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Commentaire de Morpheus

sur ACTIO POPULI


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Morpheus Morpheus 1er novembre 2012 16:06

(suite)

Venons-en maintenant au désintérêt des élus pour la chose publique. Pour être élu, un candidat doit affronter de nombreux obstacles et réunir des conditions. Pour commencer, il doit parvenir à plaire au plus grand nombre. Ce n’est pas une mince affaire. Il s’ensuit logiquement que le candidat doit montrer de lui un comportement qui séduise le grand nombre, et prononcer des paroles que le grand nombre veut entendre (on chasse l’électeur comme on attrape le lapin : par les oreilles). Le candidat peut croire à ce qu’il dit, et peut se comporter de manière séduisante en exprimant sa nature, mais il se peut aussi qu’il triche. Un bon flatteur doté d’un minimum de qualités de comédien peut faire illusion, et le peuple n’y verra, dans l’ensemble, que du feu.

Puisqu’il DOIT obtenir la faveur du plus grand nombre, le candidat à l’élection est mécaniquement amené à mentir sur lui-même et/ou sur ses idées et projets politiques. S’il ne le fait pas, il ne parviendra pas au pouvoir car il ne sera pas élu, et s’il n’est pas élu, il ne pourra pas mettre en œuvre son programme. On observera même, chez certains électeurs, l’idée que ces mensonges destinés à parvenir au pouvoir font partie du « jeu politique » et que celui qui ne joue pas le jeu est un mauvais politicien, et qu’il est donc logique qu’il soit écarté du pouvoir.

Il n’est pas rare d’entendre dire des électeurs que les politiciens habiles aux intrigues politiques sont bons, alors que ceux qui se font piéger sont nuls. C’est un symptôme parmi d’autres de la perversion du système, qui résulte du fait que, par le truchement de l’esprit de compétition, nous aimions les gagnants et détestions les perdants - même si la victoire est acquise de façon malhonnête.

On peut voir, déjà, que rien que l’exercice pour parvenir au pouvoir exige une grande énergie et une grande concentration : il faut y consacrer tout son temps et tout son esprit. Mais pas seulement : il faut aussi beaucoup d’argent. Une campagne électorale coûte cher. En outre, le système étant bien verrouillé, parvenir à être élu demande une structure de soutient efficace : le parti. Pour parvenir à être élu, il faut déjà être désigné par le parti. Pour cela, il faut, pendant des années, avoir milité pour d’autres au sein du parti , et y avoir consacré beaucoup de temps et d’énergie. Il y a déjà une évidente aliénation, car il est difficile de rester indépendant dans pareille structure, qui n’est elle-même pas du tout démocratique.

Tout ce temps, toute cette énergie consacrés à parvenir au pouvoir, puis ensuite à y rester, éloigne considérablement des vrais questions, des vrais problèmes, de la vraie chose publique. L’énergie, le temps et l’argent que l’on consacre à l’obtention du pouvoir, il n’est pas consacré à l’analyse des problèmes, à la recherche des causes, à la formulation des solutions. Qui plus est, le système étant fondé sur l’idéologie capitaliste qui met le profit au premier plan, lorsque des solutions sont avancées, elles se heurtent très souvent frontalement aux intérêts de l’industrie et de la finance, c’est-à-dire les intérêts privés du (très) petit nombre.

Le lien de corruption entre les intérêts privés (les ploutocrates) et les élus se profile déjà diablement. Les élections étant très ruineuses, et les intérêts des plus riches s’opposant à celui du grand nombre, il est facile de comprendre l’intérêt des plus riches à faire en sorte, par toute sorte de stratégies, que les élus leur soient redevables. Bernard Manin le dit lui-même, il est mécanique que les élus s’intéressent avec un bien meilleur « rendement » aux intérêts du petit nombre que constitue les plus riches contributeurs, plutôt qu’aux intérêts du grand nombre que constituent les électeurs. N’oublions jamais que l’élu souhaite aussi être réélu ... Voilà donc comment et pourquoi les élus se désintéressent de la chose publique et ne consacrent leur énergie qu’à répondre aux sollicitations des intérêts privés.

Je gage que vous ne renierez pas cette analyse, du moins pas complètement, puisque vous en venez ensuite à évoquer le patriotisme, l’amour de la patrie. Comme je l’ai dis un peu plus haut dans les intervention, je serais assez d’accord avec vous sur la notion de « patriotisme », si toutefois la patrie était bien l’expression de la volonté commune, et la consécration du pouvoir de tous. Si la patrie était bien au service de l’intérêt général, si elle me donnait, à moi comme à chacun, un pouvoir d’autonomie (du grec nomôs, la loi et auto, par soi-même), alors le patriotisme serait l’amour de ce qui me protège : le corps social.

Mais il n’en est rien. Le corps social ne me protège pas, et ne protège pas les intérêts du grand nombre, puisque la perversion de l’oligarchie mène irrémédiablement à ce que seuls les intérêts privés du petit nombre soient la préoccupation des élus. Il s’ensuit donc fatalement que je ne peux manifester aucun patriotisme pour cette institution que l’on nomme trompeusement « patrie », et qui sert les intérêts des plus riches tout en m’excluant chaque jour un peu plus du corps social en faisant de moi un marginal, un paria et un soi-disant « parasite » (et qui sait, bientôt un dangereux agitateur, un terroriste en puissance, une menace à l’ordre public ?).

Considérant cette analyse, vous comprendrez les raisons qui font que je ne vous rejoins pas dans la formulation d’une solution qui en appelle à... l’homme providentiel, forcément élu du peuple, et prolongement de l’idée qu’il me (qu’il nous) faut en appeler à une autorité supérieure. Ce serait là d’une grande incohérence avec ce qui ressort de mon analyse, c’est-à-dire que la cause de l’apathie mortifère du peuple se loge dans le prolongement, à l’âge adulte, d’un modèle de soumission à l’autorité auquel, pour devenir vraiment adulte, il nous faudrait en toute logique renoncer afin d’acquérir notre autonomie et prendre en main notre destin commun.

Il y a, dans la conception hiérarchique, comme un dessaisissement pathologique de notre responsabilité publique, qui cause notre incapacité à résoudre en commun nos problèmes, et en appeler toujours à d’autres, plutôt qu’à trouver en nous (individuellement ET collectivement) les solutions en nous intéressant au plus près à ces problèmes. Cette « chose publique » qui nous concernent tous objectivement, même lorsqu’elle touche des personnes que nous ne connaissons pas en propre, parce que même ces personnes inconnues font partie de notre corps social. C’est à la fois cette conscience et cette maturité qui manquent. C’est cela que j’aimerais éveiller en nous.

Cordialement,
Morpheus


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