Il est étrange le concept de paradis.
Je me demande comment des gens en sont venus à concevoir un monde paradisiaque.
Que chacun conçoive un espace réduit ou protégé dans lequel règne une ambiance paradisiaque, oui, ça me semble naturel. Mais l’intérêt d’un tel endroit ne vient que du contraste avec l’extérieur qui est couramment angoissant, menaçant, dur, agressif, stressant.
Le paradis tel qu’imaginé par certains est un espace où tout est cooool. Pas de contraste. Alors le repos, la détente ne peut pas y avoir de sens. Le paradis, s’il existe vraiment, serait à crever d’ennui ou d’ataraxie. Pas de soif pas de faim, pas de désir, pas de soulagement, pas de joie...rien.
Sur Terre, sur la vraie Terre, ce sont les séquences où l’on se retrouve agressé, lynché, qui nous font apprécier les espaces de repos où l’on peut faire la sieste sans se prendre un coup de couteau.
On voit par exemple dans les films ou les romans, des fins après un déroulé tout en stress où survient enfin un printemps, une petite rivière tranquille et ils eurent beaucoup d’enfants. C’est donc bien qu’il nous faut l’horreur pour trouver ensuite du plaisir à la tranquillité. (mais c’est là un truc bien humain car les animaux ne semblent pas avoir besoin de ce contraste et ne semblent pas jouer à narguer la mort pour ensuite jouir de l’avoir déjouée)
Que vaudrait une messe de Noël si en dehors de ce moment là nous étions tous à nous faire constamment des câlins ?
Redoutons le dur, la violence. Fantasmons éventuellement qu’il n’y ait plus que douceur. Mais ne confondons pas la logique, la nécessité, la quête de ce fantasme avec une entreprise visant à le réaliser vraiment, pour de bon.
Il nous faut vivre ce paradoxe de l’aspiration à la tranquillité face à la présence de la violence pour apprécier les fragiles repos glanés ici et là. Nous devons accepter le fait que marcher vers la réalisation du paradis est valide mais que le réaliser est invalide.
La démarche iréniste est valide, pas sa finalisation.
Cela dit, je trouve qu’il y aurait une valeur inédite à promouvoir dans le monde.
Elle tournerait autour du tabou de l’ameutement.
Ce nouveau tabou irait à dire que le duel est valide mais pas la meute. Il énoncerait que si deux personnes se prennent de bec, il est absolument interdit à quiconque de s’ajouter à une des parties.
On peut certes se faire trancher la gorge par une seule personne. M’enfin, il m’apparaît que les pires des méfaits humains se produisent au-delà du duel à un contre un.
Ce qui s’est passé dans ce bus c’est d’une part le Nous-meute qu’ont formé les Françaises (ce n’était pas une fille seule qui chantait mais un groupuscule) et d’autre mart le Nous-meute qu’ont formé les autres passagers en réponse.
Le tabou de l’ameutement serait installé dans nos têtes, personne n’entreprendrait jamais plus d’une seule personne à la fois (fin des messes, manifs, discours et meetings. Fin des guerres alors)
La meute a certes sa source dans le fait qu’on réussit mieux une chasse en s’y mettant à plusieurs. Mais elle a aussi une autre source dans le fait que quand un tiers constate un duel entre un 120 kilos et un 50 kilos, il trouve ça inéquitable et cherche à compenser en s’impliquant. Mais il faudrait tout de même que nous discutions des conséquences désastreuses de cet archangisme.
Je vois évidemment un dommage ou une injustice dans un duel David Vs Goliath mais je vois bien plus de dommages quand des tiers s’en mêlent.
Il me semble étrange que personne, pas le moindre philosophe n’ait abordé cette problématique alors qu’elle est très conséquente et aboutit toujours à des affrontements massifs.
Il me semble que dans le strict duel à un contre un, aucun des protagonistes n’envisage d’infini. Chacun sait les limites de ses forces et ne voit que des finitudes.
Alors que dès qu’arrive la coagulation de tiers, chacun envisage les infinis.
Et la violence infinie (du genre de l’enfer prévu par les abrahamistes) c’est cela qui me semble le plus terrorisant.
Je sais que l’installation en nous d’un tabou de l’ameutement ou du tiers conduirait à réexaminer aussi nos coagulations pour fabriquer tant des missiles que des ponts et des hôpitaux. Mais je trouve qu’on n’y perdrait pas tant que ça au regard du bénéfice qu’il y aurait à ne plus jamais redouter les meutes.
Il me semble possible que les rois ou les Etats aient interdit les duels afin de se donner le droit de toujours intervenir en tiers privilégié dans toutes les relations. Et que le résultat n’est pas forcément heureux puisqu’il aboutit à des sanctions ou punitions infinies, infernales. Cf. Madoff 120 ans de prison.
Je ne parviens pas à imaginer comment nous gérerions toutes les situations si nous renoncions à l’ameutement tant ça bousculerait nos codes et habitudes mais je trouve qu’il serait temps d’en discuter.
Nous en sommes bien venus à discuter des inconvénients de nos productions d’enfants, sujet qui semblait pourtant indiscutable il y a deux siècles. Je ne vois pas pourquoi on ne commencerait pas à discuter du problème que posent les coagulations.