@ Emile Mourey
Nous sommes bien
d’accord et, s’il y a un philosophe contemporain pour lequel j’ai une immense
estime c’est bien Marcel Gauchet. Voici les deux passages où, dans mon essai de
mars 2000, j’évoquais ses réflexions sur le sujet qui nous préoccupe ici.
»« Après la
»sortie de la religion" (1) qu’est-ce qui doit changer pour que la
religion puisse aider à « réenchanter le monde » ? (2) Dans ce monde où
l’on continue de tuer au nom de Dieu, la réponse me paraît évidente :
l’attitude envers les textes sacrés qui appellent au meurtre, qui prônent ou
justifient la violence."
Mais aussi, un peu
plus loin :
« » Dans son livre La religion dans la
démocratie (3) Marcel Gauchet me
paraît trop optimiste quand il écrit : "Nul parmi nous ne peut plus se
concevoir, en tant que citoyen, commandé par l’au-delà. La Cité de l’homme est
l’œuvre de l’homme, à tel point que c’est impiété, désormais, aux yeux du
croyant le plus zélé de nos contrées, que de mêler l’idée de Dieu à l’ordre qui
nous lie et aux désordres qui nous divisent."
L’agnostique citoyen du monde que je suis fera
remarquer à Marcel Gauchet que la terre entière est désormais "notre
contrée« , que c’est là qu’il faut étudier le »parcours de la
laïcité" (sous-titre du livre) et que certains de ceux qui, comme en
Algérie, en Afghanistan ou en Iran, "mêlent l’idée de Dieu aux désordres
qui nous divisent« tuent
»parmi nous" très fréquemment. Ceux-là se disent le plus souvent
croyants de l’islam, mais ce sont bien toutes les religions abrahamiques qui continuent de cultiver
la violence religieuse théorique, théologique ; les autres, sur lesquelles ne
porte pas cette réflexion n’étant
pas pour autant tenues pour dépourvues de toute violence. « »
(1) Dans son livre Le désenchantement du monde (éd. Gallimard, 1985) Marcel Gauchet, qui reproduit dans
son titre une expression de Max Weber, précise qu’il ne faut pas interpréter ce
qu’il appelle « la sortie de la religion » comme une
« disparition » de la religion : "On peut concevoir, à la limite,
une société qui ne comprendrait que des croyants et qui n’en serait pas moins
une société d’au-delà du religieux…"
(2) L’expression est
employée, à propos du judaïsme libertaire en Europe centrale, par Michael Löwy
dans le livre qu’il consacre à ce courant : Rédemption et Utopie (PUF, 1988)
(3) éd. Gallimard,
1998