"Ah, je viens de lire votre message concernant
l’eventuelle émergence d’une « web conscience »
qui dépasserait en dégâts les pires prévisions d’Orwell... je trouve
l’exercice fascinant, mais ma réponse ira à demain. En attendant, si
je rêve du prochain scénario de Spielberg, je vous en ferai part ! «
Najat,
Je pense que vous m’avez lu un peu vite ! Ce que je vous écrivais n’a rien du tout à voir avec une science-fiction toujours manichéenne qui fait intervenir des »robots« quelque peu inquiétants, qu’ils obéissent aux lois imbéciles de la robotique imaginées par Asimov ou qu’ils se retournent, comme dans l’Odyssée de l’espace de Clarke, contre leur créateur. Je me plaçais sur le simple terrain de l’évolution aisément constatable des systèmes biologiques. Entre les pré-hominiens et l’homo sapiens, nul doute qu’il y a eu des changements. Donnez à l’espèce que nous sommes quatre millions d’années (je suis bien optimiste !) et nous aurons des êtres qui ne nous ressembleront plus vraiment. Les religions voudraient bien que nous soyons arrivés au terme de l’évolution mais vous ne le pensez pas plus que moi. Or, l’évolution de l’intelligence et même celle de son substrat biologique sont en train de s’accélérer : le téléphone qui restait sur notre bureau il y a vingt ans est désormais dans notre poche, où que nous soyons, et je dis »téléphone" par simplification : il est déjà tout autre chose. Dans peu d’années, et assurément pour vous qui paraissez fort jeune, il sera carrément greffé à l’intérieur du corps où pas mal d’organes plus ou moins défaillants ou peu fiables seront immédiatement remplacés. A part moi qui m’en sers trois fois par mois, le téléphone mobile est devenu un prolongement presque naturel sans lequel la plupart de nos contemporains se sentiraient déjà amputés d’un organe essentiel. C’est-à-dire que le corps lui-même va devenir de plus en plus artificiel et va devoir (il l’est déjà) s’interfacer de plus en plus intimement à un réseau global dont les mutations (au sens biologique) seront continues et extrêmement rapides. On pourra bien vouloir rattraper le retard du biologique sur le cybernétique en le dopant, mais cela ne sera jamais possible et, de fait, l’écart se creusera indéfiniment. Jusqu’à ce que le biologique disparaisse progressivement, ce qui ne veut pas dire une disparition de l’intelligence sur la planète : elle subsistera sur d’autres supports, deviendra globale et cessera d’être individuée. Il ne faudra pas quatre millions d’années pour que l’homme disparaisse : ce sera fait depuis longtemps à l’aube du quatrième millénaire et même bien avant. Et si ça n’était pas fait, ça ne serait pas non plus une cause de satisfaction, c’est que nous n’aurions pas réussi à nous affranchir de l’animalité et de son intelligence lente et terriblement embryonnaire, et encore moins de la mort : je vous assure que c’est une bien misérable bestiole qui est en train de vous répondre, et en tant que représentant de l’espèce homo sapiens, je me fais pitié tous les jours !