@ Morpheus :
Ce que je sais, je ne le dois pas non plus à l’école. L’Éducation nationale m’a appris à lire, écrire, compter, ce qui n’est déjà pas si mal. En dehors de ça, pas grand chose, ou des futilités qui font bien sur un CV afin de dénicher un emploi de grouillot pour payer ses traites.
Non, je ne vous parle absolument pas de diplômes et je fustige également cette manie du diplôme. Mais, entre nous, vous le premier, lorsque vous achetez un livre, ne commencez-vous pas par le retourner et regarder la biographie de l’auteur ? Et si l’auteur d’un livre de géopolitique indique qu’il ne possède qu’un brevet de chauffagiste, achèterez-vous quand même son bouquin sans aucun a priori ?
Aussi, bien que n’ayant pas de diplômes, vous êtes-vous instruit, par vous-même, non ? Je veux dire que pour en arriver à votre réflexion sur la démocratie, il a bien fallu que vous accumuliez un certain savoir, lui-même nourri, nous sommes d’accord, d’un vécu au quotidien, n’est-ce pas ? Eh bien c’est cela même que je vous demande de prendre en considération.
Pour les Grecs, toute action humaine est motivée par une finalité préalable, elle-même permise par la complémentarité de trois vecteurs : des qualités naturelles, un apprentissage, et une mise en application. Or, l’âge moderne a déjà fait bon marché des « qualités naturelles », inaudibles à notre époque. Vous voudriez, en outre, que soit faite l’impasse sur la nécessité d’apprendre la théorie avant de passer à la pratique ?
J’entends bien qu’il y a parmi nous des âmes de bonne volonté, d’une probité exemplaire et d’un courage à toute épreuve... mais il m’est avis qu’en permettant aux nouveaux gouvernants, dilettantes, de tout apprendre sur le tas, vous reculerez d’autant l’efficacité de leur action. Or, en démocratie, les administrés sont atteints d’un mal incurable, le « présentisme ». Ils ne vivent que de l’instant présent et ne supportent aucun délai à la mise en place des moyens de les « enrichir » (ou « soulager » si vous préférez).
En outre, comment inculquer à un peuple individualiste l’amour, la nécessité, voire la primauté que mérite la « chose publique » ? Autrement dit, comment les intéresser à la politique, toutes affaires cessantes, les détourner de leur commerce privé, et pour un moindre pécule par-dessus le marché ? Il eût été bien plus facile de transformer nos aïeux grecs en homo œconomicus que l’inverse. L’attrait du confort, de la facilité et du sur-le-champ a peu à peu maté l’esprit de corps et d’abnégation des sociétés dites « closes ».