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Commentaire de HORCHANI Salah

sur La nouvelle tendance du Ministère tunisien de l'Enseignement Supérieur !


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HORCHANI Salah HORCHANI Salah 17 août 2012 22:42

« Nouvelles de la Faculté des Lettres de la Manouba (Tunisie)
(Tunis, le 24 juillet 2012)

Par Habib Mellakh
universitaire, syndicaliste
Professeur de littérature française à la FLAHM

Tunisie : enjeux d’un procès 2/2

La nouvelle stratégie de l’extrémisme religieux et ses limites

Avec ce procès, les extrémistes religieux recourent à une autre stratégie pour déstabiliser la FLAHM et l’université. Ils renoncent momentanément à l’opposition frontale et essaient d’instrumentaliser la justice pour avoir à l’usure les universitaires et obtenir gain de cause, réutilisant la stratégie éculée des agresseurs qui, pour se tirer d’affaire, prétendent avoir été agressés.

Ils pensent qu’avec la mise en examen du doyen et de sa condamnation qu’ils appellent de tous leurs vœux, ils vont avoir toute la latitude pour obtenir la révision des choix pédagogiques, scientifiques, du contenu des programmes et de la réglementation régissant la vie universitaire.

Ils oublient, ce faisant, que le responsable élu d’une institution d’enseignement supérieur ne gère pas son établissement comme une propriété privée, qu’il met en œuvre les décisions d’un conseil scientifique, lui aussi élu, parce que la loi et ses engagements électoraux l’y obligent.

Ils ne tiennent pas compte aussi ou ne connaissent pas l’histoire de la FLAHM faite d’une longue tradition de luttes pour faire valoir l’autonomie institutionnelle et syndicale, pour défendre les libertés académiques, pour le maintien du principe de l’élection du doyen, pour son extension aux directeurs des établissements universitaires et aux recteurs.

Je peux témoigner, pour avoir eu l’honneur d’avoir été, au cours des trente dernières années, un acteur privilégié de cette histoire en tant que coordinateur général du Syndicat Général de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique ou comme responsable élu pour assurer au sein de la FLAHM ou d’autres institutions des fonctions aussi bien académiques que syndicales, du dénouement heureux de ces luttes, de l’expérience qui en a résulté pour l’université et de la transmission de ce legs de génération en génération pour le bien de l’institution et du pays.

La FLAHM recueille aujourd’hui les fruits de cet héritage. Il ne faut pas chercher ailleurs les raisons d’une résistance aussi héroïque ou expliquer autrement son raffermissement dans les prochains mois.

Ce rappel historique montre aussi la cécité politique de ceux qui ont poussé le ridicule jusqu’à prétendre que le doyen Kazdaghli et sont équipe ont mené ce combat pour des considérations politiques sectaires.

Les extrémistes religieux oublient surtout ou mésestiment la nouvelle donne politique qui fait que le combat de la FLAHM est devenu, depuis le 17 avril 2012, date de la publication de l’appel des 130 pour la constitution d’un comité de défense des valeurs universitaires, signé par plus de 1500 enseignants, artistes, acteurs de la société civile, militants des droits de l’homme, militantes féministes, un combat qui engage toute la société.

Le rassemblement du 5 juillet ou le bras de fer entre les salafistes et la société civile

C’est la société civile, toutes tendances et associations confondues qui mène aujourd’hui le combat pour le respect de l’autonomie institutionnelle et des libertés académiques à l’université dans une parfaite symbiose avec la FLAHM et la Fédération Générale de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, symbiose qui s’est manifestées pendant le rassemblement du 5 juillet devant le siège du tribunal de première instance de la Manouba, au cours duquel 2500 manifestants environ sont venus exprimer leur solidarité.

On a même vu un bus loué pour la circonstance transportant des universitaires venus de Sousse. Les militants de la coalition des ONG (plus d’une quarantaine d’associations), dont l’activité est coordonnée par le bâtonnier Abdessattar Ben Moussa, président de la LTDH, ont tenu à être présents massivement le jour du procès devant le tribunal.

La protestation s’est déroulée dans l’ambiance festive et solennelle caractéristique des procès politiques où les manifestants, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, entonnent des chants patriotiques pour exprimer leur détermination à poursuivre la lutte et pour clamer haut et fort leur conviction dans le triomphe des valeurs qu’ils défendent.

