Comprendre la géopolitique du Moyen-Orient c’est comprendre la combinaison de multiples forces. Nous allons voir qu’il faut faut envisager au moins la combinaison de 3 logiques :
- les forces intérieures qui s’affrontent à l’intérieur d’un même État, comme la Syrie, l’Irak ou la Libye. Des conflits ethniques (Kurdes et Arabes), ou confessionnels anciens (chiites, sunnites, Alaouites, chrétiens…).
- les logiques d’influence des grands acteurs de puissance régionaux (l’Iran, l’Arabie Saoudite, le Qatar, Israël, la Turquie, l’Égypte…) et la façon dont ces acteurs utilisent les logiques communautaires dans les États où ils essaient d’imposer leur influence (Liban, Syrie, Irak)
- le jeu des grandes puissances (États-Unis, Russie, Chine, France, UK…) et en particulier la géopolitique du pétrole et du gaz.
À cette analyse géopolitique, il faut être capable de marier une analyse de science politique, et de comprendre en particulier ce qui se passe sur le plan des nouveaux courants idéologiques du monde arabe ou bien sur le plan de la légitimité des régimes politiques qui tremblent.
Par ailleurs il ne faut surtout pas avoir l’idée que les dynamiques qui secouent le Moyen-Orient sont très récentes. Il n’y a jamais eu de stabilité au Moyen-Orient dans les frontières que nous connaissons aujourd’hui. Si les Anciens parlaient à propos des colonisations et protectorats de pacification ce n’est pas pour rien. Seules les structures impériales, que ce soit l’Empire ottoman ou les Empires occidentaux, ou même dans une certaine mesure la Guerre froide entre l’Ouest et l’Est, ont en réalité gelé momentanément les affrontements claniques, tribaux, ethniques et confessionnels du Sahara jusqu’aux déserts d’Arabie en passant par le Croissant Fertile.
En réalité, il y a là une constante à peu près universelle. Là de véritables États-nation homogènes n’ont pu se former, la guerre civile est devenu une sorte d’état instable permanent.
Pour comprendre ce qui se passe en Syrie et les perspectives, je vais commencer par inscrire notre réflexion dans une trame globale.
Les États-Unis et leurs alliés sont sortis vainqueurs de l’affrontement bipolaire en 1990 et l’effondrement de l’URSS a rendu possible, à la fois l’extension de la mondialisation libérale à de nombreux pays du monde, et des transformations géopolitiques majeures comme la réunification de l’Allemagne et l’explosion de la Yougoslavie.
Les États-Unis ont tenté alors, portés par cette dynamique, d’accélérer le plus possible ce phénomène et d’imposer l’unipolarité, c’est-à-dire un monde centré sur leur domination géopolitique, économique, culturelle (softpower).
Ils se sont appuyés sur le droit d’ingérence face aux purifications ethniques ou aux dictatures, comme sur la lutte contre l’islamisme radical (depuis le 11 septembre 2001 en particulier) pour accélérer leur projection géopolitique mondiale.
Mais c’était sans compter sur une logique contradictoire : la logique multipolaire qui a été d’une certaine manière l’effet boomerang de l’expansion capitalistique soutenue par les Américains après la chute de l’URSS. Dopées par la croissance, ce que les Américains voyaient comme des marchés émergents, sont devenues des nations émergentes, soucieuses de compter de nouveau dans l’histoire, de restaurer leur puissance et de reprendre le contrôle de leurs ressources énergétiques ou minières. De la Russie à la Chine, en passant par l’Inde, le Brésil, la Turquie, jusqu’au Qatar, partout des États nation forts de leur cohésion identitaire et de leurs aspirations géopolitiques, s’emploient à jouer un rôle géopolitique croissant.
Washington a compris très tôt que la Chine marchait vers la place de première puissance mondiale et qu’elle ne se contenterait pas de la puissance économique mais s’emploierait à la devenir aussi la première puissance géopolitique. Perspective incompatible avec la projection géopolitique mondiale des États-Unis, qui dominent encore l’Europe avec l’OTAN, contrôlent l’essentiel des réserves de pétrole du Moyen-Orient et tiennent les océans grâce à leur formidable outil naval.
Dans cette compétition entre les États-Unis et la Chine, qui déjà dans le Pacifique fait penser aux années qui précédèrent l’affrontement entre les Américains et les Japonais dans la première partie du XXème siècle, le Moyen-Orient tient toute sa place.
