Bonjour à tous !
Après quelques jours de vacances en « province », je reviens sur ce site et souhaiterais ajouter quelques mots et répondre à quelques questions si tout le monde n’est pas encore parti.
A propos de la langue des signes, j’ai moi-même enseigné il y a une vingtaine d’années l’espéranto à des étudiants préparant un diplôme universitaire d’interprète en langue des signes, je suis donc étonné d’apprendre qu’elle a été si longtemps bannie de l’enseignement en France. Toujours est-il qu’elle ne répond pas au même besoin de communication que l’espéranto. Les espérantistes sont particulièrement attentifs à toutes ces situations spécifiques, si je n’avais pas été dans des congrès espérantistes je n’aurais peut-être jamais appris que lorsqu’on parle à un aveugle, on utilise le cadran d’une horloge fictive pour mentionner la position d’un objet sur une table.
Mais le problème n’est pas de figurer sur telle ou telle photo de famille. L’espéranto figure sur une photo où les langues nationales n’ont pas leur place, parce qu’il s’agit d’un problème de communication qui n’a rien de national. Pourquoi dénaturer la langue de Shakespeare en l’utilisant à des fins auxquelles elle n’était pas destinée ? Negravasky signale que le français fait exception en intégrant les emprunts, depuis plus d’un siècle, sans en adapter l’orthographe. Il fait aussi exception en refusant d’envisager toute réforme de l’orthographe. Nous sommes allergiques au changement, et convaincus que notre vision du monde devrait être un modèle pour l’humanité, pas étonnant que nous soyons réticents à admettre l’utilité de l’espéranto.
Vous parlez des connotations qui se forgent dans toute langue par la pratique quotidienne de cette langue. Les espérantistes partagent certains moments de vie ensemble, certes, par exemple à l’occasion de congrès, mais avec des conséquences linguistiques encore marginales. Cela étant, les connotations sont à double tranchant. C’est parce que les Anglais sont polis qu’ils ne rigolent pas en entendant à travers leurs connotations l’usage international que l’on fait de leur langue. Je suis curieux de connaître l’original anglais de la phrase de Harry Potter : « J’ai deux mots à vous dire : bon appétit ». Danica Seleskovitch citait l’exemple de l’étudiant interprète chinois français qui avait traduit : « il ne portait que sa chemise ». Pour un Chinois, cela signifiait qu’il ne portait pas de veste, pour un Français, qu’il ne portait pas de pantalon. En quoi ce type de connotation est-il une richesse lorsqu’on s’adresse à un public international ? Tous ces problèmes de diversité culturelle ne concernent pas spécifiquement l’espéranto, ils se poseraient dans toute situation de communication internationale quelle que soit le mode de communication utilisé. Et ils se posent plutôt moins en espéranto, qui dispose d’une grande créativité. Je n’ai toujours pas trouvé de bonne traduction, en français, de « tagmangxeto » (ou du verbe « tagmangxeti »). La première traduction d’Astérix en espéranto a été faite par une équipe internationale, chacun est parti de l’Astérix dans sa langue et on a conservé le meilleur de toutes ces traductions.
La dimension du lexique est-il une richesse ? Deux linguistes américains se sont fait mal voir lorsqu’ils ont classifié les langues d’après le nombre de termes qu’ils utilisaient pour désigner les couleurs. Pour moi qui ai déjà du mal à distinguer le fromage blanc de la crème fraîche, si je devais manipuler quinze termes différents pour parler de la neige, ce serait non pas une richesse, mais un casse-tête. Il existe plein de termes pour désigner les nuages, combien en utilisons-nous ? Peut-être que si le Groënland invite un prochain congrès espérantiste, nous enrichirons notre vocabulaire en ce qui concerne la neige. L’important est que derrière ces termes se trouve une réalité que nous percevons clairement en tant que concept. En mathématiques, par exemple, les élèves manient un peu aléatoirement tout un tas de mots qui ne correspondent à aucune réalité sous-jacente. Dès l’instant où la réalité est là, n’importe quelle langue, et pas moins l’espéranto que toute autre, est capable de forger les mots dont elle a besoin. En argot, aucune autorité linguistique n’a été nécessaire pour fabriquer un grand nombre de mots distincts désignant (par exemple) l’argent.
A propos de root-uzanto, pour Linux. Windows a aussi un utilisateur prédéfini, mais il s’appelle, dans la version française, Administrateur. Il a d’ailleurs plusieurs utilisateurs prédéfinis, Administrateur n’est pas celui qui a le plus de privilèges. La « localisation » des programmes et systèmes informatiques est un enjeu important, et les espérantistes, en mettant le doigt notamment sur la question de lettres accentuées, ont contribué à la prise en compte du problème. Tout n’est pas encore résolu : cet été, à Helsinki, un espérantiste israélien a consulté ses comptes bancaires, qu’il a vu apparaître en caractères cyrilliques. Linux n’est peut-être pas suffisamment « localisé », mais tout cela n’a rien à voir avec l’espéranto.
