@Tristan Valmour,
C’est très bien de nous résumer la doxa qui a fini par émerger des « sciences » de l’éducation. On voit ainsi plus clairement ce que peuvent être les causes de la très brillante situation actuelle.
Il est de fait que dans les sociétés où nous vivons, il peut paraître contradictoire de vouloir que 80% d’une classe d’âge soit au moins au niveau du bac si la plupart se trouvent condamnés à n’occuper plus tard, entre deux périodes de chômage, que des emplois tout à fait subalternes ; mais en disant cela, vous ne faites que souligner l’absurdité d’orientations politiques désastreuses que les spécialistes des sciences de l’éducation auraient dû être les premiers à dénoncer. J’ai vu pas mal de collègues s’élever avec vigueur contre des aberrations dont il était facile de prévoir les conséquences abominables, mais jamais un seul « pédagogue ». Les sciences de l’éducation, au contraire, ont toujours applaudi les pires inconséquences. C’est que beaucoup de charlatans ont vu dans cette situation une occasion de se rendre indispensables en proposant d’y exercer des fonctions de thaumaturges. Le résultat, c’est qu’on a tout nivelé par le bas et mis les élèves désireux d’apprendre - il en restait beaucoup - dans une situation où il leur devenait impossible de progresser, quelquefois même - dans certaines classes particulièrement abominables de certains établissements - de simplement travailler. Au lieu de faire appel à l’intelligence, on a introduit partout une sorte de mécanisation de l’exercice des disciplines. Ainsi, en français, quand j’ai pris ma retraite, on n’en était plus à demander à l’élève de rendre compte de ce qui faisait la spécificité d’un texte, mais simplement de savoir le classer dans une typologie. Ca, c’est un texte argumentatif ; ça, c’est un texte poétique. Dites-moi donc pourquoi c’est un texte argumentatif. Il résulte de cela que pour le malheureux élève, un extrait des « Pensées » de Pascal et un autre du « Dictionnaire philosophique » de Voltaire, c’est de l’argumentation et c’est donc à peu près la même chose. Si on voulait fabriquer des imbéciles, on ne saurait mieux s’y prendre.
Ce que vous écrivez à propos des systèmes de notation me paraît consternant. Si je vous ai bien compris, qu’on utilise des lettres, des couleurs ou une échelle de 0 à 20, cela n’aurait aucune importance, le professeur saurait toujours s’y retrouver comme lorsqu’un passe d’un système d’unités de mesure à un autre. Mais l’élève ne voit pas les choses de la même façon, et c’est précisément pour l’embrouiller qu’on utilisera les lettres, et demain les couleurs. Pour le tromper sur son niveau et ses capacités réelles, comme un médecin qui diagnostiquerait une maladie gravissime et renoncerait à en informer son client... jusqu’à ce qu’il en crève. Contrairement à ce que vous écrivez, les élèves intelligents sont extrêmement soucieux de s’améliorer, répètent rarement la même erreur grave et lisent ce qu’on écrit en haut des copies. Il y a dix ans, on avait inventé cette autre aberration qu’étaient des cours de « soutien » pour les élèves en difficulté. Je me souviens que dans une classe de seconde, un élève que je ne connaissais pas encore était venu me voir, avant même la première évaluation, me demandant de l’inscrire à ce cours à cause des grandes difficultés qu’il éprouvait lorsqu’il s’agissait d’écrire. Pourquoi pas ? A la fin du trimestre, il avait brillé dans toutes les disciplines, il avait la meilleure note en français, - certainement pas à cause des heures supplémentaires qu’il s’était infligées !- et les félicitation du conseil de classe. D’autres me disaient : m’sieur, j’étais à 5 et je suis passé à 7, j’ai quand même bien progressé, non ? Est-ce qu’il faudra que je vienne encore « au soutien », au prochain trimestre ?
L’école publique, aujourd’hui, ressemble aux unités de soins palliatifs des hôpitaux. On ne peut plus grand chose, ni pour les plus faibles ni pour les plus doués. Reste la morphine des bonnes paroles et des encouragements qui ne mangent pas de pain : la réussite pour tous et des mérites également répartis. L’essentiel n’est pas de vaincre, mais de participer, comme disait l’autre. Amen !