DE LA NORMALITE
Louis XVI était
au fond un homme fort estimable. Très cultivé, ouvert, curieux des
sciences, des techniques et de leurs progrès, très désireux de
servir son pays du mieux qu’il le pourrait. Voltaire lui-même, qui
n’a connu que les quatre premières années du règne, avait pour lui
une certaine sympathie et se montrait plutôt optimiste. Mais
Louis XVI est tout à fait « normal », préférant se
divertir à des travaux manuels, comme un homme du commun, ou se
promener sur les toits de Versailles plutôt que de parader au milieu
de sa cour et de trancher avec fermeté au moment de prendre des
décisions importantes. Il ne ressemble guère à son très anormal ancêtre,
quatorzième du nom, un peu caractériel, terriblement rongé par la
folie des grandeurs, se prenant pour le centre d’un monde enfin
devenu héliocentrique. Bref, l’anormalité dans tout son lustre
paradoxal, et jusqu’à un certain délire. Cette « ’anormalité »
de Louis XIV ne l’a quand même pas empêché de savoir très
précisément ce qu’il voulait ni de s’y tenir. Sans doute, il s’en
faut bien que tous les historiens veuillent en faire un personnage
très sympathique, et le bilan du règne est souvent plutôt nuancé,
mais il y a là un style qui en impose, même aux détracteurs.
Une vraie politique, en France, depuis
Louis XIV, vise nécessairement la « grandeur ». Pour
devenir grand quand on ne l’est pas -et les défaitistes de tous
bords nous ont assez répété que la France n’était plus grand
chose -, il faut d’abord vouloir le paraître et savoir refuser de se
laisser conduire par les circonstances jusqu’à devoir dire comme tel
ministre (Jospin, je crois) confronté à un problème d’injustice
sociale : on n’y peut rien. Voilà où conduit nécessairement la
« normalité » de style socialiste, et jusqu’à voter -pour notre honte éternelle- les pleins pouvoirs à un Pétain, et
jusqu’à confier beaucoup plus tard la direction du pays à l’un des
fils spirituels du Maréchal, estampillé par sa francisque, et qui
nous laisserait pour seul héritage un Front national dont nous nous
serions bien passés.
Bref, la normalité qui veut se régler
au pas du plus grand nombre, se conformer à l’attente des masses,
pour la plus grande gloire d’un Conformisme qui est la tyrannie des cons, à quoi conduit-elle ? A
la guillotine, aux massacres de septembre ; à la soumission au Reich,
à la soumission inconditionnelle, à partir de 84, aux lois d’un
libéralisme hors-la-loi.
Ce qui nous attend, je le crains fort,
c’est une de ces catastrophes retentissantes dont le cours « normal »
de l’histoire paraît avoir le secret.