Najat,
J’admire votre art d’essayer de noyer le poisson ! Je ne vois pas en qui la théorie de la réminiscence, si elle est fausse, pourrait me servir à comprendre le Coran. S’il y a une affinité entre la conception platonicienne et celle du Coran, la fausseté de l’une n’est propre qu’à attirer l’attention sur la fausseté de l’autre. Le néoplatonisme des conciles chrétiens, de la même manière, ne plaide certainement pas en faveur d’une vérité des concepts théologiques par eux pondus.
Quand je parle d’un islam réel, il ne me semble pas non plus qu’on puisse dire que ce soit dans une intention délibérément sophistique. Je ne vous parle pas d’une essence de l’islam, mais de celui qui se présente, comme phénomène, à ma perception de citoyen français vivant à Belleville. Si, quand je vais sur le marché je ne voyais pas d’emblée une multitude de femmes couvertes d’un foulard et un fort grand nombre d’autres qui se présentent ostensiblement comme des objets sexuels empaquetés des pieds à la tête, je ne penserais ni à la gaudriole ni à l’islam. Mon approche de la question est purement phénoménologique et c’est vous qui nous renvoyez à je ne sais quelle essence qui émanerait des textes et de leur lecture correcte.
Je ne serais assurément pas confronté à ces sortes de « phénomènes » et à bien d’autres - mais je donne à celui-ci une fonction allégorique pour les résumer tous – si mes compatriotes musulmans lisaient le Coran comme vous le faites et s’ils étaient eux aussi imprégnés de cette « philosophie de non-violence intrinsèque à l’islam » que, lecteur moi aussi du Coran, je n’ai encore jamais vue. On trouve tout, dans ce livre, tout et son contraire, c’est une véritable auberge espagnole et ce n’est pas en contextualisant les sourates que vous parviendrez à convaincre quiconque.
Quand je vous disais que les querelles théologiques conduisaient généralement à des violences, c’est surtout au christianisme que je pensais, je ne sais pas trop ce qu’il en est touchant à l’islam, encore que les sunnites et les chiites n’aient pas toujours fait bon ménage, c’est le moins qu’on puisse dire, mais c’est là une question secondaire, et je serais bien le dernier à me réjouir que les tenants de conceptions religieuses opposées dans l’islam ou toute autre religion en viennent à s’entretuer comme vous paraissez le supposer.
Le fait est que les musulmans « réels »
ignorent complètement le Coran, même si on les a forcés à en
apprendre par coeur des sourates qu’ils récitent comme des
perroquets. Je ne saurais le leur reprocher, étant bien convaincu
par ailleurs que les solutions pour vivre en bonne intelligence avec
ses semblables dans le monde actuel ne sont certainement pas à
trouver dans un corpus de textes concoctés à la fin du haut
moyen-âge, pour des gens de cette époque et de nulle autre. Un certain nombre de musulmans commencent à proposer une « grève du ramadan », vous le verrez en interrogeant Google, et refusent le jeûne et les tarfufferies qu’il engendre. C’est bon signe !
A cet égard, je trouve rigolo, quand je vous parle des intuitions scientifiques dans la théorie des atomes de Lucrèce, elle-même héritée des spéculations d’un penseur à la charnière des Ve et Ive siècles avant J.-C., que vous vous en moquiez, sans même historiciser la chose (c’est pourtant votre péché mignon !), sous prétexte qu’on n’y trouve pas encore l’idée que les atomes sont formés de particules ! Je voudrais bien que les discours de nos religions puissent approcher autant d’une définition exacte de la nature des choses que ces textes antérieurs à la révélation chrétienne. S’il existait un Dieu soucieux de communiquer la vérité aux hommes, il aurait été infiniment plus généreux avec Démocrite et Epicure qu’avec aucun autre prophète de l’ancien testament et des dernières révélations. Or, ces penseurs sont extrêmement proches de la zone de moindre erreur (ne parlons pas de vérité), mais ils ne se réclament d’aucune inspiration venue d’en haut, ils ne prophétisent pas, ne se réclament que de la simple raison et leur théories, du reste, n’ont jamais conduit les hommes à s’entre-tuer.
Ce que je vous dis là ne ressemble en rien à la propagande d’un athée qui « prêcherait pour sa propre paroisse ». Les théories touchant à l’atomisme, de Démocrite à Rutherford, sont toutes complètement fausses ou insuffisantes comme le seront bientôt les théories actuelles. J’ai la plus grande admiration pour l’oeuvre de Descartes mais ses conceptions touchant à la médecine ou à la cosmologie sont aujourd’hui ridicules, il n’y a absolument rien à en tirer si on veut comprendre le monde tel qu’il est. Elles peuvent intéresser le physicien cultivé curieux de l’histoire de sa discipline, mais s’il les ignore, cela ne risque pas de l’empêcher de faire des découvertes. Pour progresser dans les sciences comme dans la philosophie, il faut savoir faire table rase des anciennes croyances et faire confiance à sa raison. C’est ce que n’hésite pas à faire Wafa Sultan, dont vous trouviez naguère la lecture intéressante et la critique nécessaire. Je ne sache pas qu’elle s’oppose à ce qui lui paraît monstrueux dans l’islam, en particulier par rapport à la condition des femmes, en prônant une « vraie » lecture du Coran. Elle parle simplement en rationaliste, elle fait le ménage et n’essaie pas de faire du neuf en bricolant du vieux.
