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Commentaire de easy

sur Le meilleur des mondes


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easy easy 10 novembre 2012 16:05

Le constat d’Huxley est valide mais incomplet. Parce qu’il est incomplet, parce qu’il ne montre que les perversions de notre société, il offre un boulevard à ceux qui fantasment d’une révolution.

Or avant de faire une révolution, il faut faire un bilan complet de la situation actuelle. Il faut compléter ce que Huxley n’a pas dit.
Si l’on ne fait pas le bilan complet, si l’on n’examine pas ce qu’il en serait sans ce panurgisme, on va en un éclair à croire qu’on peut conserver le concept de société mais l’orienter différemment pour aboutir au bonheur. Ce que s’empressent de faire les révolutionnaires en herbe.

A quoi sert le fait de vivre en société ?
Il y a deux millions de réponses à cette question puisque nous vivons en société depuis des millénaires et que nous avons tout bâti sur ce principe. (Il y a par exemple le fait de la spécialisation : La vie en société permettrait l’optimisation des compétences de chacun)
Il ne faut pas se perdre à examiner ces deux millions de réponses car elles sont filles de la société et on virerait alors forcément au sophisme ou à l’ouroboros.
 
Il faut essayer de trouver la cause première. Il faut essayer de trouver cette cause qui nous a conduits à accepter de vivre comme des ’moutons’ (à quelques éclats d’humeur et suicides près)

Qu’est-ce qui peut y avoir chez l’homme non socialisé de si effrayant ou repoussant que nous ayons convenu d’un modus vivendi de ’moutons’ ?

Probablement le cannibalisme.

Je ne vais pas exploser ici les arguments que j’ai trouvés en ce sens mais vous inviter seulement à partir de ce fait comme postulat. D’autant que s’il n’est pas premier, il n’est pas loin derrière.

Il a fallu trouver le moyen de parvenir à ne plus avoir une peur énorme des dents de nos congénères, il nous a fallu inventer le sourire.

Et il nous a fallu détourner notre cannibalisme primaire en un cannibalisme secondaire puis tertiaire.
La classification des secteurs d’activités humaines en secteur primaire, secteur secondaire et secteur tertiaire, traduit le fait que nous nous sommes mis à pratiquer une cannibalisation indirecte et de plus en plus indirecte.
Ce n’est plus la viande de nos congénères que nous visons mais, comme pour nos chevaux, leur travail.


Pourquoi manger cet homme alors que je peux en faire le porcher qui me livrera de bonnes saucisses ?


Le jeu social consiste à cannibaliser l’autre en ce qu’il accepte de se faire croquer.

Comme chacun préfère se faire croquer son travail que sa vie, ce jeu arrange tout le monde. Et voilà l’être humain devenu premier être vivant à pratiquer l’échange de nourritures (posées en tiers car on n’offre pas son bras à manger), de productions (posées en tiers car on n’offre pas ses productions corporelles à consommer. Encore qu’il y ait des exceptions, tel le sang et certains organes désormais).

 
Il va de soi que le porcher veut bien se faire croquer son boulot à condition que le forgeron accepte de se faire croquer lui aussi son boulot.
On convient assez aisément de ça.
Alors on passe au troc et si de temps en temps il y en a un d’entre nous qui préfère croquer notre viande, nous, les échangistes-tiersistes, nous convenons de le pendre.
Nous voilà devenus commerçants.
Même les dealers, qui sont souvent des jeunes, pratiquent ce qui est devenu un réflexe des plus basiques et sont des commerçants.

Une fois le commerce, le troc local-local établi, arrive la notion de commerce distant.
Là on n’est plus dans l’échange entre voisins de village, on est dans l’échange avec des gens ramenant des marchandises venant de loin.
Surgit alors l’intermédiaire.
Ce n’est plus du troc entre celui qui propose des carottes et celui qui propose des cochons, tout ça produit dans le village. C’est du troc par personne interposée où l’intermédiaire fait son affaire des litiges qu’il a eu avec son fournisseur. Autrement dit, chacun du village peut acheter au marchand itinérant des produits qu’il a obtenus en volant, en tuant, en pillant quelqu’un au lointain.
Ce pillé, ce tué, ce volé au lointain, chacun ici s’en fout.
Chacun peut subodorer que l’intermédiaire a pillé mais ici, entre nous, gens de ce village, on n’en a vraiment rien à faire. Et nous voilà à échanger avec un type qui a pourtant abusé de quelqu’un hors notre vue.


Ce principe du commerce à cloisons se développe et on en arrive à la situation actuelle où chacun participe à un jeu où il y a quelques échanges honnêtes et équitables mais aussi énormément d’abus commis envers quelqu’un qu’on ne voit pas. Chacun de nous devient un des marchands intermédiaires d’une chaîne de production parfois fort longue et chacun de nous participe au cloisonnement du point de vue de l’équité.
Il se produit des abus, chacun en subi mais chacun cloisonne, chacun ment et rend le procès global impossible.
Nous fonctionnons donc au forfait. Nous nous contentons de ce forfait gains-pertes dans lequel accepter de se faire croquer notre travail, nous évite de nous faire bouffer en pot-au-feu.