Le Moyen-Orient représente 48,1% des réserves prouvées de pétrole en 2012 (contre 64% en 1991) et 38,4% des réserves de gaz (2012, BP Statistical Review ; contre 32,4% en 1991).
Pour les États-Unis, contrôler le Moyen-Orient, c’est contrôler largement la dépendance de l’Asie et en particulier celle de la Chine. L’AIE dans son dernier rapport prédit en effet que l’Asie absorbera 90% des exportations en provenance du Moyen-Orient, en 2035.
Comme l’Agence Internationale de l’Énergie nous l’annonçait début novembre 2012, la production de pétrole brut des États-Unis dépassera celle de l’Arabie Saoudite vers 2020, grâce au pétrole de schiste. Les États-Unis qui importent aujourd’hui 20% de leurs besoins énergétiques deviendraient presque autosuffisants d’ici 2035.
Rappelons qu’en 1911 quand le gouvernement américain morcela la gigantesque Standard Oil (de laquelle naîtront Exxon, Mobil, Chevron, Conoco et d’autres encore), cette compagnie assumait alors 80% de la production mondiale. Si les États-Unis redeviennent premiers producteurs mondiaux, nous ne ferons que revenir à la situation qui prévalait au début du XXème siècle.
Entre 1945 et maintenant, l’un des grands problème des Américains a été le nationalisme pétrolier, qui du Moyen-Orient à l’Amérique Latine, n’a cessé de grignoter son contrôle des réserves et de la production.
Il se passe donc exactement ce que j’écrivais il y a déjà presque dix ans (ce qui ne me rajeunit pas !), au moment de la Deuxième guerre d’Irak. Les États-Unis ne cherchent pas à contrôler le Moyen-Orient pour leur propres approvisionnements puisqu’ils s’approvisionneront de moins en moins au Moyen-Orient (aujourd’hui déjà le continent africain pèse plus dans leurs importations), mais ils chercheront à contrôler ce Moyen-orient pour contrôler la dépendance de leurs compétiteurs principaux, européens et asiatiques.
Si les Américains contrôlent encore le Moyen-Orient dans 20 ans (et je ne parle même pas de l’Afrique qui ne maîtrisera certainement pas son destin et sera sans doute partagée entre des influences occidentales et chinoise), cela signifie qu’ils auront une emprise énergétique considérable sur le monde et donc que la valeur stratégique de pays comme la Russie, le Venezuela (premier pays du monde devant l’Arabie Saoudite en réserves prouvées de pétrole : 17,9% contre 16,1% soit 296,5 milliards de barils de réserves sur le 1,65 trilliard du monde : BP 2012) ou le Brésil (grâce à son off-shore profond) aura alors fortement augmenté puisqu’ils seront des réservoirs alternatifs précieux l’un pour l’Europe et l’Asie, l’autre pour l’Amérique Latine.
Je fais partie de ceux qui ne croient pas à la raréfaction du pétrole. Non seulement parce que dans les faits, et contrairement à tous ceux qui n’ont cessé d’annoncer un peak oil qui ne s’est jamais produit, les réserves prouvées n’ont jamais cessé d’augmenter et que les perspectives avec le off-shore profond et le pétrole de schiste sont gigantesques, mais, au-delà, parce que je suis très convaincu par la thèse dite abiotique de l’origine du pétrole, c’est-à-dire que le pétrole n’a pas pour origine la décomposition des dinosaures dans les fosses sédimentaires mais qu’il est un liquide abondant qui coule sous le manteau de la terre, qu’il est fabriqué à des températures et des pressions gigantesques à des profondeurs incroyables, et que par conséquent ce que nous extrayons est ce qui est remonté des profondeurs de la terre par fracturation du manteau.
Nous n’avons pas le temps d’entrer dans ce débat scientifique mais selon l’explication biotique ou abiotique les conséquences dans le domaine de la géopolitique sont radicalement différentes. Si le pétrole a une origine biotique la question est bien celle de l’épuisement et des conséquences géopolitiques de la raréfaction puis de l’épuisement. Si le pétrole a une origine abiotique, l’enjeu est bien le off-shore profond et toutes les techniques de fracturation permettant de faire remonter le liquide précieux des profondeurs du manteau.
