Lorsqu’on cherche ou prétend expliquer/comprendre (et de là tirer en tirer telle ou telle conclusion) les manifestations dans certaines portions des populations euromusulmanes de diverses formes de communautarisation ou de radicalisation religieuse, user du terme « islamisation » (détourné ou vidé de ses acceptions habituelles) fausse d’emblée le jeu, et vise à polémiquer plutôt qu’analyser.
Islamisation, tout en ayant une définition plus ou moins large, renvoie essentiellement à deux processus (l’un historique, l’autre contemporain) :
1) comme pour « christianisation », « romanisation » : islamisation renvoie à un changement de paradigme dans une société, la société « islamisée » passant d’un paradigme antérieur (chrétien, païen, zoroastrien, etc…) à un paradigme « islamique » :
a) soit par conquête (Egypte, Afrique du Nord, Perse) avec des manifestations pratiques différentes :
- en Egypte ou Perse, l’islamisation a correspondu pendant les premiers siècles avant tout à une domination politique par une élite arabomusulmane largement minoritaire : qui a eu pour conséquence d’influer sur l’islam que ce soit sur le plan culturel (ex : « persification ») ou religieux (ex : en Egypte, le fait que les arabomusulmans étaient largement minoritaire les a contraints à modifier substantiellement – pour raisons pratiques- certains principes coraniques : par exemple : non seulement extension de la pratique de la polygamie (très contraignante dans le texte coranique) afin d’accroitre la démographie musulmane mais ouverture de cette polygamie au mariage avec des femmes non-musulmanes , et d’une autre part –en fonction des mêmes contraintes démographiques- interdire le mariage entre musulmanes/non-musulmanes (alors que le texte coranique n’établit pas de distinction entre femmes/hommes sur ces questions). Ces exemples servent ici à illustrer le fait qu’ historiquement impacter autant les sociétés « islamisées » que la pratique et jurisprudence islamiques elles-mêmes
- en Afrique du Nord, on a observé une situation inverse : du fait des conversions massives des Berbères : l’impact a été autant religieux que politique : à peine quelques décennies après l’arrivée de l’islam en Afrique du Nord : la réaction berbère a conduit à modifier significativement la dimension politique de l’islam : jusque là avant tout arabe : les Berbères tout juste convertis revendiquant l’égalité (et l’abandon du système clientéliste antérieur voyant les convertis non-arabes sous tutelle d’un maître arabe) mais aussi l’accès au califat : cela a définitivement impacté l’évolution de l’islam, et les conséquences militaires des rebellions berbères ont posé les jalons de la Reconquista
b) soit par conversion progressive par le biais de marchands, missionnaires, etc… : en Inde (dans la période avant la conquête du Sindh), en Afrique subsaharienne, en Asie (Centrale ou du Sud-Est) : là à nouveau cela a eu des conséquences sur l’islam, puisque cela a permis le développement non pas d’écoles hétérodoxes (comme dans le cas de l’Afrique du Nord, la Perse ou l’Egypte) mais d’écoles « syncrétiques »)
2) pour la période contemporaine : islamisation renvoie à une forme de RE-islamisation des sociétés islamiques post-coloniales : dans un processus assez similaire à celui des différentes politiques d’arabisation menées aprés la décolonisation : l’islamisme s’imposant depuis la défaite « idéologique » du panarabisme ou nationalisme arabe mais le principe revient plus ou moins à la même chose et demeure une réaction à l’influence occidentale (islamisme et nationalisme arabe étant nés à la même époque en réaction aux ingérences ou influences occidentales) : on parlera donc de (ré)islamisation de Gaza avec la victoire du Hamas « islamiste » sur les courants arabo-nationalistes, de (ré)islamisation de l’Egypte, du Pakistan (sous Zia), etc….
