Bonjour M. Dalmas,

Merci pour cet article qui met les pieds dans le plat. Je voudrais apporter quelques nuances si vous le permettez.

Tout d’abord, il me semble qu’il est incorrect de ranger le Hamas dans l’axe chiite. Le Hamas est de confession sunnite. Et il serait vain d’insister car le sunnisme et le chiisme sont théologiquement irréconciliables. Ce qui fait que paradoxalement, le point sur lesquels ces mouvements de résistance islamique se rejoignent sont en fait des points pragmatiquement laïcs : le combat contre l’Etat israélien.

Ensuite, il me semble là encore dangereusement réducteur d’opposer sunnisme et chiisme : l’immense majorité des sunnites vivent en paix avec leurs voisins, et leurs autorités religieuses (les conseils d’oulémas) sont bienveillantes et pacifiques. Non, ce qui s’oppose ici, c’est la secte fondamentaliste de Mohammed Ibn Abdelwahhab, le salafisme, qu’une imposture intellectuelle répandue voudrait nous faire prendre pour le sunnisme.

Au XIXe siècle, dans l’Arabie sunnite qui n’était pas encore la propriété privée de la maison Al-Saoud, ce prédicateur fondamentaliste rencontre le riche Mohammed Al-Saoud, alors simple potentat local, et ces deux-là passent un pacte : Al-Saoud finance le wahhabisme, et Abdelwahhab l’aide à étendre son empire sous l’égide de sa conception particulièrement radicale de l’Islam sunnite.

Le salafisme (ou wahhabisme) est une doctrine selon laquelle le sunnisme contemporain est devenu dégénéré et « polythéiste » (un peu comme les chrétiens qui vénèrent des saints), et il conviendrait selon eux que les musulmans se réveillent, abattent leurs idoles, et retournent au mode de vie des disciples contemporains du Prophète (Salaf, d’où le nom) en réservant leur vénération à Allah seul. La destruction des mausolées de Tombouctou est à lire à l’aune de cette doctrine, et nous donne immédiatement la confession de ceux qui la perpètrent : ce ne sont pas des sunnites au sens traditionnel du terme, ce sont des wahhabites.

C’est la même distinction théologique qu’entre Jean-Paul II et Torquemada : il est non seulement difficile de les confondre mais particulièrement injuste.

Il convient d’ajouter que le wahhabisme (ou salafisme) est rejeté par la majorité des autorités musulmanes sunnites classiques. Bien que les conseils d’oulémas ne puissent pas les invalider complètement au point de vue théologique, car les wahhabites prennent le Coran au pied de la lettre, ils leur reprochent essentiellement de sortir les citations hors de leur contexte, ce qui aboutit à faire dire à certaines sourates le contraire de leur sens global (exemple : alors que Mahomet autorise la polygamie quand il s’agit de ne pas laisser une veuve et un orphelin dans le dénuement, les salafistes tronquent la citation et n’en retiennent que la première partie pour en faire une généralité : « Mahomet autorise la polygamie »).

Je vais même apporter une dernière nuance : tous les wahhabites ne sont pas adeptes de la violence religieuse. Il faut leur rendre cette justice minimale et reconnaître qu’une partie d’entre eux sont pacifiques. Ceux-là qui se permettent de déclencher la violence religieuse et de pourchasser les « mécréants » (les Takfirs) sont nommés Takfiristes. Leur acte est interdit dans la structure classique de l’Islam sunnite traditionnel, car seul un conseil d’oulémas peut définir qui est mécréant ou non, ce n’est pas au croyant, fût-il un cheik (érudit de l’Islam), de s’arroger le droit de définir qui doit être combattu par les armes. Ceux qui s’arrogent ce droit s’excluent d’eux-mêmes de l’oumma. On les nomme takfiristes, car non seulement ils sont fondamentalistes (wahhabistes ou salafistes), mais en plus ils s’arrogent le droit de définir eux-mêmes qui sont les ennemis de l’Islam.

Comme vous le voyez, l’affaire est simple : ce n’est pas l’Islam qui est en guerre contre le reste du monde, ce n’est pas non plus l’Islam sunnite qui est en guerre contre l’Islam chiite, c’est la branche violente (takfiriste) d’une secte fondamentaliste (wahhabite/salafiste) de l’Islam sunnite qui est en guerre contre le reste du monde.

Bien cordialement