J’écris en capitales (le « gras » ne passe guère par l’internet), des passages importants.
Najat
J’en étais resté à la question
d’une « réhabilitation » de la doxa dont il me semble
que vous tiriez des conséquences un peu hâtives. L’objectif de
Husserl n’est évidemment pas, après avoir essayé de rendre compte
de la constitution du monde dans une subjectivité qui lui donne
sens, de nous renvoyer à des conceptions naïves et
pré-scientifiques, qui rendraient complètement caduques les
sciences régionales. Il y a quelques pages, dans « Expérience
et jugement », qui sont à cet égard tout à fait précises.
Par exemple, il écrit (p. 54) : « Dans tout cela, il ne faut
pas voir du tout une dépréciation de la connaissance exacte, ni non
plus des connaissances apodictiques de la logique. Le sens de ces
considérations est UNIQUEMENT DE CHERCHER A ECLAIRCIR LE CHEMIN
QU’IL FAUT EMPRUNTER POUR ARRIVER AUX EVIDENCES DE DEGRE SUPERIEUR,
ainsi que les présupposés cachés sur lesquels elles reposent,
présupposés qui déterminent et limitent leur sens ». Le
modèle de cette démarche, c’est évidemment celle de « L’origine
de la géométrie », que vous avec dû lire, préfacée par
Derrida. Lorsqu’il parle de « ces considérations »,
c’est évidemment du retour au Lebenswelt, à l’expérience
originaire du monde de la vie, « qui ne comporte encore aucune
de ces idéalisations [des sciences régionales] mais en est le
fondement ». Il écrit (p, 53) : « Le retour dans la
couche la plus profonde, la couche originaire ultime de l’expérience
anté-prédicative, SIGNIFIE UNE LEGITIMATION DE LA DOXA, qui est le
domaine des évidences originaires ultimes qui n’ont pas encore
accédé à l’exactitude et à l’idéalisation pysico-mathématiques.
Par là, il apparaît également que ce domaine de la doxa n’est pas
un domaine d’évidences d’un rang inférieur par rapport à celles de
la science, de la connaissance judicative et des ses produits, mais
qu’elles est justement le domaine ultime et originel auquel renvoie
pour son sens la connaisssance exacte, qui a pour caractéristique
d’être une simple méthode et non une voie conduisant à la
connaissance d’un en-soi » . Et à la suite de la première
phrase que je citais, et qui conclut le paragraphe, Husserl écrit
encore, parlant des connaissances exactes : « Elles ne sont pas
mises en question quant à leur contenu. Bien au contraire, il reste
que C’EST A ELLES QUE LA CONNAISSANCE SE TERMINE, que le cours de
celle-ci consiste à S’ELEVER DE LA DOXA A LA SCIENCE – simplement
ce but ne doit pas faire oublier l’origine et la légitimité
spécifique des degrés inférieurs ».
Vous voyez bien par là que Husserl, contrairement à ce que vous voudriez laissez entendre, n’est pas en train de nous expliquer que les « vérités » de la doxa vaudraient celles de la phénoménologie transcendentale, que les religions, par exemple, seraient égales en dignité et pourraient être mises sur le même plan. Au reste, il y a dans tous ces textes une certaine difficulté à entendre le mot « doxa », lequel suppose évidemment une perception déjà quelque peu thématisée du monde. Or, dans le même passage, il renvoie à l’anté-prédicatif, c’est-à-dire à une strate de la conscience qui précède même le logos : celle où les choses du monde se donnent en personne et sont immédiatement reconnues. La doxa, n’est donc pas ici une opinion construite opposable à plusieurs autres également construites, c’est ce que nous savons immédiatement sur l’espace, le monde, les êtres et les objets qui s’y rencontrent, ce qui fait que nous évitons, sans même avoir à construire un raisonnement, de traverser la rue s’il arrive un autobus.
Quand vous écrivez « La réduction phénomenologique permet d’accéder à une autre dimension du réel et il n’y a aucune opposition doctrinale entre la réduction phénoménologique et l’expérience mystique, la seule différence fondamentale est que la seconde implique une adhésion immédiate, une croyance de type fusionnel, et la première est régie par l’absence de toute présupposition, et se veut une analyse des phénomènes qui se donnent à moi. » vous paraissez assimiler la réduction à une sorte d’expérience initiatique quasi religieuse pour préciser qu’il y a tout de même une différence ; or, cette différence n’est pas petite, elle est radicale. Il est de fait que nous « croyons » au monde, et c’est bien ça la doxa dont il était question plus haut. Je peux bien, comme dans l’épisode cartésien du doute hyperbolique, penser que peut-être il n’y a pas de monde et que peut-être je n’existe pas moi-même, il n’empêche que si l’autobus n’est plus qu’à deux deux mètres, je suspends non pas la thèse du monde, mais le doute qu’elle induisait et je fais prudemment un pas en arrière. Il n’y a aucune preuve, au fond, de l’existence d’un monde, et il n’est qu’une croyance assortie de pseudo-preuves à peu près suffisantes pour être en état de continuer l’expérience de la vie. La phénoménologie essaie de comprendre la manière dont se constituent nos idées, elle essaie de remonter à l’expérience originaire qui fonde le rationnel, et si elle retourne en arrière, jusqu’à la croyance originaire, ce n’est pas qu’elle désire l’irrationnel : la visée husserlienne est bien celle, toujours d’une rationalité pure et d’un maximum de conscience. Tout cela est sans grand rapport avec cette espèce d’anéantissement vaguement orgasmique que suggère très bien, figurée par Bernin, cette transverbération de Sainte-Thérèse qui est assurément la meilleure représentation possible du mysticisme et de sa visée intentionnelle.