Les participants au rassemblement, optimistes et enthousiastes à souhait, en dépit du choc engendré par la requalification des faits reprochés à Habib Kazdaghli, ont entonné au moment de l’entrée du doyen dans la salle d’audience et à sa sortie du prétoire l’hymne national, ce chant révolutionnaire de la résistance contre l’occupation, pour signifier qu’ils étaient dépositaires à la fois des valeurs patriotiques et des valeurs de la Révolution.

Pendant ce rassemblement historique, les youyous des femmes, composante traditionnelle du rituel de protestation contre les procès politiques depuis les arrestations de Bourguiba et célébration anticipée d’une victoire assurée, fusaient de toutes parts et à intervalles réguliers, comme pour certifier que la lutte engagée porterait ses fruits, que le chemin de croix des universitaires ne serait pas vain et que les assauts de l’extrémisme religieux ne viendraient pas à bout du printemps tunisien appelé à perdurer grâce aux sacrifices consentis par les démocrates.

C’est en raison de cette prise de conscience des enjeux de ce procès pour la démocratie naissante en Tunisie que l’UGTT et la LTDH ont désigné les maîtres Monia El Abed et Mohamed Hédi Labidi pour défendre le doyen Kazdaghli et qu’un collectif d’avocats s’est porté volontaire pour assurer sa défense.

Béji Caïd Essebsi, le premier ministre qui a mené à bon port la première étape du processus de transition démocratique et deux de ses ministres, Ridha Belhaj et Mohamed Lazhar Akremi, tous fondateurs de l’Appel de la Tunisie font partie de cette pléiade d’avocats même s’ils n’étaient pas tous présents dans le prétoire.

Le courage du professeur Ahmed Jdey, chercheur à l’Institut d’Histoire du Mouvement National, bravant la maladie pour être présent au rassemblement, victime d’un grave malaise dont il ne se remettra pas et qui décédera quelques jours plus tard ainsi que la présence de Khaoula Rachidi, cette étudiante devenue une icône en Tunisie depuis qu’elle s’est opposée au profanateur du drapeau national, sont emblématiques de cette détermination des démocrates tunisiens, toutes générations confondues, à empêcher que le printemps tunisien ne se transforme en automne salafiste ou islamiste.

Ce genre de procès et les actions liberticides contre l’université, les intellectuels et les artistes constamment légitimées par le mouvement Ennadha révèlent ce risque et battent en brèche l’opinion propagée par les gourous du parti au pouvoir d’une métamorphose de l’ancien Mouvement de la Tendance Islamique en mouvement démocratique musulman à l’image des partis démocrates chrétiens du vieux continent.

Cette opinion répercutée dans une certaine presse et communément répandue auprès de l’opinion publique apparaît de plus en plus, aux yeux de plusieurs observateurs de la scène politique tunisienne, dont les analyses très pertinentes sont confortées par les liaisons dangereuses entre le mouvement islamiste et ses cousins et alliés salafistes et surtout par le dernier congrès du mouvement, comme un mythe entretenu pour embellir l’image de marque du parti de Rached Ghannouchi.

Souhayr Belhassen est venue apporter le soutien de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme mais sa présence au rassemblement a été perçue comme un rappel symbolique de la solidarité internationale avec la FLAHM et son doyen exprimée depuis le début de la crise et à l’occasion de ce procès par des universitaires des cinq continents, par des instances internationales de protection des droits de l’homme, par des associations de la société civile internationale chargées de la défense des droits de l’homme.

Rappelons, de ce point de vue, l’appui inconditionnel exprimé en décembre 2011 par plus de 200 universitaires français et européens, celui émanant d’une centaine d’éminents chercheurs et universitaires du monde entier, publié en mai 2012.

N’oublions pas la position de d’Human Watch Rights exigeant depuis décembre 2011 des autorités tunisiennes la protection de l’espace universitaire contre les agressions salafistes.

En avril 2012, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme a soutenu, par l’intermédiaire de son rapporteur spécial pour le droit à l’éducation, Kishore Singh, venu en Tunisie effectuer une visite de travail, les revendications relatives au respect des libertés académiques et de l’autonomie institutionnelle formulées par les universitaires tunisiens.

En juin 2O12, Robert Quin, le directeur exécutif de l’association internationale Scholars at Risk, en visite en Tunisie, pour mener une enquête sur les violations de l’autonomie institutionnelle et des libertés académiques, a reçu des autorités tunisiennes - c’est du moins ce qui ressort de la conférence de presse qu’il a accordée à la fin de sa visite - la promesse qu’elles assureraient la sécurité des enseignants, qu’elles protégeraient les libertés académiques et qu’elles feraient des déclarations dans ce sens.

