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Commentaire de Najat Jellab

sur Epître à Marianne…


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Najat Jellab Najat Jellab 18 mai 2012 02:05
La différence entre vous et moi Christian, c’est que moi j’aime les vielles peaux ! J’aime celles qui sont marquées par le temps, les expressions, par la vie !
Comme les valeurs esthétiques de notre temps – et les vôtres apparemment- vont à l’encontre de ce changement intrinsèque à toute forme de vie, et que l’on croit que le lifting est la seule voie pour retrouver on ne sait quelle peau lisse et vierge, on en oublie qu’au contraire, c’est là un renoncement à la beauté. 
C’est comment cette vieille peau, comme vous dites, continue de révéler des expressions encore inconnues, des caractères encore dissimulés par la jeunesse et que seul le temps trace, et comment elle nous enseigne toujours davantage, c’est tout cela qui constitue sa beauté et sa vérité, toujours renouvelées. On ne leur fait pas un lifting à ces peaux, on les envisage et dévisage comme on n’avait encore pas pu le faire. 

Au contraire de vous, je doute vraiment qu’un philosophe digne de ce nom puisse se moquer comme vous le faites du corpus religieux. Allons, remettez vous de votre athéisme primaire et songez que ces textes sont le fondement de nos cultures, de notre histoire, de ce que nous sommes, et vous voudriez que d’un revers de verbe, nous décidions de notre propre suicide ! 
Vous m’amusez avec votre explication psychologisante, comme si le temps de mes lectures était un investissement dont j’espérais tirer les bénéfices et que par conséquent, en faire table rase constituerait ma faillite intellectuelle. Alors je vais commencer par vous rassurer sur ce point : je n’éprouve aucun besoin de reconnaissance universitaire, d’ailleurs je n’ai pas choisi de poursuivre dans cette voie et emploie ma vie à d’autres activités depuis longtemps déjà. Vous ne pouvez donc pas me ranger parmi les aspirants et spéculateurs académiques dont vous parlez. D’autre part, c’est bien parce que la nature m’ayant dotée d’une intelligence structurée- et je vous remercie du compliment- que j’ai jugé plus utile et surtout plus juste de l’employer à des travaux et intérêts humanistes plutôt que scientistes, ce qui lui aurait été sans doute possible, mais qui aurait cède au rationalisme triomphant qui en réalité conduit à la barbarie. 
Si vous ne pouvez pas imaginer Mohammed dans sa caverne discutant avec Gabriel, vous ne pouvez donc pas imaginer les épicuriens dans leur Jardin ni les Péripatéticiens dans leur Lycée. C’est triste ! Il va falloir renouer avec cette partie de votre cerveau que vous avez mise au congélateur alors que vous enseigniez une matière sensée la solliciter et si je me lançais dans une explication psychologisante du même niveau vous concernant, je dirais que vous êtes un littéraire malheureux, qui, incapable d’intégrer Polytechnique, s’est fait plus royaliste que le roi et a déclaré qu’au commencement n’était pas le Verbe mais l’Atome… Vous voyez bien que c’est du pipeau…
Je vais mettre fin à votre interrogation concernant mon attachement inconditionnel aux textes révélés et à Dieu, et vous allez, je pense, comprendre en quoi j’ai une approche réellement phénoménologique de ces questions. 

