Je trouve que ce qui différencie le plus la situation sous Louis XI et la nôtre c’est, en raison des nouveaux paradigmes, la dilution des responsabilités.
Sous Louis XI, à tort ou à raison, on pouvait assez facilement pointer du doigt une personne, un groupuscule, un groupe, une région. On assiégeait le coupable, on le brûlait et on faisait la fête.
On pouvait vivre des catharsis marquées.
De nos jours, on peut toujours choper quelque Ravaillac, Kerviel, Tapie ou DSK pour leurs faits et gestes mais nous ressentons tout de même une responsabilité partagée.
Nous n’en parlons pas trop de ce sentiment sourd et ineffable d’avoir une responsabilité dans toutes les laideurs du monde.
Ou nous n’en parlons qu’en évoquant quelque sorte de CIA ou néo Templiers, quelque nébuleuse.
Mais nous nous sentons co-responsables de toutes les turpitudes du Monde puisque nous sommes co-acteurs du Monde.
Devant la charge morale qu’aucune couronne ne nous protège puisque nous ne sommes que de simples quidams, nous allons soit à nous renfermer dans une sorte de déni de toute responsabilité soit à passer notre temps à trouver plus responsable que nous, nous devenons enquêteurs, limiers, policiers et interpolistes.
Alors que chacun de nous est censé être devenu un coresponsable par les égalités de droits, de charges et de devoirs, chacun se sent incapable de voir clair dans ce qui se passe. Ceux qui ne sont pas dans le déni en bloc essaient de compenser leur difficulté à voir en avalant 10 h d’infos par jour. En vain puisque chaque info pointe encore une nouvelle nébuleuse.
Autrefois, il y avait des paranoïas ciblées, pointant donc vers un autre.
C’était encore le cas jusqu’en 1945, le temps que la transition vers le coresponsabilisme se mette en place
De nos jours, la paranoïa est devenue tellement diffuse qu’elle ne cesse de nous impliquer.
Nous sommes encore à hésiter entre les possibilités qui nous restent d’accuser précisément quelque personne ou groupe mais selon la tendance en cours, nous ne pourrons bientôt plus jamais danser tels les trois petits cochons, après avoir ligoté le grand méchant loup.
Du point de vue de la justice absolue, je préfère la situation nébuliste actuelle. Je préfère que nous en soyons réduits à nous avaler un flacon d’anxiolytiques par mois plutôt qu’en être encore à festoyer après un massacre comme l’aurait fait Ulysse.
Je ne regrette pas la fin des triomphes et des gloires sur lit de sang.
Ce n’est pas rigolo d’avoir honte mais je préfère ça à la fierté d’avoir tué quelque vilain.
Notre musique intérieure va vers le blues ou le fado et je trouve ça logique
Même les moments traditionnellement festifs qui hypnotisaient sur un ’ici et maintenant’ en déniant le reste, tels les mariages, deviennent plus réservés, modestes ou pudiques, moins triomphants. Je préfère.
(Bloquer le périphérique pour signaler son mariage, c’est certes se faire remarquer en emmerdant tout le monde mais ça ne correspond pas à l’esprit de triomphe. Ça correspond plutôt à un coup-farce. Le buzz non plus n’est pas un triomphe, ce n’est qu’un mon-bruit)
Je ne trouve pas dommage que notre posture oscille entre celle du Penseur de Rodin et celle du Cri de Munch. Je ne trouve pas que ce soit décadent.
Je voudrais même que nous soyons encore plus réflexifs en « Je me juge, c’est mon cas que je dois exposer si j’ai envie d’exposer quelqu’un, pas celui de quelque vilain ou vilaine nébuleuse »
(Etant entendu qu’on ne peut se juger, mettre des mots sur soi, qu’à partir du moment où l’on sait les mots d’usage, qu’à partir du moment où l’on participe à l’idiome collectif)