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Commentaire de L’Ankou

sur Moi, jeune femme de 20 ans, désemparée face au monde


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L’Ankou 13 décembre 2012 16:33

Je rejoins ton interrogation LuCi : je ne vois pas de fascisme dans ton attitude : elle n’est pas celle d’un censeur qui voudrait faire taire celui qui n’est pas d’accord, mais d’une citoyenne responsable qui peut laisser les gens s’epxrimer librement, passer éventuellement pour des cons en le faisant, et le leur dire sans complexe. J’approuve.

Tu ne nies effectivement pas les diversités, mais ce qui semble te distinguer de Schweitzer, c’est que tu n’as pas nécessairement l’arrogance de croire que les différences justifient une hiérarchisation des cultures. Certains, qui voient le faccisme dans la contestation de leurs idées, oublient visiblement de le voir aussi dans la hiérarchisation très colonialiste des races et des civilisations...

Pour le reste, je te vois confrontée à une complexité du monde qui te renvoies à une incertitude, à une ignorance, à une paralysie peut-être, et, quelque part, à une honte de ne pas être à la hauteur quand tant de spécialistes se succèdent pour nous expliquer le monde et nous expliquer pouquoi il faut leur donner du pouvoir.

Ils n’expliquent pas du monde. Ils le simplifient. Ils en ont et en fournissent une vision tronquée, restreinte, sans nuance, pleine, souvent, de préjugés, d’erreurs, d’outrances, de dogmes, de bêtise... Peut-être cela leur est-il nécessaire. Peut-être que l’admission d’une complexité du monde les empêcherait-elle d’agir, de proposer, de tenter de rassembler des majorités autours d’eux...

Il se trouve que leurs objectifs les amènent à monopoliser les médias, et à se battre entre eux, pour savoir laquelle des simplifications outrancières doit anéantir l’autre. Il se trouve que les médias se laissent faire, dans la mesure où c’est aussi leur intérêt et que la complexité du monde s’avère dificile à assumer, notamment du point de vue du type qui rêve d’y coller des affiches publicitaires.

Tu regrettes de ne pas pouvoir voyager, pour t’en rendre compte par toi-même. Personnellement, je t’engage à expérimenter la complexité du monde non pas par le voyage, même pas par les récits de voyage, ni dans les bibliothèques, et pas, non plus par l’extraordinaire potentiel de connexion au monde que tu peux avoir de chez toi, mais bien de ta fenêtre, ou, mieux encore, en sortant dans la rue, en bas de chez toi. Tu verras que tu peux prendre de plein fouet la complexité du monde dans toute sa richesse, dans toutes ses nuances. Et tu y rencontreras aussi, parmi d’autres, toutes les dimensions humaines, généreuses, tolérantes, ouvertes, qui manquent le plus souvent à la représentation médiatique. Vingt ans, c’est l’âge exact qu’il faut pour ne pas rater ça.

J’en sais quelque chose : je suis jeune aussi, et depuis beaucoup plus longtemps que toi smiley

Tu parles des clivages et des institutions. Il ne faut pas en surestimer l’enjeu. S’il n’y avait pas de clivage, on pourrait craindre qu’une caste de gouvernants monopolise le pouvoir pour eux-seuls. Tant qu’il y a mésentente entre eux, ce clivage nous donne l’assurance que ceux qui agissent se sentent contraints de justifier, de pouvoir motiver, d’être en mesure d’expliquer pourquoi ils ont pris telle décision. En fait, la majorité au pouvoir importe moins, pour la prévention des totalitarismes, que le fait qu’il y ait toujours une majorité d’un côté, et une opposition de l’autre pour la contrôler et l’obliger à gouverner proprement.

Rien ne serait pire, dans ce contexte, que ton mythique candidat idéal qui ferait l’unanimité !

Vu par l’autre bout de la lorgnette, il y a autant de candidats idéaux qu’il y a de votants, chacun étant probablement le seul à défendre l’intégralité de ses idées et de ses convictions propres. L’obligation de faire un compromis avec les attentes des autres amène ainsi à collecter les points qui, selon les priorités et les urgences, sont capables de rassembler des majorités composées, dans le détail, de gens qui n’ont pas grand choses à voir les uns avec les autres. A défaut d’un programme unitaire et cohérent, animé de sa propre logique interne, on finit effectivement par des arrangements plus ou moins négociables, composites, parfois peu cohérents, mais qu’on peut mette en oeuvre sans déclancher ni de grande catastrophe ni des émeutes incontrôlables, au seul motif (ô combien légitime ! Réfléchissez à toutes les options contraires) que c’était dans le programme avec lequel (grâce auquel) on a été élu...

