme ordre de démonstration parfait de la raison. Je ne pouvais pas invoquer la physique puisque, comme vous le dites à juste titre, son caractère parfois « contradictoire » au bon sens aurait rendu mon propos sur l’irrationnel dans la rationalité trop « facile » ce qui n’aurait pas été honnête intellectuellement de ma part ; 

Les géométries n’ont rien d’irrationnel, dites vous, à partir du moment où l’on suppose une courbure positive ou négative de l’espace. Mais cest justement dans cette « supposition » qu’il n’y a rien de rationnel. Vous ne pouvez pas demontrer cette courbure, vous ne pouvez pas demontrer les defintions geometriques, vous pouvez seulement les supposer. Cest seulement si vous les acceptez comme supposition, comme hypothese que vous pouvez construire un raisonnement rationnel. 

Il ne s’agit pas d’envisager une philosophie qui abandonne le principe de non contradiction, mais la seule rationalité ne permet pas de garantir la non contradiction. 
Pour donner un exemple de pure logique valide mais fausse, voici un syllogisme que vous connaissez sûrement :

- un cheval bon marché est rare
- tout ce qui est rare est cher
- donc un cheval bon marché est cher

Même une proposition fausse devient valide quand on « suppose » les principes indémontrables de la permutation que sont si A= B et si B=C alors A=C
Pourtant cette proposition fausse est tout à fait rationnelle car elle résulte du discours déductif de la raison. 


J’ajoute que le pari de Pascal n’est pas arbitraire mais le résultat d’un calcul de probabilité, rationnel. 
Vous avez raison de dire que les prévisions météorologiques ne sont pas une manifestation du hasard ou de « l’irrationalité dans la nature », ce sont en effet les résultats d’un calcul de probabilités tout à fait calculables, et ce ne sont pas de tels exemples que j’avais en tête, mais qu’importe. Je sais bien qu’une pièce de monnaie a une chance sur deux de tomber face, et que gagner au loto, même avec une chance sur plus de quatorze millions, ce n’est pas non plus le fruit du hasard, mais la réalisation d’une probabilité calculable. 
Je ne parlais pas de probabilité, mais de possibilité. La possibilité est une hypothèse -voyez que je n’ai même pas poussé l’ambition d’un calcul de probabilité pour vous motiver à supposer cette hypothèse. Mais tout comme en géométrie, vous devez « supposer, pour fonder un raisonnement, en religion, vous devez supposer Dieu pour fonder une morale. 

Vous avez probablement raison de constater une religion du peuple et une religion des intellectuels, mais j’ajouterais qu’il n’y a de vraie religion qu’intellectuelle. 

Je vois que vous avez poussé la provocation de vos propres petites élèves innocentes et démunies comme seul un libertin –et non un libertaire- le ferait, avec vos barres de chocolat… smiley De cette perversion, je ne me ferai point juge… 
Mais si j’avais eu l’occasion de vous rencontrer un jour de Ramadan, à supposer que vous ayez découvert que je jeûnais, car je ne serais sûrement pas venue vous le dire (pas plus que je n’irais étaler ma vie intime), je vous aurais répondu que la raison n’impose pas non plus la contrainte- sans même parler de religion-, d’aller crever sur un terrain de sport, de se torturer à essayer de poursuivre des recherches fondamentales qui ne trouveront peut-être jamais aucune application, et s’il fallait, pour le progrès humain, ne suivre que les comportements dictés par la raison « raisonnante » ,vous n’existeriez probablement même pas. 

Quand je vous parlais de Husserl- ravie aussi qu’il soit votre philosophe préféré- je vous citais l’usage qu’en faisait Luc Ferry pour fonder sa « transcendance dans l’immanence », pas le mien…

Vous persistez dans votre idée de commerce avec Dieu, donc pour vous, il n’y a pas de foi autre qu’intéressée ! Par le chien, il faudrait vous replonger dans le Livre de Job… 


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