Dans une lettre ouverte au président de la République tunisienne, datée du 26 avril 2012 et qui a fait le tour du Web, André Noushi, l’un des fondateurs de l’université tunisienne et grand ami de la Tunisie, jugeant que les agressions salafistes menaçaient « l’avenir politique de la Tunisie » et « sa crédibilité à l’échelle internationale » a souhaité voir la FLAHM protégée et sécurisée « à l’intérieur de son enceinte par un corps de vigiles dépendant du doyen ».

Le Mouvement pour la Paix et contre le terrorisme a initié une pétition internationale de soutien au doyen Kazdaghli à la suite du procès du 5 juillet.

Si le rappel des réactions nationales et internationales aux agressions perpétrées contre l’université a un mérite, c’est celui de pousser ceux qui tablent sur une démobilisation des démocrates, à ne plus tirer des plans sur la comète et à réviser leurs calculs.

La chaîne de solidarité nationale et internationale en faveur du doyen de la Manouba et de la FLAHM, se renforce de jour en jour parce que - et les forces vives de notre pays l’ont compris - ce qui se joue aujourd’hui à l’université et dans toute la Tunisie, c’est l’avenir de la démocratie.

Un bras de fer impitoyable oppose les démocrates et les fossoyeurs de la démocratie et non, comme veut le faire accroire une propagande islamiste partisane, les croyants et les mécréants.

Ce clivage est créé de toutes pièces comme dans la crise du niqab ou à l’occasion du printemps des arts de la Marsa pour porter atteinte aux libertés , préparer le terrain à tous les projets liberticides et mettre fin à la démocratie naissante.

L’issue de l’interminable crise du niqab va dans les prochains mois constituer un test qui permettra d’évaluer les véritables intentions du gouvernement

S’il tient à sauver le processus démocratique et à montrer qu’il s’engage réellement, comme il l’a promis, dans la voie qui mène à l’avènement d’une république civile, il doit impérativement faire respecter les lois positives à l’université, assurer la sécurité des enseignants, des étudiants et du personnel administratif et ouvrier et veiller à ce que les véritables coupables des violences soient traduits en justice en vue de garantir le bon déroulement de l’année universitaire.

Dans le cas contraire, c’est sa crédibilité qui sera écornée et c’est la FLAHM qui risque de tomber de Charybde en Scylla et à sa suite plusieurs institutions universitaires visées par la campagne salafiste dans une atmosphère qui sera extrêmement tendue à la rentrée prochaine.

Ce scénario plus que probable, si le gouvernement ne fait rien pour débloquer la situation, déstabilisera vraisemblablement toute l’université.

On voit mal en effet comment les enseignants de la FLAHM et les universitaires tunisiens, qui ont fait preuve jusqu’à présent de beaucoup de retenue et d’un sang-froid exemplaire dans la gestion de la crise, pourraient éviter l’escalade que les derniers développements de la situation annoncent et vers laquelle poussent les salafistes qui font flèche de tout bois pour faire aboutir leur projet éducatif anachronique que la société civile tunisienne ne peut contrer que grâce à une plus grande résistance.

C’est ce que les présents à l’assemblée générale du 5 juillet ont compris puisqu’ils ont exhorté dans leur motion la FGESRS « à intensifier son activité dans le sens d’une plus grande coordination avec les composantes de la société civile et politique dans le but de contrer l’escalade adoptée par le pouvoir contre l’autonomie de l’université, les libertés académiques et pour donner une plus grande efficience aux outils de la transition démocratique », et toutes les parties concernées par l’université et la défense des libertés « à une mobilisation continuelle en vue de faire face à la dangereuse dérive de la justice et au danger de la faillite qui menace en général la transition démocratique ».

Prions pour que le gouvernement prenne la décision la plus avisée, celle qui permettra de mettre fin à la crise et qui évitera après l’annonce du verdict dans le procès intenté contre Habib Kazdaghli qu’un journaliste ne soit acculé à la publication d’un article qu’il intitulerait « Chronique d’une condamnation annoncée ». »

Salah HORCHANI

Source :

http://www.primo-info.eu/selection.php?numdoc=Do-76264278&PHPSESSID=005456936213a199ebc6899cffbdbbac


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