la France n’est pas réellement un pays chrétien, la plupart des gens sont agnostiques, et ils révèrent les figures sacrées qui correspondent. Il est évident qu’il y a des références officielles, telles Jules Ferry. Lui est tout à fait dans la ligne qui domine la France actuelle, alors que le Christ, on s’en moque. Je me souviens encore de cet éditeur de Saint-Germain-des-Prés qui me disait que je ne pouvais pas citer le Christ dans un essai sur la poésie parce que cela privait la poésie de liberté. Il faisait comme si d’emblée la religion chrétienne était inconciliable avec la liberté. Cela n’a donc rien à voir. L’Etat n’est pas dominé par des chrétiens, mais par des agnostiques. Il est en réalité difficile aussi de défendre le christianisme dans la France actuelle. Et aussi de critiquer Jules Ferry, ou même, jusqu’à un certain point, De Gaulle ou Mitterrand. On choque vraiment, quand on s’en prend à Mitterrand comme je l’ai fait un jour, pour sa politique culturelle. Sur le plan culturel, c’est une sorte de phare, de prophète ! Il appartient justement au camp des agnostiques. Pour les élites, « l’absence métaphysique de Dieu » relève de l’évidence, et en réalité, il y a beaucoup de partialité.
La France aussi reconnaît la notion de blasphème (même si c’est sous un autre nom), soit dit en passant, car c’est quand on insulte le drapeau, ou l’hymne national, ou l’un des sept symboles de la République. Alors bon. La République admet qu’il y a des choses sacrées, mais que Mahomet n’en fait pas partie, ni d’ailleurs Jésus-Christ. En fait, on tend en France à faire adorer l’Etat, même quand il ne le mérite pas. C’est ainsi. Et l’esprit critique ne consiste pas à remettre en cause des références culturelles autres que celles de la société dans laquelle on vit. Voltaire a critiqué les religions et la France catholique de son temps, et on se pense révolutionnaire en faisant pareil. Mais à présent que Voltaire est jugé plus recommandable que saint Paul, c’est un peu absurde, il n’y a là aucune forme d’esprit révolutionnaire, ou alors Brejnev, c’était un héros de 1917 ! Ce qui est réellement novateur, c’est de remettre en cause les certitudes qui existent actuellement en France, et non pas celles du temps de Voltaire, ou celles qui ont cours dans d’autres pays, voire d’autres continents ! En tout cas c’est mon avis.