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Commentaire de sasapame

sur Dictature de l'euro


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sasapame sasapame 24 juin 2012 07:42

Oui, la Fed, 1913, la Banque centrale « des USA » propriété d’un cartel de banques privées. Et oui, contrairement à ce qu’on entend dire un peu partout, le grand pillage mondial associé au régime du dollar n’est donc aucunement lié au fait que le gouvernement étasunien disposerait d’une planche à billet, il provient uniquement du monopole du dollar. Quant à l’empire en question, il est évidemment sous la direction d’une clique privée — c’est d’ailleurs un pléonasme.

Mais s’agissant du pouvoir des « banquiers », comme toujours, l’affaire qui est grosse est à la fois aussi simple que ça et bien plus compliquée.

Tout d’abord, la Fed, c’était tout sauf une première. La Banque « d’Angleterre », fondée en 1694, fut privée depuis le début et nationalisée seulement après la 2e guerre mondiale. Bien plus tard, la Banque « de France », créée en 1800 : même topo. Nationalisée seulement à la Libération (après avoir été d’abord réquisitionnée par Pétain au service des nazis). Pour une liste incroyable des méfaits inouïs de cette « institution » dans les décennies précédentes, voir Le choix de la défaite, d’A. Lacroix-Riz.

Entre temps, le premier institut d’émission étasunien, mis en place en 1791, était déjà privé... Plusieurs décennies plus tard, contraint par la guerre, le Congrès se décide et parvient à émettre sa propre monnaie. Ces billets encore surnommés Greenbacks auront court bien plus longtemps que ceux de la Fed (les « Redbacks ») mais auront finalement été émis en très faible quantité en comparaison.

Ensuite, a-t-on pour autant ôté aux banques (de dépôts) privées le pouvoir de créer « notre » monnaie ? Que nenni ! Elles continueront d’en créer l’essentiel. Avant le tournant des années 1970 où tous les États — compris la Grande Bretagne et les États-Unis (depuis 1979 pour ces derniers) — s’interdisent de bénéficier de la moindre once de la monnaie créée. Pour nous, on connait la suite depuis Maastricht : le verrou est doublé avec le passage au plan « européen ».

S’agissant des USA, il y a plusieurs phases. D’abord, entre 1913 et 1928 (de mémoire), la Fed est autorisée à acheter des bons du Trésor sur le « marché primaire ». Autrement dit, l’État (le gouvernement fédéral) peut créer une partie de la monnaie. Après quoi on restreint les achats au marché secondaire  : comme pour nous actuellement, les bons du Trésor ne peuvent plus être achetés directement par la Banque centrale (sinon, elle passe son temps à en acheter aux banques, c’est la contrepartie la plus classique, courante, car la plus « secure », de leur « refinancement »). Autrement dit, l’État se contraint à ne pouvoir emprunter qu’aux « marchés financiers » (au passage, c’est un terme idéologiquement très marqué, car en réalité ils n’ont rien de comparable aux marchés ordinaires et, contrairement à eux, sont toujours inutiles, en plus d’être nuisibles). Pour en revenir aux USA, pour financer l’effort de guerre, lors de la seconde guerre mondiale, ils se remettent à autoriser la « monétisation directe de la dette publique » — encore un terme idéologiquement fort marqué (comme si la norme devait être que la monnaie soit créée par le privée et non par l’État...) — en se disant qu’ils arrêteront au plus vite. Mais la date sera reportée maintes fois, jusqu’en 1979.

L’oligarchie financière qui règne depuis était alors parvenue à s’imposer sur tous les pays « occidentaux » après avoir, on le sait, obtenu que le monopole du dollar se fasse total, grâce à la désindexation définitive de 1971. Le but principal de cette interdiction stricte de la création monétaire publique étant de créer de toutes pièces des marchés « obligataires » internationaux — en clair, bien sûr : un cartel international de banquiers — qui imposeraient leurs diktats à tous les États, donc à tous. Une situation formalisée par la « refonte » des statuts du FMI issue des Accords de la Jamaïque de 1976.

Cet épisode 1971-1979 marque un virage nettement plus notable, à mes yeux, que celui de 1913. Car une fois encore, la norme historique sera entre 0% et quelques % de la monnaie créée par et pour les pouvoirs publics, et tout le « reste » par et pour le privé. La seule exception, à ma connaissance : la France durant les quelques années qui suivent la Libération. Et encore, on n’en sait rien. Des on-dit. On aurait non seulement séparé les banques d’affaires et les banques de dépôt, mais également fait de la Banque de France le prêteur en 1er ressort". Ce qui supposait, techniquement, de séparer aussi les activités de dépôt et de prêt. Mais alors que la trace est assez claire pour les USA, et un peu aussi pour la Grande-Bretagne, je n’ai jamais pu retrouver les textes et les chiffres pour la France d’après guerre. Quoiqu’il en soit, ça n’a pas pu durer très longtemps. La libéralisation bancaire reviendra vite.