Bref « islamisation » renvoie donc soit aux processus historiques qui ont donné naissance à des sociétés « islamiques », soit aux manifestations contemporaines de x variantes de l’islamisme (idéologie politique bien plus que religieuse, visant à constituer une société fondée sur le patrimoine juridico-légal islamique et rejetant tout ou partie du patrimoine occidental : ce qui en soi est une divergence quant à l’islamisme originel (XIXè siècle) qui lui visait à islamiser le patrimoine occidental : ici nous avons un rejet plus ou moins affirmé de tout ce qui est occidental) : DONC islamisation est un terme qui concerne avant tout le domaine musulman contemporain (renvoyant soit à son histoire/genèse ou à l’époque contemporaine) : l’utiliser pour les domaines non-musulmans le vide de tout son sens : il n’y a NULLE PART en Occident ou France d’apparition d’une élite politique musulmane ayant pris le pouvoir, ni de passage depuis une société fondée sur les valeurs dites occidentales vers une société islamique.
Ce que l’on constate est une sorte de ré-islamisation de certaines portions des populations euromusulmanes mais cette ré-islamisation (repli identitaire) renvoie à des processus opérant au sein de groupes musulmans formant des MINORITES dans des sociétés majoritairement NON-musulmanes et non pas à des processus opérants soit dans des sociétés MAJORITAIREMENT musulmanes, soit induisant un changement générale des sociétés NON musulmanes dans lesquels ces minorités évoluent ( à vrai dire, on assiste plus à une surenchère juridicolégale en Europe visant à multiplier les restrictions/limitations de certaines pratiques religieuses musulmanes plutôt qu’à l’islamisation des jurisprudences européennes) : et en cela, ces réactions identitaires (même si elles peuvent avoir des liens économiques, idéologiques, etc… avec les islamismes au sein de l’Islam) sont des réactions « répondant » à la situation socio-économique, politique des sociétés dans lesquels les euromusulmans évoluent, et en-cela sont similaires à d’autres réactions identitaires en Occident : elles ont souvent un discours assez similaire : conservatisme, rejet des valeurs libérales ou démocratiques, voir rejet de la laïcité, etc… (x rejets des dites valeurs occidentales que l’on retrouve dans diverses composantes des sociétés occidentales : x-droite/x-gauche antilibérale, x-droite religieuse, etc…) la différence étant dans les référents culturels.
En soi, la réaction islamique/islamiste au sein des groupes euromusulmans est avant tout « européenne » : et s’inscrit dans le cadre d’une réaction de plus en plus affirmée au dit/supposé « multiculturalisme » : dans les faits, plutôt faudrait-il parler de l’ « a-culturalisme » émergent au sein de sociétés en cours de fragmentation sociale, politique, culturelle. Aussi, nous avons des réactions similaires dans leurs mécaniques (retour à l’idée de communauté –idéalisée, abstraite ou territoriale, mais différant dans leurs référents historico-culturels : ce qui n’a rien d’étonnant : même les réactions identitaires « indigènes » en Europe diffèrent selon qu’on est en UK, Scandinavie ou Grèce.
Enfin, il est somme toute étonnant de constater que la rhétorique islamophobe produit des discours énonçant l’idée d’une islamisation inexorable de sociétés où le fait musulman demeure largement minoritaire (exemple : le discours islamophobe est le plus virulent aux Etats-Unis alors que l’islam ne représente quasiment rien ou peanuts au niveau démographique, statistique aux USA) :
a) les projections démographiques (incluant le profil démographique des groupes euromusulmans déjà existants) ne permettent aucunement d’imaginer une quelconque « Eurabia » dans les décennies voir siècles à venir
b) des espaces non-musulmans avec des populations musulmanes largement supérieures à celles que nous connaissant en Occident ne produisent pas de réactions aussi violentes/virulentes : Inde, Chine, ou Russie où le fait musulman est d’une tout autre ampleur et où le discours islamophobe lorsqu’il émerge s’inscrit dans une perspective somme toute classique de domination politico-culturelle et/ou gestion du multiculturalisme (ici bien réel, inscrit autant dans l’Histoire que le Territoire) et non pas dans une perspective apocalyptique tel qu’en Europe ou aux USA où les musulmans représentent dans le premier cas 3% à 4% de la population U.E (avec pour les projections les plus alarmistes de 8% à 10% à l’horizon 2030 : horizon 2030 qui devrait voir la démographie des pays musulmans prendre une direction nettement descendante, quant à celle des euromusulmans, elle se cale déjà (deuxième génération en général) sur celle des pays dans lesquels ils vivent)
Enfin, il y a aussi la manipulation du concept de « sharia », ayant les mêmes vertus « épouvantailesques » que le vocable « islamisation » et sa réduction à la seule perspective « islamiste » : c’est-à-dire donc à l’idée que « sharia » renvoie avant tout à un corpus juridico-légal (et dans l’imaginaire occidental bien souvent et avant tout aux seuls châtiments corporels que cela incluerait) et non pas à ce qui à la base ne revient qu’à un mode de vie « islamique » dont les définitions sont aussi nombreuses que les manifestations de l’islam ou qu’il y a de musulmans.