Savoir ce qu’apporte l’espéranto, outre les exemples marginaux, comme un espérantiste qui a obtenu un poste grâce à un diplôme espérantiste, ou le fait que c’est un espérantiste hongrois qui, vers 1982, m’a trouvé le brevet du Rubik’s Cube, que mon conseil en brevets avait été incapable de se procurer : quand je suis allé au congrès mondial des linguistes à Tokyo en 1982, beaucoup de congressistes étaient venu le jour de l’ouverture du congrès, avaient passé la semaine dans l’enceinte du congrès et étaient repartis juste après la fermeture du congrès. En tant qu’espérantiste, j’étais venu plusieurs jours avant, j’avais été accueilli par des espérantistes dans plusieurs villes du Japon. Pour qui dispose d’un peu de temps, l’espéranto permet de voir le monde différemment. Il n’y a peut-être pas de profit matériel immédiat, mais il y a trente ans les idées écologiques ont eu du mal à se faire une place au milieu des réalités économiques. Qu’il y ait une certaine dose d’amateurisme, c’est concevable, nous avons des moyens limités, mais la puissance financière, même si elle offre des services de meilleure qualité, impose son hégémonie, ce qui n’est pas le but de l’espéranto. L’espéranto ne peut pas se tenir à l’écart d’un marché concurrentiel, certes, mais pour la quasi-totalité des espérantistes, l’espéranto est un loisir. Beaucoup d’idées sont intéressantes (j’étais moi-même à Rauma lors du manifeste), mais il reste à voir comment les mettre en oeuvre.
En attendant itv...
Ce débat s’est considérablement détourné de son objet initial, et au point où nous en sommes, autant répondre aux questions qui m’ont été directement posées même si elles nous entraînent vers des considérations cognitives qui mériteraient un autre débat.
Je ne sais pas précisément quels sont les blocages psychologiques qui m’empêchent de bien maîtriser l’anglais. Sans doute que l’investissement nécessaire serait supérieur au bénéfice que j’en retirerais. La situation va sans doute évoluer, maintenant que mes enfants utilisent davantage l’anglais que le français, je dois donc utiliser l’anglais pour parler avec leurs professeurs et leurs camarades de classe, mais aussi, de plus en plus, pour aller voir des films avec eux.
Le distinction entre un problème et la perception du problème : depuis très longtemps je suis hostile au modèle stimulus - réaction, qui est inadapté, par exemple, à traduire la différence entre « entendre » et « écouter ». Le même stimulus nous atteint, nous avons le même cablage de neurones, mais dans un cas rien n’arrive au cerveau, dans l’autre il se produit un sens. Attraper le stimulus pour en faire un élément d’information (ce que j’appelais un « infème » vers 1978) nécessite une action volontaire motivée pas exclusivement par une situation extérieure, mais par un besoin individuel. Ainsi, pour percevoir un problème, il faut un besoin interieur qui n’est pas objectivement lié au problème. Le problème en soi est un peu comme le noumène de Kant, quelque chose d’insaisissable, et la seule chose dont on puisse réellement parler, c’est de la perception que tel ou tel individu a du problème. Le refus que beaucoup de gens ont de l’espéranto n’est pas explicable par l’espéranto lui-même, mais par un préconditionnement au moment où l’on entend le mot espéranto. Seulement le monde bouge, et tout comme il faut s’ouvrir aux réalités écologiques si l’on veut que la planète survive, il faut également s’ouvrir à un nouvel équilibre en matière de diversité culturelle, et si cet anglo-américain dénaturé qui n’est pas la langue culturelle anglaise et qui vise uniquement à prolonger l’hégémonie de ceux qui sont hostiles à la diversité culturelle n’est pas la solution idéale, il convient d’étudier ce que l’espéranto pourrait apporter d’autre, et non de plus. Tout ne se traduit pas en termes quantitatifs de rentabilité financière : j’entendais à la radio les Chinois expliquer que si les travailleurs sont contents, ils produisent mieux. Dans nos pays riches occidentaux, on se comporte comme si on gérait la pénurie, et c’est les rapports de force qui permettent à chacun de conserver sa part du gâteau. La notion de qualité de vie n’est pas nécessairement quantifiable, et je ne voudrais pas prolonger le débat dans ce sens, mais elle est importante...
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