Vous rapprochez la Krisis et « Malaise dans la civilisation ». Les deux auteurs ont à peu près le même âge, tous deux sont juifs dans une époque abominable. Mais là s’arrête la similitude et je ne vous ai jamais dit que vous faisiez de Husserl un adepte de Freud ! Ce que je vous ai dit, c’est que Freud était l’exemple même de ce pseudo-rationalisme dénoncé par Husserl, et que si vous adhériez à la méthode de pensée de la phénoménologie transcendentale, vous ne pouviez qu’être horrifiée par l’abominable purée idéologique du Viennois. Je m’explique : la phénoménologie est assez radicale, elle veut en tout des descriptions exactes, qu’on ne confonde pas les mots et les choses, et qu’on ne bâtisse rien sur du fumeux. Si vous appliquiez cette exigences à une étude critique de Freud, que resterait-il ?. Quand vous me dites que ce sont des « hypothèses valides de pensée et de travail », vous êtes dans une espèce de relativisme dilettante qui fait contraste avec votre défense des principes d’une phénoménologie qui, à l’inverse du totalitarisme freudien, n’est pas une théorie fermée, mais une simple méthode qui, quoique inachevée et perfectible, s’impose impérieusement comme antidote, une fois qu’on l’a assimilée, à toute naïveté. Je sais bien qu’on trouve tout en philosophie, et même le relativisme du dilettante ou des manuels scolaires ! J’ai perdu le petit « que sais-je » que Lyotard consacre à la phénoménologie. Il y a à la fin au moins un chapitre consacré aux rapports entre le marxisme et la phénoménologie. Je me demande, mais je ne peux pas vérifier, s’il n’y en a pas un autre qui traiterait aussi de ses rapports avec la psychanalyse ! Aujourd’hui, il me semble que ces sortes de rapprochements ne seraient plus possibles. Marx est intéressant en tant qu’auteur du passé traitant d’un monde du passé et permettant d’aider puissamment à le comprendre, mais c’est une pensée close, finie à tous les sens du terme. Freud, lui, ne nous apprend rien, et même il nous égare. Au reste, vous ne devez pas vous être beaucoup intéressée à la question – ce que je ne saurais vous reprocher parce que c’est vraiment perdre son temps – puisque vous paraissez prendre pour argent comptant ce que dit Freud de l’efficacité de ses traitements. « Ils avaient donc une valeur empirique et pratique », écrivez-vous. Et vous ne l’écririez assurément pas si vous aviez lu Borch-Jacobsent & Shamdasani, Van Rillaer ou Bénesteau qui ont fait le point sur la question en étudiant minutieusement tous les documents dont il est encore possible de disposer : Freud, s’il a conduit au suicide bien des gens (je pourrais vous retrouver les statistiques) n’a jamais guéri personne. Mais des héritiers de Husserl, quoiqu’hostiles à la théorie freudienne (et on voit mal comment ils n’auraient pas dû l’être), se sont quand même intéressés à la question, ont consenti à en débattre. C’est le cas de Merleau-Ponty (avec Pontalis) et même de Sartre écrivant ce scénario pour Huston qui n’a jamais été réalisé . On leur disait : la psychanalyse guérit les névrosés, c’est un fait certain. Cela les ébranlait un peu. C’est comme si je vous assurais que lorsqu’on a mal aux dents il suffit de faire trois tours sur soi-même en prononçant tel mot. Pourquoi ne pas essayer ! Cela dit, aujourd’hui, à moins d’être gâteux comme l’était devenu Ricoeur à la fin (lui qui, dans « Philosophie de la Volonté » ratatine si bien la psychanalyse) ils seraient un peu moins conciliants. Le sort de la psychanalyse est aujourd’hui réglé : elle disparaît.
Le fait que je nie toute valeur à la théorie psychanalytique ne m’a jamais empêché de savoir qu’il existait des maladies mentales. La shizophrénie, la paranoïa, l’hystérie et les hallucinations n’ont pas été inventées par Freud, que je sache, encore moins par Lacan et Yung, lesquels sont encore pires que leur géniteur idéologique !
Depuis près de vingt ans, je ne lisais presque plus que des historiens ou de la philosophie du moyen-âge, pour ne pas mourir complètement idiot. Vos dernières interventions m’ont fait retrouver Husserl, et non sans un certain plaisir ; je tiens à vous en remercier.
19/10 13:46 - Najat Jellab
Christian Je vous prie tout d’abord d’excuser ma réponse si tardive et impromptue, (...)
24/05 13:57 - Christian Labrune
ERRATUM " Et à la suite de la première phrase que je citais, et qui conclut le paragraphe, (...)
24/05 13:30 - Christian Labrune
J’écris en capitales (le « gras » ne passe guère par l’internet), des passages (...)
23/05 12:28 - Christian Labrune
Najat, Il faudrait peut-être, pour commencer, recentrer un débat qui a progressivement (...)
23/05 01:37 - Christian Labrune
Najat, Il est de fait que lorsqu’on traite de questions philosophiques, la littérature (...)
22/05 20:11 - Najat Jellab
Christian, Alors ça c’est pas de bol, parce que dans mon temple, en plus de Socrate et (...)
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