En Grande-Bretagne, l’affaire est un peu plus subtile. Ceci avant comme après l’introduction de la « 3e phase », autrement dit de l’euro. En un mot, ce pays reste souverain, au sens où il ne s’est pas lié les mains par des traités, côté régime monétaire, mais ça ne dit aucunement que le peuple y soit souverain... La preuve : il prolonge « souverainement » sa très longue tradition consistant à ne jamais monétiser directement sauf, manifestement, en cas d’absolue nécessité et sous contrôle scrupuleux de la finance. Un signe, à mes yeux, que ce pays a longtemps été et demeure étroitement contrôlé par la haute finance. La City n’est-elle pas, de très loin, le plus grand paradis fiscal du monde (s’y trouvent les portes donnant sur 50% des places off-shore de la planète) ?

En fait, on pourrait encore remonter bien plus loin dans l’histoire et tirer un constat assez similaire quant au contrôle de la création monétaire, même si la nature des monnaies ayant changé, l’analyse requiert d’autres approches techniques.

Et au bilan, si on schématise à peine, la triste vérité, c’est que les rares fois, dans l’histoire, que des pouvoirs publics se sont résolus à reprendre une part du pouvoir de création monétaire et le contrôle du crédit, c’est lorsqu’il était déjà trop tard et que l’on sombrait soit dans la guerre soit dans une révolution. Des phases dans lesquels le pouvoir n’est assurément pas démocratique, ne peut l’être un tant soit pu... jusqu’à nouvel ordre. A ce stade, on peut dire que la monnaie et, au-delà, le régime, en étaient d’une manière ou d’une autre arrivés au point de s’effondrer.

Pourquoi cette triste situation et un tel acharnement à la reproduire ? C’est pourtant simple à comprendre, et je crois que le plus important est de comprendre ça : regardez tous les autres domaines que le pouvoir monétaire, et voyez comme les sociétés humaines, sauf exceptions rares et rarement durables, ont été loin de savoir les contrôler un peu démocratiquement. Or le pouvoir associé au monopole de la création monétaire étant évidemment une arme considérable. Et on se doute qu’il est devenu potentiellement bien plus considérable encore depuis que la monnaie ne fut plus composée de métaux précieux. Ce qui est une très bonne chose en soi, car cela allait permettre enfin la possibilité de produire des choses sans être arrêtés par une contrainte bien artificielle et inutile, mais ce qui doublait la mise, pour ainsi dire, s’agissant du défi démocratique.

Or, avec le développement du crédit bancaire moderne, depuis le XVIIe siècle, on s’achemine vers la révolution industrielle, et malgré un foisonnement de réflexions sur les institutions, les élites font largement un choix libéral. Celui d’un système fondé : d’une part, sur un « bien-être » des peuples qu’il s’agirait de trouver dans la multiplication des progrès techniques, une organisation du travail de plus en plus finement morcelée et une consommation de plus en plus frénétique ; d’autre part, sur une aristocratie élective. Laquelle, avec le suffrage universel, débouchera sur les partis et les autres organisations et organes de masse. Tandis que se développaient en parallèle des entreprises toujours plus grosses, dotées de toujours plus de droits, ou encore les Bourses. Autant de leviers qui allaient amener une concentration de pouvoirs de plus en plus phénoménale — n’a-t-on pas là, déjà, presque tous les ingrédients de l’horreur totalitaire ?

Pour en revenir à l’arme monétaire, qu’a-t-on fait ? Nos élites ont simplement abandonné d’avance l’idée d’essayer de la mettre sous contrôle public, et ont préféré la refourguer au « marché », en croisant sans doute les doigts pour que, côté privé, ce pouvoir reste au moins partagé entre plus de mains différentes qui, avec la concurrence... Voilà.

Oui, ne vous y trompez pas : les banques, ce n’est personne. Nos monnaies sont créées par les banques privées, mais qui bénéficie de ce régime et, par ailleurs, qui décide de la création monétaire ? Les bénéficiaires sont ni plus ni moins les épargnants, hauteur de leur fortune. Quand aux décideurs, ce sont ni plus ni moins ceux qui demandent un crédit. Les entreprises, pour l’essentiel (qui sont structurellement emprunteuses pour la bonne raison qu’elle doivent payer salaires, locaux et matériel avant de pouvoir vendre leur production). Bref.

Mais à l’heure où le régime se met à craquer de toutes parts, il faut veiller à ne pas se tromper de cible. En l’occurrence, l’ennemi n’est pas les banques, et encore moins le crédit. Le problème, c’est de savoir qui contrôle la création monétaire (plus que qui en bénéficie, car on peut toujours redistribuer) et pour ça, les amis, on en revient toujours au seul vrai problème de fond : comment organiser une démocratie un peu digne de ce nom.

Evidemment, le problème de l’euro, en particulier, est à 100% politique et se pose principalement en termes institutionnels. Si ce monstre d’euro est une monnaie faite par et pour les rentiers, c’est d’abord parce que l’UE est un système à 100% tyrannique et oligarchique. Du reste, évidemment, l’euro ne pouvait pas marcher pour la même raison qu’il demeure impossible d’établir un parlementarisme européen un peu digne de ce nom, sans parler de démocratie. Pour finir, je me permets de vous renvoyer à l’analyse que j’ai postée ici : http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/nous-on-veut-pourquoi-il-faut-118812


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