Afin de consacrer notre renoncement au cannibalisme originel, nous traitons les cadavres de nos morts de sorte à ce qu’ils ne puissent être mangés.

Ce jeu de l’échange avec cloisonnements cachotiers (Il y a 10 milliards d’échanges marchands par jour sur Terre, il n’y en a pas dix qui se passent en toute transparence « Voilà à qui je l’ai acheté, à tel endroit, à tel prix ») permet à chacun de cannibaliser des autres de manière moins radicale et plus personne ne craint d’être dévoré. 

Alors moutons ? 
Non, intermédiaires de commerce se prétendant herbivores, c’est cela que nous sommes devenus.
En tant qu’intermédiaires de commerce de ce jeu néo cannibalisme, nous mentons tous, nous cloisonnons tous, et c’est cette hypocrisie commune, cette connivence néo cannibaliste qui nous donne des allures de penser tous pareillement.
C’est la raison pour laquelle depuis le temps que nous nous faisons les uns les autres traiter de moutons, nous persistons « Quoi ? Moi, cannibale ? Tu déconnes Léon ». Personne ne veut promouvoir la fin de l’homme herbivore car ce serait le retour à l’homme cannibale.

 
Etant entendu que comme dans tout jeu de société, il y en, a qui réussissent mieux que d’autres. Ca fait les riches, ça fait les pauvres.




Aucune révolution qui conserverait le principe social ne changera cet état de fait.

Il faudrait revenir au strict échange de source à source et en dyade ’’Toi, Moi, personne d’autre dans le coup« (comme cela se passait dans une relation entre amoureux du début du Monde) pour éviter le cannibalisme primaire et aussi le néo cannibalisme.
Il faudrait en revenir aux temps où aucun commerce ne se faisait sur un principe de lointain. Il faudrait revenir en arrière de 10 000 ans, au temps des cavernes. (Les Gaulois, les Celtes, pratiquaient déjà le commerce au-delà des collines. Ils pouvaient déjà vendre ce qu’ils avaient volé)
Mais ce retour en arrière, s’il est faisable un jour, une semaine, ne peut pas perdurer. On reviendra très vite au commerce polygonal. Nous avons trop besoin du tiers pour dissimuler notre néo cannibalisme.

Dans le cannibalisme, il n’y a que le dévoreur et le dévoré, rien en tiers.
Dans l’échange, il y a apparition de l’élément tiers. »Si tu ne me manges pas, je te donnes ça"

Ce ça est l’élément qui déboule en tiers dans nos relations.

(Seule les relations sexuelles et mère-enfant restent strictement dyades, encore que l’argent ou quelque autre argument apparaisse parfois en élément tiers)




Nous conviendrions d’être, ne serait-ce qu’à 10% cannibales, nous accepterions davantage qu’un type qui nous propose une bague de fiançaille nous avoue que l’or provient d’un néo cannibalisme. Or nous le l’acceptons pas ; surtout pas devant la belle à qui nous offrons cette merveille. Nous exigeons que le vendeur nous raconte une ontologie où personne n’a été abusé. De même quand nous offrons à notre belle un repas au Grand Véfour, nous refusons que le maître d’hötel nous raconte ce que l’oie a enduré pour aboutir à ce foie gras. C’est ainsi pour tout ce que nous achetons, y compris pour nous-mêmes.


Détails :

Quand un gamin est grondé par son parent, il se défend en invoquant un troisième élément qui n’est pas là, sur place, qui est quelque part au-delà des collines et qui est un élément agissant, une sorte de Personne.
Un procès, une dispute, entre deux personnes passe très vite à un procès à plusieurs. L’utilisation d’un tiers (sous mille formes, dont les formes On, Il, Dieu) est inévitable. 
C’est ce qui fait qu’en France en tous cas, les verbes se conjuguent certes en Je et en Tu mais aussi en Il, en Nous, en Vous et en Ils. (Le plussage, le moinsage d’une discussion par des tiers en est un des avatars)

Et la notion de Justice émane toujours d’un jeu à plus de deux.
Vous réclamez plus de Justice, alors vous réclamez du commerce à plus de deux.
Or le premier nerf des condamnations c’est le cloisonnement. On refuse que le condamné soit au contact des siens. Ainsi cloisonné, isolé, On peut abuser de lui, bouffer tout ce qu’il est possible de bouffer de lui. La Justice avec les violences qu’elle fait subir aux condamnés, sous ses airs de transparence, hyper cloisonne, met au secret et nous renvoie au plus près du cannibalisme primaire


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