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Commentaire de Christian Labrune

sur Epître à Marianne…


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Christian Labrune Christian Labrune 13 mai 2012 11:51

Najat,

Ma connaissance des langues sémitiques est parfaitement nulle. Je suis par conséquent réduit à cette position assez inconfortable qui consiste à vous croire sans même pouvoir esquisser une argumentation. Que l’Islam soit la paix plus que la soumission, si vous le dites, je le veux bien, mais je vous l’ai déjà dit, l’Islam particulier de Najat Jellab ne me gêne pas plus que le christianisme tel qu’il est devenu, le shintoïsme ou le bouddhisme. Quand vous me dites que vous n’êtes pas athée, c’est à peu près comme si vous me disiez que vous n’aimez pas le Coca Cola dont je boirais, moi, des seaux entiers.

Tout de même, il y a des choses qui me hérissent un peu. Je sais bien que l’homme, en principe, et du point de vue de l’Islam, naît musulman, mais ça n’est absolument pas mon cas. D’une manière innée, comme vous dites, je suis athée. On a bien essayé de me faire croire qu’il y avait un dieu mais je n’en ai jamais été intimement persuadé, même dans l’enfance. Je ne pouvais pas douter qu’il y eût une religion et un clergé, ils me cassaient suffisamment les pieds, mais je n’ai jamais pu admettre la notion de péché, encore moins l’hypothèse d’un enfer et d’un paradis, tout cela me paraissait d’un infantilisme vraiment comique. J’étais un sujet pensant autonome, et tout à fait cartésien sans le savoir. Celui que vous désignez comme « le pire athée » restera donc toujours pour moi le meilleur penseur. Dieu n’existe pas. Ou, si vous préférez, le concept de Dieu fabriqué par les religions existe bel et bien, mais l’être qu’il prétend définir est tellement sinistre et repoussant qu’il vaut assurément mieux pour lui et pour nous qu’il ne soit pas.

Je pensais, à vous lire récemment, que vous étiez du côté de la phénoménologie, et voilà maintenant que vous utilisez la théorie platonicienne de la réminiscence, comme s’il y avait des arrière-mondes. Vous me permettrez de vous faire remarquer que s’il faut renoncer à cette belle fiction purement littéraire des réminiscences, votre argument n’est que flatus vocis.

Vous me parlez encore d’Abraham. Je sais bien qu’il est aussi récupéré par Muhammad, mais à votre place j’éviterais d’évoquer ce personnage lorsqu’il s’agit de parler de la soumission à Dieu puisqu’aussi bien c’est de là que notre discussion est partie, je vous disais qu’Abraham était à la source même du fanatisme présent dans toutes les religions du Livre. Ce sinistre personnage n’est en effet connu que par un acte de soumission inconditionnelle tout à fait choquant. Regardez la peinture classique : s’il y est question d’Abraham, ce qui est peint, c’est toujours le sacrifice et rien d’autre, ce qui n’empêche évidemment pas l’esquisse de Rubens, au Louvre, d’être un pur chef d’eouvre.

L’islam n’est certes pas la seule religion à avoir fait ses choux gras de cette fable, mais enfin les musulmans réels, ceux que je vois, ceux à qui je parle, font de cette soumission – peut-être à tort – quelque chose de tout à fait essentiel ; en vingt ans, l’influence du wahhabisme en France a été telle qu’un musulman qui, aujourd’hui refuserait le jeûne et boufferait du cochon se percevrait lui-même comme une sorte de monstre ; un tel comportement lui ferait peur. Ca, c’est l’islam réel, et quand vous vous emportez avec des mots très durs à propos de toutes ces fausses croyances, vous me faites un peu penser à un inquisiteur chrétien chargé de débusquer l’hérésie et de la combattre. Vu par moi, cela n’a rien à voir avec les vérités scientifiques, lesquelles sont toujours falsifiables ; c’est croyance contre croyance, et je ne peux pas donner raison aux uns plutôt qu’aux autres. Tous se réclament d’une même fable et pourtant je les vois tout à fait prêts à s’étriper, ce qui serait comique si ces sortes de différends, en général, ne finissaient pas dans la tragédie.