En parlant d’Abraham et de son sacrifice, je vous avais dit qu’il s’était trouvé bien des gens, du côté des religions comme de la psychanalyse (cette fumisterie), pour justifier la chose en la contextualisant, mais que c’était irrecevable. Or, vous ne trouvez rien de mieux que de m’imposer l’interprétation classique : Dieu n’est pas un salaud, il veut donner une leçon à Abraham pour lui faire comprendre qu’il faut cesser les sacrifices humains. Mais ce que vous ne voyez pas, c’est qu’il convient d’inverser la perspective, de se placer non pas du côté des raisons de Dieu, mais du côté des choix de l’homme et de sa liberté. Je me soucie des raisons inaccessibles de Dieu comme d’une guigne. En revanche, du point de vue de l’homme, c’est tout autre chose. Un type qui entend des voix, qui se croit inspiré par une entité céleste dont l’existence reste à prouver, -c’ est le délire de tous les paranoïaques- n’hésite pas à lever le couteau sur son plus proche semblable. Laissons de côté l’hypothèse de Dieu et sa responsabilité dans l’affaire, si vous le voulez bien : je dis que ce bonhomme est soit un fou soit une crapule (au sens étymologique du terme) de la pire espèce. Il est l’exemple même de la folie furieuse des fanatiques. Un de ses derniers fils spirituels, c’est Mehra. S’il faut contextualiser ces textes pour des fidèles peu instruits, ce qu’il importe de leur dire, c’est que tout cela est complètement archaïque et qu’il n’y a rien à en tirer pour l’homme moderne. J’ajouterai que toute référence à Girard est pour moi calamiteuse. La théorie de ce bonhomme, qui veut touiller une nouvelle sorte de psychanalyse à la sauce chrétienne, c’est le charlatanisme incarné.
Passons maintenant à l’histoire. Les gens du Hezbollah, me dites-vous, font le salut nazi parce qu’ils n’ont pas le choix. Quand on ne jouit pas d’une position dominante, donc, on peut bien donner par désespoir un petit coup de chapeau à la mémoire d’Adolf Hitler -dont on ne sait probablement pas grand chose ?- et il n’y a sans doute pas d’autre solution à inventer. C’est ça ou rien. On pourrait tout aussi bien dire que pour les Allemands quelque peu étranglés après la grande guerre par le traité de Versailles, c’était Hitler ou rien. Il faut les comprendre, après tout, ces pauvres Allemands, ils n’avaient que ça, ils n’avaient rien d’autre. Et dans la situation de crise que traversent actuellement la France et l’Europe, il y a la blonde Walkyrie du FN. Et rien d’autre ? Entendons-nous bien, Najat, je ne suis pas en train de vous accuser de justifier le fascisme, je vous connais assez maintenant pour savoir que vous seriez la première à prendre les armes pour lutter contre toute barbarie, mais il est de bonne guerre, tout de même, que je fasse se refermer sur vous le piège rhétorique où vous prétendiez m’enfermer !
Je n’ai jamais été passionné par le conflit palestinien, il n’y a à peu près deux ans que je m’y intéresse ; j’avais dès longtemps remarqué que l’antisionisme, en France, était surtout la forme suppurante autorisée de l’abcès antisémite mais je n’y pensais pas plus qu’à l’occupation du Tibet par les Chinois. C’est seulement quand on a prétendu me faire avaler les délires d’un Shlomo Sand que je me suis dit que cela suffisait et que j’ai commencé à étudier une question que je connais encore nécessairement moins bien que vous, mais suffisamment tout de même pour n’ignorer pas le rôle abominable joué par Mohammed Amin Al-Husseini, le tonton d’Arafat. Il est peut-être souvent évoqué à des fins de propagande, mais il n’a rien d’un personnage imaginaire. Ce que vous m’en dites me fait penser à un article du Monde diplomatique que je pourrais sans doute retrouver, et qui est aussi un article de contre-propagande, visant à nier les faits. Le Monde diplomatique, c’est le journal dont l’adjoint au directeur est Alain Gresh, un bon copain de Tarik Ramadan.
Je ne vous ai toujours pas répondu à propos de l’intelligence artificielle. Je m’y collerai peut-être demain.
19/10 13:46 - Najat Jellab
Christian Je vous prie tout d’abord d’excuser ma réponse si tardive et impromptue, (...)
24/05 13:57 - Christian Labrune
ERRATUM " Et à la suite de la première phrase que je citais, et qui conclut le paragraphe, (...)
24/05 13:30 - Christian Labrune
J’écris en capitales (le « gras » ne passe guère par l’internet), des passages (...)
23/05 12:28 - Christian Labrune
Najat, Il faudrait peut-être, pour commencer, recentrer un débat qui a progressivement (...)
23/05 01:37 - Christian Labrune
Najat, Il est de fait que lorsqu’on traite de questions philosophiques, la littérature (...)
22/05 20:11 - Najat Jellab
Christian, Alors ça c’est pas de bol, parce que dans mon temple, en plus de Socrate et (...)
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