Par l’énoncé « Dieu est mort », le XXe siècle a été en Occident celui de la sécularisation de la pensée, laquelle a perdu tout rapport au sacré. Ainsi, la philosophie a mis fin à la métaphysique, soit à une manière de philosopher. Mais en même temps qu’on affranchissait théoriquement l’homme de Dieu, on posait la nécessite de l’avènement d’un homme nouveau, même si vous ne voulez pas l’appeler surhomme avec Nietzsche, il n’en demeure pas moins que vous considérez que l’homme ancien (qui croit toujours en Dieu) est inférieur à ce qu’il devrait être aujourd’hui, donc inférieur à son humanité et c’est précisément cela l’antihumanisme, vous avez la conviction que la figure de l’homme doit être dépassée, avec la possibilité que du coup, l’homme soit traité comme un matériau : un matériau pour surhumanité, un matériau pour son propre outrepassement ; d’où finalement une acceptation assez générale d’une consommation de l’existence humaine, conçue au fond comme une sorte de matière première, de carburant, pour la création d’une figure qui est au-delà de l’humanité. C’est pour cette raison que vous croyez que l’avenir de la science est dans la création d’une conscience automatique, ou d’un homme-machine hybride, cela ne vous choque en aucune façon, vous êtes persuadé que nous y sommes presque alors que je vous rappelle, contrairement à ce que vous affirmez, que la science est encore loin de fabriquer ne seraient-ce que des muscles artificiels, sinon je crois que de nombreux myopathes vous supplieraient de leur indiquer où se trouve ce remède miracle… Mieux encore, vous êtes prêts à admettre l’existence d’une machine qui pense et se modifie par elle-même – ce qui, permettez-moi, me fait rire- et qui serait une image de vous-même mais dessinée et conçue dans la perfection scientiste et à laquelle vous seriez sans doute prêt à vous soumettre corps et âme au nom du progrès. Et si un jour elle vous demandait de sacrifier votre fils ? Il n’ y a aucune raison à ce que cette machine, qui connaît parfaitement les rituels sacrificiels puisqu’elle peut en répertorier des milliers, n’improvise pas un ordre de cette sorte. Elle peut aussi, décider de votre propre mort, après tout, si vous avez tue votre Créateur, elle peut aussi tuer le sien… Quoi, vous allez lui enseigner la morale au cours d’une conversation d’ascenseur ? Lui apprendre à distinguer le Bien et le Mal ? Ah non, c’est vrai, vous vous situerez par-delà… Mais par-delà, vous serez hors-jeu. 
Ce qu’il est aussi intéressant de constater, c’est la large acceptation de ce point, de sorte que lorsque Dieu se retire, ou qu’on le retire, il reste deux possibilités : soit un humanisme radical, l’homme venant à la place de Dieu, mais c’est en réalité un anti-humanisme, soit la figure de l’homme disparaît avec la figure de Dieu.
En conséquence, je dirais, comme Husserl le faisait dans les années 1930, dans la Crise des Sciences Européennes et la Phénoménologie Transcendantale, que le rationalisme qui s’articule et conditionne l’idée de progrès de l’homme est malade. 
( A propos, la thématique d’une crise du rationalisme est récurrente dans les années 1930, on la retrouve dans le Malaise dans la Culture de Freud, texte dont l’intérêt vous a sans doute échappé, vous m’en voyez désolée pour vous). 
Quoi qu’il en soit, qu’est-ce que cette crise du rationalisme ? Deux versions sont possibles : 
- une version qui est : le rationalisme est aliéné, il s’est perdu lui-même dans une aliénation qui le défigure. Il n’est pas mauvais en soi, il s’est aliéné comme une figure étrangère à lui-même, et il faut donc le restituer à son authenticité. 
- 2ème version : le rationalisme a échoué radicalement parce qu’en réalité, quelque chose qui ne relève pas de lui est plus essentiel que lui. Ce n’est donc pas une figure du rationalisme qui s’est perdue ou aliénée, c’est le rationalisme en lui-même qui est un fourvoiement au regard de normes ou de valeurs plus essentielles que celles de la rationalité européenne (par exemple, les valeurs d’authenticité raciale, des valeurs liées au sang, à la terre, à la religion…)
Il faut comprendre par rationalisme non pas les opérations de la raison, comme on a l’habitude de le comprendre, mais exactement le contraire, c’est-à-dire, le projet d’infinité auquel se trouve ouverte l’humanité dans son ensemble. Ce que Husserl entend par rationalisme, c’est un certain type de connexion entre l’humanité et l’infini. Il en résulte que toute crise du rationalisme est une crise de cette connexion, une crise de l’infini. 