Effectivement, au final, il n’y a qu’un vainqueur et son programme, et cet homme et ce progamme ne sont pas forcément les plus pertinents, les plus intelliigents, les plus cultivés, les plus habiles. Simplement, ils ont réussi à rassembler assez de suiveurs. C’est aussi à ça que servent les simplifications. Tu y chercheras en vain un sauveur ou un homme providentiel. Mais ce n’est pas parce qu’elles ont un rôle à jouer en politique que tu dois t’en satisfaire pour monter ta propre culture, te forger ton opinion, la défendre, au besoin, auprès de tes proches, et tenir les posittions qui te semblent justes.

Dans ton exploration de la complexité du monde, tu pourras, ponctuellement, préférer une simplification à une autre, mais au moins tu sauras que plusieurs peprésentations schématiques du monde peuvent coexister, et qu’aucune ne peut décrire la totalité du monde. Le plus important à garder, c’est cette ouverture d’esprit. Aussi parce que c’est elle qui peut transformer, localement, trop rarement hélas, l’affrontement obtus des posture hostiles en un débat constructif et argumenté, avec des chances préservée de convaincre ou de se laisser convaincre, d’évoluer, de tempérer et de nuancer ses convictions en les confrontant aux objections légitimes, de se laisser éclairer, désabuser, démystifier, détromper... Quelqu’en soit le point de départ et le point d’arrivée, l’exercice est toujours sain.

Au passage, tu poses des questions intéressantes et parfaitement judicieuses...

« l’intolérance n’est-elle pas parfois nécessaire ? » Oui, je le crois profondément. Etre tolérant, c’est aussi savoir ne pas tolérer l’intolérable. Mais je ne parle que de convictions personnelles, et non d’une institutionnalisation de l’intolérance ou de son exercice par la force publique...

« Un nazi a-t-il le droit de penser ce qu’il veut ? » Parfaitement. En démocratie, la liberté d’opinion et de pensée est sacrée. La liberté d’expression est juste un peu plus contrôlée (ne pas faire l’apologie de crimes contre l’humanité, ne pas inciter à la consommation de drogue ou de tabac, ne pas diffamer...), mais sa sacralisation ne fait aucun doute non plus. Par contre, sa liberté d’expression a pour contrepartie la mienne , et je ne vais pas me gêner pour souligner de façon motivée, argument par argument, phrase par phrase voire mot à mot, pouquoi tout lecteur sensé a de sérieuses raisons de le prendre pour un con !

(Tout rapprochement avec Schweizer est évidemment fortuit, du moins tant qu’il n’a pas donné plus d’éclaircissements. Après, chacun peut se faire juge.)

« Un jury doit-il être tolérant face à un membre du ku klux klan parce qu’après tout, chacun pense ce qu’il veut (ou ce qu’il doit selon ses origines sociales) ? » Chacun étant libre de ses opinion, chacun peut comprendre, tolérer, voire approuver. Mais au delà de son approbation et de sa compréhension, le jury a des questions précises auxquelles il doit répondre, et, selon ces réponses, la loi s’applique. Il faut dire que la distinction est facilitée par le fait que nos jridictions condamnent des faits, et pas des opinions, des idées, des convictions... Si le membre du KKK fait face au juges, ce n’est probablement pas parce qu’il est en membre, mais parce qu’il a fait une connerie répréhensible.

« Ce bon vieux Mussolini peut-il être exonéré de toutes représailles ». Des « représailles », oui pourquoi pas. ce serait mieux. Les représailles et les lynchages ne sont jamais souhaitables. Pas parce que c’est Mussolini, mais parce que tant que c’est aussi en mon nom qu’on rend la justice, j’aime que les choses se fassent dans les règles et que je n’aies pas à en rougir. De sa responsabilité devant un tribunal, au sein duquel il aura le droit de s’expliquer et de présenter sa défense ? Je trouve que ce serait dommage de l’en exonérer. Et c’est valable pour les tyrans lynchés sans procès ou après une parodie de procès. « la tolérance nous oblige(-t-elle) à ne pas le juger ? ». Au contraire, puisque c’est en le jugeant qu’on saura ce qu’on tolère ou pas.