Mais revenons au pétrole du Moyen-Orient et souvenons-nous de quelques faits essentiels.
En brisant le régime de Saddam Hussein, les Américains ont tué dans l’œuf deux logiques qu’ils combattaient depuis toujours :
- le nationalisme pétrolier en Irak. Ils visent désormais le nationalisme pétrolier iranien.
- le risque de sortie du pétro-dollar : le fait d’accepter de se faire payer son pétrole en euro ou dans une autre devise que le dollar : ce que Saddam Hussein avait annoncé vouloir faire en 2002 et que les Iraniens font aujourd’hui et qui explique largement pourquoi les Américains imposent un embargo drastique sur les hydrocarbures iraniens.
Le lien entre pétrole et dollar est l’une des composantes essentielles de la puissance du dollar. Il justifie que les pays disposent de réserves en dollar considérables pour pouvoir payer leur pétrole, et par conséquent que le dollar soit une monnaie de réserve principale. Par voie de conséquence, ce lien pétrole/dollar est bien ce qui permet aux États-Unis de financer leur formidable déficit budgétaire et de se permettre une dette fédérale de plus de 15 000 milliards de dollars. Aujourd’hui tout le monde parle des dettes et crises européennes, mais les États-Unis sont, sur le plan de l’endettement (endettement fédéral, endettement des États, endettement des ménages) dans une bien pire situation que les Européens. Cependant leur bouclier s’appelle “dollar” et on peut penser qu’ils ont utilisé le talon d’Achille grec des Européens pour affaiblir l’Union européenne et fragiliser l’euro. Imaginez que la crise de la Grèce n’ait pas éclaté, et alors vous aurez ce qui se passait avant son éclatement : les banques centrales des émergents continueraient à accumuler de l’euro et à diminuer leur réserves de dollars… On comprend mieux pourquoi la Grèce a été conseillée par Goldman Sachs et JP. Morgan…
En imposant un embargo drastique sur l’Iran (9,1% des réserves prouvées selon BP 2012, soit le 3e rang mondial ; 15,9% des réserves prouvées de gaz soit le 2ème rang derrière la Russie avec 21,4% et devant le Qatar avec 12%) les Américains tentent aussi de briser l’un des derniers pays à vouloir contrôler son système de production pétrolier et gazier.
Quel est donc le lien avec la Syrie ? On en parle peu, mais la Syrie joue un rôle stratégique dans les logiques pétrolières et gazières au Moyen-Orient.
Or en 2009 et 2010, peu avant que n’éclate la guerre, la Syrie a fait des choix qui ont fortement déplu à l’Occident.
Quelles sont les données du problème ?
Depuis la fin de la Guerre froide, les États-Unis essaient de casser la dépendance de l’Union européenne au gaz et au pétrole russe. Pour cela, ils ont favorisé des oléoducs et gazoducs qui s’alimentent aux réserves d’Asie centrale et du Caucase mais qui évitent soigneusement de traverser l’espace d’influence russe.
Ils ont notamment encouragé le projet Nabucco, lequel part d’Asie centrale, passe par la Turquie (pour les infrastructures de stockage) visant ainsi à rendre l’Union européenne dépendante de la Turquie (rappelons que les Américains soutiennent ardemment l’inclusion de la Turquie dans l’UE tout simplement parce qu’ils ne veulent pas d’une Europe-puissance), puis la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie, l’Autriche, la Tchéquie, la Croatie, la Slovénie et l’Italie.
Nabucco a clairement été lancé pour concurrencer deux projets russes qui fonctionnent aujourd’hui :
- Northstream qui relie directement la Russie à l’Allemagne sans passer par l’Ukraine et la Biélorussie.
- Southstream qui relie la Russie à l’Europe du Sud (Italie, Grèce) et à l’Europe centrale (Autriche-Hongrie).
Mais Nabucco manque d’approvisionnements et pour concurrencer les projets russes, il lui faudrait pouvoir accéder :
1/ au gaz iranien qui rejoindrait le point de groupage de Erzurum en Turquie
2/ au gaz de la Méditerranée orientale : Syrie, Liban, Israël.
À propos du gaz de la Méditerranée orientale, il est essentiel de savoir que depuis 2009 des bouleversements considérables se sont produits dans la région.
