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Commentaire de Christian Labrune

sur Epître à Marianne…


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Christian Labrune Christian Labrune 15 mai 2012 10:33


Najat,

Si le Coran peut être réexpliqué, en l’historicisant, en faisant voir que lorsqu’il prescrit explicitement d’exterminer les infidèles par exemple, cela ne renvoie qu’à des conflits de l’époque maintenant complètement dépassés, c’est très bien, et c’est ce à quoi devraient s’employer les imams. Certains le font déjà en France, du reste, comme tel jeune imam du Havre dont j’ai quelquefois consulté le site, et je leur reconnais bien du mérite, mais ils sont extrêmement minoritaires. Il reste que si la sunna est comme le dépôt des vérités éternelles, on se demande bien pourquoi celles-ci se trouvent tellement empêtrées dans les conflits et les problématiques du VIIe siècle ! On peut certes appliquer à ces textes un traitement anti-rides, voire un lifting, mais une vieille peau (je suis vraiment sans pitié pour les femmes de mon âge !) restera toujours une vieille peau et les choses ne pourront aller, avec le temps, que de mal en pis. Je ne peux absolument pas comprendre qu’une intelligence structurée comme paraît l’être la vôtre garde une espèce d’attachement quasi inconditionnel à un corpus de textes qui font rigoler n’importe quel philosophe digne de ce nom. J’aurais bien une explication psychologisante, mais j’ai horreur de ces sortes d’approches. Je vous la livre quand même : c’est que vous avez passé beaucoup de temps à lire toutes ces vieilles choses, à les mettre en relation avec l’histoire du temps ; si vous faisiez d’un coup table rase, c’est tout un investissement qui se révélerait improductif et un pan entier de votre activité intellectuelle qui passerait à la trappe. C’est de cette manière-là que j’explique l’obstination de beaucoup d’intellectuels, dans l’université française à continuer contre toute raison de prendre au sérieux des théories et des systèmes de pensée que la critique rationnelle a rendus complètement caduques ou dont elle a montré la structure fantaisiste. C’est Finkielkraut qui trouve encore bon de citer Heidegger, après le travail de Farias et l’excellente « Ontologie politique de Martin Heidegger » due à Bourdieu dès le milieu des années 80. Je suppose qu’étudiant, il a dû passer bien des nuits à essayer de comprendre quelque chose à Sein und Zeit et aux textes qui incriminent la technique. C’est aussi l’usage encore extrêmement répandu des concepts psychanalytiques, lesquels reposent sur une conception laplacienne et désormais ridicule du déterminisme. Van Rillaer, il y a plus de vingt ans, faisait déjà remarquer que la psychanalyse avait à peu près la même pertinence que cette phrénologie de Gall et Lavater dont le gros Balzac faisait ses délices. Mais quand on a passé une partie de sa vie à méditer la révélation freudienne de l’inconscient, il est difficile d’en sortir. C’est pour cette raison que j’ai tout de même, malgré pas mal de réticences, une certaine estime pour Onfray, dont nous parlions naguère. Lui aussi a confessé longtemps la psychanalyse ; il y a cinq ans, il trouvait encore des grâces à une vieillerie comme « Malaise dans la civilisation », puis il s’est mis à lire Freud in extenso, ce que peu de gens ont fait, et il a eu la bonne foi de se rendre compte qu’il s’était complètement fourvoyé. Sa déconstruction systématique de la théorie n’est pas la meilleure ni la plus pertinente, la méthode généalogique nietzschéenne, qu’il applique aussi dans sa critique des religions, l’égare un peu, mais c’est quand même un vrai travail philosophique, le philosophe étant pour moi celui qui s’interroge avant toute chose sur ce qui le détermine à penser ce qu’il pense pour essayer de reconquérir un maximum de liberté.

Il m’est absolument impossible de concevoir un seul instant que vous puissiez imaginer Muhammad ou n’importe quel prophète installé sur une petite colline, en conversation avec Dieu ou avec je ne sais quel ange Gabriel qui lui transmettrait ses ukases. Que vous soyez, à la limite, comme Jerphagnon qui est mort l’an passé en continuant à se réclamer d’une certaine forme de christianisme, impressionnée par la métaphysique plotinienne de l’UN transmise par Porphyre, que vous tiriez des mystères où la physique aboutit lorsqu’elle se penche sur la matière et ne la trouve pas (je pense à l’école de Copenhague) quelque chose qui ressemble à la gnose de Princeton, passe encore, mais le dieu de Plotin, comme celui plus tard de Descartes et de Spinoza ou des penseurs de Princeton, est un pur concept qui ne se mêlera évidemment jamais de me faire savoir si je dois me lever du pied droit ou du pied gauche et encore moins de me foutre la trouille si je ne respecte pas des interdits existentiels qui sont d’une imbécillité consternante et suffiraient amplement à ridiculiser le dieu qui les édicte.

Je n’ajoute rien à la question du conflit palestinien. Ca m’emmerde. Vous auriez pu m’opposer, quand je parlais d’Al Husseini, les ambiguïtés homologues du groupe Stern. Je voudrais bien, comme vous, qu’on arrive à une certaine paix dans cette région du monde, mais c’est mal parti et je ne vois pas trop quelles solutions seraient possibles. Le temps amènera la paix, évidemment, comme toujours, par lassitude, mais d’ici là, bien des générations vont encore en baver.

Je ne sais plus trop ce que vous me disiez à propos de l’intelligence artificielle, ni ce que je vous en avais dit moi-même. Il faut que je relise. Je voudrais bien avancer dans la lecture du bouquin de Cardon, mais je n’ai presque plus d’encre pour imprimer et la lecture sur écran ne permet pas de cochonner le texte, donc de l’assimiler. Ce qui est un peu consternant, c’est que le malheureux Cardon veut structurer sa machine selon le modèle de la psyché proposé par Freud. Il est peut-être à la pointe en informatique, mais sur le plan philosophique, il a un peu de retard : avec son « ça », son « moi » et son « surmoi », il ne pourra fabriquer qu’une machine à produire des névroses ! Et je me demande pourquoi il n’irait pas, pendant qu’il y est, jusqu’à implémenter aussi un bon complexe d’Oedipe des familles ! Ce qui est décevant aussi, c’est qu’il propose bien des diagrammes un peu simplistes, mais pas une seule architecture de programme, pour des raisons de secret professionnel qu’on peut évidemment comprendre, mais c’est un peu frustrant : ces sortes de questions scientifiques s’accommodent mal des formulations nuageuses.


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