Quant à te voir condamnée à vivre dans un monde qui ne change pas, j’ajoute ceci : le monde n’a jamais changé si vite ni si profondément. La culture mondiale commune que tu sembles appeler de tes voeux est irrésistiblement en marche. Avec l’interconnexion constante et permanente d’un nombre croissant de pesonnes, les spécificités culturelles sur lesquelles les plus conservateurs d’entre nous s’arcboutent ne sont déjà plus que les vestiges d’une civilisation disparue. Les films et les séries sont conçues pour plaire partout dans le monde au plus grand nombre. Ipso facto, elles alimentent le monde d’un référentiel de plus en plus commun. Chacun dans son coin peut juger de ce qui le sépare du mode de vie à Manhattan ou à Miami, à Londres ou à Sydney, voire en Gondor ou à Gotham City, et y prendre des idées pour faire évoluer son environnement proche.
 
Les communautés qui pouvaient penser que leur religion était la seule possible sont mises en contact avec toutes les autres, ce qui ne peut que relativiser les dogmes et promouvoir une laïcité qui ne les nie pas mais contient leur expression pour les contraindre à une coexistence pacifiée...

Si tu regardes un peu au delà, tu peux aussi t’amuser qu’il y a un siècle encore, la femme était soumise à l’homme, et que la virilité de celui-ci était mise en valeur par tous les travaux de force. La femme est à présent l’égale de l’homme, au moins en droit, mais aussi dans pas mal de faits, jusqu’à pouvoir conduire elle aussi un semi-remorque doté, comme ils le sont tous, de la direction assistée. Des tas de différences qui étaient attachées à cette apologie de la virilité musclée s’atténuent nécessairmeent avec le temps et le progrès, jusqu’à pouvoir disparaître le jour où tous les métiers se résumeront à taper des données sur son clavier et en parler en réunion avec ses collègues.

Le monde change aussi en cela qu’on avait un métier et un savoir-faire propre, qui représentait un potentiel, une valeur, en enrichissement progressif, un héritage à laisser, éventuellement. La disponibilité permanente du savoir et du savoir-faire, des techniques, des astuces, du progrès, de l’outillage, permet pratiquement à quiconque de poser un parquet ou de raccorder un robinet, puis d’oublier ce savoir, et de le retrouver quelques années après avec toutes les mises à jour qui vont bien. Le savoir-faire qui s’élaborait seul dans son coin, en une vie, voire sur plusieurs générations, n’a plus tellement de valeur propre que dans des domaines très précis. La plupart du temps, il constitue au contraire une inertie suspecte d’obsolescence rapine. Il s’obtient maintenant en quelque clics et se réactualise instantanément.

Ca n’empêche pas des gens de raisonner encore avec les grilles d’analyse de jadis, à des époques sans ordinateurs, sans Sida et sans contraception, sans four à micro-ondes et sans téléphones portables, des époques où c’est la mort qui séparait les époux, où la préoocupation essentielle était de veiller à la fidélité de sa femme tout en congédiant les soubrettes qu’on avait mis enceintes, des époques où la femme ne travaillait pas et était jugée sur sa façon de tenir le petit personnel domestique... Plein de ces représentations nous polluent encore dans notre compréhension de la complexité du monde, nous conduisant à hurler au scandale quand on ravale une vieille facade, par respect pour un bâtiment qui a depui longtemps été remplacé par quelque chose de beaucoup plus fonctionnel et de plus moderne.

Ma chère LuCi, je ne peux que t’engager à t’immerger dans le réel et à te nourrir de toutes les diversités, à considérer la « défense des valeurs » pour un combat d’arrière-garde, à te défier de la politique, des dogmes et des médias, mais sans rien lâcher des convictions que tu te forgeras par l’expérience et l’exercice d’une controverse libre, ouverte et curieuse.

Bien à toi,
L’Ankoù


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