Chaque événement de ce
type me rappelle un vieux souvenir tchadien.
Nous étions au début de
l’année 1991. Hisseine Habré avait quitté la NDjaména . Les
Zghawas, les Toubous d’Idriss Deby, s’étaient installées dans la
capitale. Des véhicules pleins de jeunes gens et d’adolescents
surarmés sillonnaient la ville à toute allure.
La vie avait repris son
cours et les grèves et manifs qui vont avec. Les étudiants et
lycées s’y étaient mis, comme toujours et partout, pour une
raison que j’ai complètement oubliée. Comme nous habitions près
du lycée Félix Eboué, LE lycée, nous avions été sortis du
plumard par une forte rumeur de foule en colère. Et les tirs avaient
commencé.
Quand ça barde, comme il n’existe pas de CRS, on
envoie l’armée. Donc nos Toubous. Qui ne comprennent pas grand’
chose à ce qui se passe, donc qui tirent, mais pas fous non plus,
« arrosent » les nuages. J’entends quand même quelques
balles me siffler aux oreilles dans le jardin et l’idée de laisser
les gosses traîner ici ne m’enthousiasme guère. Un coup de
téléphone à l’école nous rassure : là-bas, la vie suit
son cours ordinaire. Profitant d’un moment d’accalmie, nous
partons en voiture.
Au retour, je roule derrière un 4X4 Toyota dont le
plateau déborde de combattants Toubous en uniforme et en armes. Il
stoppe brutalement à quelques dizaines de mètres de la maison.
Les gaillards giclent du véhicule en armant les
kalachs et se mettent en position devant l’obstacle : une barrage
d’étudiants hilares qui ont vite compris que la consigne pour ceux
d’en face est de tirer en l’air. Il ne peut rien leur arriver,
ils sont invulnérables !
Alors, un gamin se détache du groupe des
« militaires ». Treize ou ou quatorze ans pas plus.
Etonamment rond et grassouillet pour un toubou. Très calme, il sort
d’un étui un pistolet nickelé énorme pour sa taille. Une arme de
cinoche ! Il le lève et tire, droit vers le ciel. Eclat de rire
général. Puis, en appui parfait, le descend lentement, toujours en
tirant. Les étudiants se retrouvent à plat ventre avec des balles
qui leur sifflent dans les cheveux. Lorsqu’il marque une pause,
tout le monde décampe sans demander son reste. Pas une goutte de
sang versé. Et je ne cesse de me demander ce que ce même face à
face, étudiants ricanants/gosses armés aurait pu donner dans nos
pays de haute et ancienne civilisation.
Et quelle maladie de l’âme, quelle faille de
civilisation, pousse des gamins riches et cultivés à « tirer
dans le tas ».