C’est l’irrationalisme nazi comme figure de la finitude, définissant l’humanité dans l’espace clos de la race ou de la nation qui est le résultat d’un renoncement à l’infini puisque on identifie le destin de l’humanité à des territorialités et des totalités qui sont fermées. Qu’est-ce que c’est finalement dans son essence la crise du rationalisme ? C’est que la totalité vient remplacer l’infini. 
A partir de ce constat, la thérapeutique de la crise, selon Husserl, c’est la réinstitution de la tâche infinie, il faut restituer l’homme à l’infinité de la tache. La crise, c’est la perte de cette connexion, ou le remplacement pur et simple de cette connexion par des totalisations finies dont le caractère barbare est obscène et violent.
Or, la question est aussi de savoir comment la possibilité même de la barbarie s’est-elle installée ? La réponse de Husserl est claire : la possibilité de la totalisation barbare s’est installée parce qu’on a cru que les sciences de la nature étaient paradigmatiques. La virtualité de la barbarie est apparue à partir du moment où la tache infinie du rationalisme prend comme modèle exclusif les sciences de la nature objectives. A partir du moment où pour des raisons compréhensibles, à cause du succès de ces sciences, on a fait des sciences de la nature le modèle absolu de la rationalité en général, on a « désinfinitisé » le rationalisme.
Le remède consiste donc à poser qu’il y a une rationalité autre que la rationalité des sciences de l’objectivité. Il faut donc ouvrir à la rationalité un champ autre que le champ de l’objectivité naturelle. Qu’est-ce qu’une rationalité différentes de celle des sciences de la nature ? C’est les sciences de l’esprit. Science est pris ici en un sens nouveau. Le rationalisme s’est aliéné, et, « … la raison n’en est pas dans l’essence du rationalisme lui-même mais seulement dans son aliénation dans le fait qu’il s’est ancré dans le naturalisme et l’objectivisme ».

Je suis sure qu’en lisant ces lignes, vous pensez que je suis en train de faire le procès des sciences, au profit de l’obscurantisme. Rassurez-vous, si j’espère que ces lignes vous montrent, par l’intermédiaire d’Husserl les limites de l’approche scientiste du monde, j’ai dans l’idée non pas seulement le fond de son interrogation, mais aussi sa méthode. Car on pourrait poser exactement les mêmes questions sur la crise du religieux aujourd’hui : cette crise est-elle une crise de dénaturation ou une crise d’identité ? Le religieux est-il dans une figure aliénée de lui-même ou est-ce une crise intrinsèque à ce qu’il est ? Autrement dit, est-ce une crise essentielle, une crise de l’essence de la religion, ou s’agit-il d’une aliénation de cette essence dans une extériorité ?
Comme Husserl le fait à propos du rationalisme, je réponds que la crise est dans l’aliénation qu’il connait. 

Mais poursuivons avec Husserl. Qu’est-ce donc que cette aliénation du rationalisme ? 
C’est la naturalisation : vous réussissez dans un secteur et vous pensez que cette réussite sectorielle est le paradigme de l’ensemble. Ce que dit Husserl, c’est que les sciences de la nature ont connu des succès remarquables, mais ça ne veut pas dire qu’elles constituent un paradigme pour l’ensemble du rationalisme. 

Ce qu’il propose, c’est de dénaturaliser le rationalisme qui consiste à prendre la partie pour le tout. C’est pourquoi sortir de la crise, c’est inventer un nouveau lieu, un lieu où l’infini perdu va avoir la chance de se retrouver. Il faut une autre pensée, mais une autre pensée, finalement, c’est la venue d’un Dieu.
Un peu comme dans une histoire d’amour : on peut considérer que la routine d’une vie de couple a dénaturé l’amour des premiers temps, et qu’il s’en suit deux choix possibles, soit on se quitte, soit on trouve une nouvelle façon de se retrouver. 
 Avec Dieu, c’est pareil. 
Je suis désolée que vous réduisiez l’idée même de Dieu à celle de trouille, mais après tout, tout le monde n’a pas la maturité nécessaire aux choses adultes.

Enfin, je n’ose même pas commenter vos dernières remarques sur le déterminisme et le fait que nos comportements soient imprévisibles, j’ai peur que votre aspiration au chaos ne constitue une pathologie ce qui expliquerait en partie votre mépris pour la psychanalyse. Finalement, vous êtes surement plus heideggerien que vous ne voulez l’admettre.



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