Je ne dirais pas que le communisme et l’athéisme se sont construits sur fond d’athéisme. C’est même le contraire. Le communisme est une nouvelle religion munie d’une très sérieuse eschatologie pas si éloignée que cela de la chrétienne. Il n’y aura certes pas de résurrection, mais à la fin de l’Histoire, la terre sera le paradis et ceux qui n’y croient pas sont des mécréants qu’il faut combattre. Hitler n’a jamais renié le christianisme, particulièrement dans sa tendance antisémite. Il avait encore plus d’admiration pour l’Islam parce qu’il y voyait -probablement à tort – une disposition à la soumission qui convenait à ses vues sur le monde, et on sait très bien que l’armée de Rommel en Afrique du nord a su tisser des liens assez étroits et durables avec les autorités locales. Quand on se rencontre aujourd’hui, dans le Hezbollah on fait encore le salut hitlérien. Vous me parlez d’Onfray. Il analyse très bien, dans son traité d’Athéologie, ces sortes de connivences, et la sinistre entreprise du mufti de Jérusalem qui n’a pas été sans conséquences sur la crise désormais chronique entre Palestiniens et Juifs.

Le nietzchéisme d’Onfray me fait rigoler autant que vous. Mais je ne parlerais pas du matérialisme sans prendre des pincettes. C’est un terme qui renvoie au XIXe siècle, à une époque où on ne savait encore presque rien de la matière. On voyait l’atome comme quelque chose de consistant et de massif, comme les briques dont on fait les murs ; on ne savait pas encore qu’il était plein de vide et pas du tout insécable, que la réalité ultime ne serait probablement jamais accessible à l’expérience sensible : les accélérateurs font bien voir les traces des particules constituant les atomes, et celles de leurs collisions, mais on ne sait guère de quoi elles sont faites ; bref, depuis l’école de Copenhague, on cherche la matière et plus on la cherche, moins on la trouve, elle existe surtout dans les équations des physiciens. Les réalistes (Einstein était de ceux-là) continuent à penser qu’il existe bien quelque chose au-delà des équations, mais beaucoup préfèrent suspendre leur jugement et pratiquer l’épochè de la phénoménologie. La notion de matière est donc une aporie qu’on ne peut plus manipuler sans précautions.

Quand vous écrivez que « le matérialisme postulant que tout est matière, ne peut en aucune façon produire des idées, par définition. » et qu’il signerait donc par là la fin de toute philosophie, je trouve donc que vous allez un peu vite en besogne et que vous nous reprenez les accusation des spiritualistes de l’âge classique contre les « pourceaux d’Epicure ». Mais ce sont là de simples anathèmes, lesquels n’éclairent rien du tout. Le matérialisme est né en même temps que la philosophie grecque, il perdure très bien de Démocrite à Lucrèce, et relisant il y a quelques mois le De rerum natura, j’était particulièrement frappé de la puissance d’une pensée dépourvue de tout moyen technique d’appréhender son objet et qui s’accorde pourtant si bien avec les conceptions les plus modernes de la physique. Les conséquences qu’en tire Lucrèce sur la croyance à l’existence des dieux, elles aussi, n’ont pas vieilli d’un poil. Elles vous choqueraient grandement !

Vous m’amusez beaucoup quand vous évoquez les musulmans criminels qui ont confisqué la foi et propagent l’erreur. Au risque de vous choquer, j’aurais plutôt tendance à considérer que les salafistes (pour qui je n’ai pas beaucoup de tendresse !) sont les vrais musulmans, comme les vrais chrétiens sont ceux qui, à Paris, se réunissent à Saint-Nicolas du Chardonnet pour des messes en latin organisées selon le rite de Saint Pie V et sont lepénisés jusqu’à la moelle. Les catholiques que je peux voir dans ma propre famille, qui se marient à l’église, font baptiser leurs enfants, passent par l’Eglise avant d’aller au cimetière mais pour le reste se foutent de Dieu comme du diable, sont en vérité d’abominables hérétiques et si j’étais inquisiteur, je les enverrais au bûcher sans hésiter. Si Dieu existait, je peux vous assurer qu’ils iraient tout droit en enfer. En tout cas, le bon Dieu qui, depuis Constantin, est toujours du côté du manche, serait assurément du côté d’un Front national tout-puissant. Je le soupçonne même d’avoir quelque peu bourré les urnes aux dernières élections !


Je ne vous réponds pas tout de suite à propos de l’intelligence artificielle. Je suis dans le bouquin de Cardon, qui m’agace un peu. Et je vous parlais des assembleurs moléculaires comme de quelque chose qui existerait presque, mais il faut mettre un bémol. C’est qu’il y a trois ans que je n’ai rien lu sur ces questions ; j’avais fini sur le bouquin de Drexler, lequel est exagérément optimiste, j’avais bien cherché à me documenter ensuite sur les assembleurs, mais à la bibliothèque de Beaubourg, je n’avais pas trouvé grand chose . Sur le nanotechnologies, il n’y a même pas un mètre de rayonnage, c’est soit de la vulgarisation sans intérêt, soit des études très pointues qui renvoient cruellement le lecteur curieux que je suis à son incompétence.


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