Des découvertes spectaculaires de gaz et de pétrole ont eu lieu en Méditerranée orientale, dans le bassin du Levant d’une part, en mer Égée d’autre part.
Ces découvertes exacerbent fortement les contentieux entre Turquie, Grèce, Chypre, Israël, Liban et Syrie.
En 2009, la compagnie américaine Noble Energy, partenaire d’Israël pour la prospection, a découvert le gisement de Tamar à 80 km d’Haïfa. C’était la plus grande découverte mondiale de gaz de 2009 (283 milliards de m3 de gaz naturel) et en 2009 donc, le statut énergétique d’Israël a radicalement changé, passant d’une situation presque critique (plus que 3 ans de réserves et une très forte dépendance vis-à-vis de l’Égypte) à des perspectives excellentes. Puis en octobre 2010, une découverte encore plus considérable a brutalement donné à Israël plus de 100 ans d’autosuffisance en matière gazière ! Israël a trouvé un méga-gisement offshore de gaz naturel qu’il estime être dans sa ZEE : le gisement Léviathan.
Léviathan est situé à 135 km à l’ouest du port d’Haïfa, on le fore à 5000 m de profondeur, avec 3 compagnies israéliennes plus cette fameuse compagnie américaine, Noble Energy. Ses réserves sont estimées à 450 milliards de m3 (pour avoir un ordre de grandeur, les réserves mondiales prouvées de gaz en 2011 sont de 208,4 trilliards de m3, soit 208 400 milliards de m3 et un pays comme la Russie possède 44,6 trilliards). Quoiqu’il en soit, en 2010, Léviathan fut la plus importante découverte de gaz en eau profonde de ces 10 dernières années.
Je ne donne pas de détail ici sur les découvertes faites parallèlement en mer Égée, mais elles sont considérables et je vous demande simplement de garder en tête que la Grèce est désormais un pays extrêmement potentiel sur le plan gazier ce qui participe peut-être aussi du déclenchement d’une crise européenne qui aboutira bientôt… à la privatisation totale du système énergétique grec…
Voici ce que le US Geological Survey estime à propos de la Méditerranée orientale (formée en l’espère de de 3 bassins : bassin égéen au large des côtes grecques, turques et chypriotes ; bassin du Levant au large des côtes du Liban, d’Israël et de Syrie ; bassin du Nil au large des côtes égyptiennes).
“Les ressources pétrolières et gazières du bassin du Levant sont estimées à 1,68 milliards de barils de pétrole et 3450 milliards de m3 de gaz” “les ressources non découvertes de pétrole et gaz de la province du bassin du Nil sont estimées à environ 1,76 milliards de barils de pétrole et 6850 milliards de m3 de gaz naturel”.
L’USGS estime que le bassin de Sibérie occidentale (le plus grand bassin de gaz connu) recèle 18 200 milliards de m3 de gaz. En clair, s’agissant du seul gaz, le bassin du Levant c’est plus de la moitié du bassin de Sibérie occidentale.
Bien évidemment ces découvertes ont attisé les rivalités entre États voisins. Israël et le Liban revendiquent chacun la souveraineté sur ces réserves et l’un des différends profonds entre le président Obama et Benjamin Netanyahu est que les États-Unis, en juillet 2011, ont appuyé la position libanaise contre Israël (car Beyrouth estime que le gisement s’étend aussi sous ses eaux territoriales). Il semblerait que la position américaine vise d’une part à entretenir la division pour jouer un rôle de médiation, d’autre part à empêcher Israël de devenir un acteur autosuffisant.
Or notre Syrie se trouve au cœur de ces problématiques !
01/05 08:23 - CASS.
Moi je condamne le régime du zionistan et donc les régimes de tous ses larbins.
01/05 08:04 - CASS.
En effet certains avaient fourni des bombardiers avec pilotes svp et des tonnes et tonnes (...)
01/05 06:31 - CASS.
ne dites pas Israel( ça n’existe pas Israel et ça n’a jamais existé en tout cas pas (...)
01/05 05:44 - CASS.
wesson en effet dans autre chose, c’est une agression impérialo zioniste colonialiste (...)
01/05 05:05 - CASS.
mieux vallait khadafi un ami de Mandela,, khadafi qui avait d’ailleurs prévu des (...)
17/12 00:03 - Laurenzola
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