Certes, mais j’appelle « sortir de soi » le fait de ne pas se considérer comme un être accompli et spontané, un ayant-droit ne devant rien à personne, pour qui le monde se résume à sa petite personne.
« Sortir de soi », c’est se départir du solipsisme, lire Platon, lire Nietzsche, lire Pascal, Montaigne, Flaubert ou Dostoïevski, se frotter à la difficulté des classiques, rechercher l’effort, le dépaysement culturel, fuir le conformisme... Tenez, je viens de voir le film Holy Motors, de Leos Carax, la fameuse bombe du dernier Festival de Cannes. Voilà une belle bouse made in France qui se veut anticonformiste et qui tape à côté. Et j’étais persuadé que les critiques seraient élogieuses... Bingo ! Les Inrocks, Libé, Politis, Les Cahiers, tout le gratin. Sûrement que quelques instituteurs dans le vent se feront une joie de montrer ça à des élèves à qui l’on apprend, précisément, à ne révérer que leur quotidien postmoderne, à « être soi même », le tout ponctué de messages fades sur la sainte tolérance.
Non Anaxandre, ce que j’appelle « sortir de soi », c’est déjà et avant toutes choses se considérer comme l’élément d’un tout qui nous dépasse et nous submerge, la communauté de nos semblables à qui nous devons le respect avant que de lui demander des comptes. Et c’est aussi être un peu plus humble que ne l’est l’être humain de nos jours et, sans demander à chacun de croire en Dieu, que soit au moins prégnant dans les esprits que l’homme est tout à la fois un géant ET un nain, que lui sont offerts les moyens de progresser (individuellement j’entends), qu’il est en même temps condamné à être inachevé et que certaines choses lui resteront éternellement inaccessibles. Que sa condition, toutefois, lui commande d’exercer sa pensée, afin de s’arracher à son soi routinier.
Bonne nuit à vous Anaxandre, et au plaisir.
EG