Pour conclure, séparer réactions identitaires euromusulmanes et européennes me semble une erreur : ici ces replis, ces réactions, etc.. sont avant tout fonction d’une même problématique : la fragmentation socio-culturelle en cours dans les sociétés occidentales, entrainant dans certaines franges des populations européennes un repli vers la « communauté » ; on ne peut lier uniquement et strictement les manifestations du communautarisme/radicalisme musulman en Europe ce qu’il se passe en Islam même si effectivement les groupes euromusulmans se voient eux aussi impliqués par les problématiques auxquels Islam et islam font face actuellement, problématiques/problèmes qui ne se limitent pas aux seuls salafismes, jihadismes ou islamismes mais avant tout à l’existence d’une véritable guerre ouverte entre par exemple salafis et soufis, réformateurs et conservateurs, démocrates et islamistes, laïcs et religieux (guerre dont le théâtre d’opération est autant en Islam qu’hors Islam) dans le cadre d’un processus global de « ré-forme/ation » de l’islam/Islam : et ici, je rappellerai donc que comme rapidement énoncé au début de ce commentaire : évoquer une supposée islamisation en ignorant ce fait essentiel : à savoir que même dans le contexte historique d’une véritable islamisation : le processus n’a jamais été à sens unique et a eu pour conséquences des changements parfois radicaux que ce soit de l’islam ou des musulmans : bref pour résumer : les musulmans ne sont pas « imperméables », et les euromusulmans n’évoluant pas dans des enclaves spatio-temporelles parallèles à notre continuum espace-temps : considérer que ces groupes euromusulmans ne connaissent actuellement rien d’autre qu’un processus de radicalisation de certains d’entre eux (radicalisation qui supposément conduira inéluctablement à la ré-islamisation (tendance fondamentaliste/communautariste) des populations euromusulmanes et au final de l’ensemble de la société française ou européenne) est à l’évidence une façon de biaiser tout débat, toute tentative d’analyse sur des phénomènes et processus qui ne sont pas uniquement « musulmans » mais globaux : fragmentation socio-culturelle, économique, politique ; « multiculturalisme »/ a-culturalisme du « village global » ; interdépendances et inter-influences de plus en plus accentuées et « instantanées » ; effondrement des modèles historiques, etc…
03/12 22:02 - xantrius
@ corinne colas Je partage les conclusions dans votre réponse, surtout : " Les Etats-Unis et (...)
02/12 15:43 - juluch
C’est quoi ce putain de charabia ?? Encore un intoxiqué par le sionisme... Vas consulter (...)
01/12 16:53 - Corinne Colas
@ Xantrius Corinne colas - ce n’est pas si simple comme ça (« bof bof (...)
29/11 23:50 - xantrius
@ Corinne colas - ce n’est pas si simple comme ça (« bof bof »). Le pouvoir en place (...)
29/11 22:18 - N.AMARA
@ Frankenberger « Il faut dés lors être profondément stupide et ignorant pour pratiquer (...)
29/11 18:24 - popov
@mastermind Pas besoin d’être judaisant, comme vous dites, pour constater que (...)
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