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Commentaire de easy

sur De la croyance à la connaissance : la vraie fausse vérité


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easy easy 24 février 2013 13:35

Bonjour Loup Rebel

Je ne sais pas regarder les choses depuis un oeil placé sur mon front, depuis un oeil qui ne se verrait pas.

J’ai un oeil en Asie et un en Europe. Quand je regarde, c’est depuis un oeil collectif des gens de là-bas et depuis un oeil collectif des gens d’ici.

Ça fait que je ne parviens pas à regarder un contexte sans m’y voir, de dos. Je n’arrive pas à regarder depuis moi. J’utilise donc souvent explicitement le nous dans mes descriptions.

 


Certaines bestioles semblent avoir une véritable et nette technique (nette au sens de très voulue, très dialectique) pour dire « Eh les copains, j’ai vu un truc à bouffer là-bas »

A part ces rares cas de communication très voulue, les bestioles ne savent pas dire « Hier j’ai vu de quoi bouffer, si on s’y met tous pour lui sauter dessus, on va pouvoir se régaler » . Et de faire alors saliver les copains sur de l’imaginaire.

Pierrafeu, grâce au verbe, a donc inventé l’imaginaire passé et l’imaginaire futur 
Le concept de passé, de futur, en tant que chose papotable, sur laquelle chacun peut produire des images sur son écran intérieur, a pris plus d’importance que le présent dans l’écran intérieur. On peut en oublier sa fille dans sa voiture ou la mémé à la station service. On peut en venir à s’oublier soi-même en tant que corps ayant des besoins matériels immédiats

Nous regardons une scène au cinéma, nous nous contentons de ne considérer que le présent présenté mais ici et là, assez souvent, nous ajoutons sur notre écran intérieur une scène future « Ah la la, le con, il va se faire avoir par le monstre »

En dépit de l’énorme écran de la salle, de son image hyper pixel lumen, en dépit du son surround dolby mégawatt, nous allons à ajouter notre production imaginaire, au point de ne pas bien voir ce qu’il y avait à voir dans la scène du film, d’en rater quelque chose
(Cf la vidéo basket/ours noir).

On sait tellement ce phénomène d’ajout d’imaginaire que beaucoup ont conçu de laisser les gens produire leur propre film (interactivité des scènes ou jeux vidéos complexes...)

Or, produire notre propre film, le penser de sorte à ce qu’il apparaisse sur l’écran plasma mural, ne parviendra pas à épuiser pour autant notre production d’un autre imaginaire sur notre écran intérieur
Le jour où nous verrons défiler sur le plasma ce que nous imaginons, nous n’y verrons plus qu’une bouillie parce qu’à chaque image parvenue au plasma, nous ajouterons une autre, toujours décalée.

Cette problématique se voit déjà quand un scénariste de film croit pouvoir en réaliser un à l’improviste, au fur et à mesure du tournage. Il modifie constamment la trajectoire et finit par livrer un brouet. Il faut s’en tenir à un scénario écrit bien raide, avant de commencer à tourner. Sinon le budget explose et c’est le foutoir



Notre imagination étant débordante, zigzaguant dans un espace où mille symboles forment pays, si nous la disions telle quelle, le discours serait archi confus. Valable pour soi en tant que libre promenade au hasard des pensées mais non communicatif. Non socialement valable.

Pour que la production de nos imaginaires devienne communicable, elle doit s’organiser selon un cheminement ayant quelque logique connue (Logique de réalité, logique de bouffe, logique de pente, logique de fatigue, logique de beauté, logique de cul, logique de fric...) 

Chaque fois qu’un enfant parvient à livrer oralement ou à l’écrit un film qui tient debout (au sens où il peut être à peu près mémorisable et repris par un tiers), il découvre son talent d’imaginateur ordonné. Les bordéliques ou les trop copieurs sont exclus du succès.


L’imaginaire étant par essence non-vrai, il ne colle jamais à la réalité totale qui est ineffable mais seulement à une partie exprimable d’elle (l’odeur d’une rose, le rouge d’une viande, la solidité d’une lame) et préfère tourner autour selon différents biais théâtraux, selon différents courants artistiques. En tout opportunisme d’un sens abstrait commercialisable. 

Sans même parler du passé et du futur tellement tentants à nos imaginaires, rien qu’en restant dans le présent d’un match de foot, chacun peut le dire selon mille biais. Personne ne niera que Zidane a bien botté le cul de Platini mais chacun en dira quelque chose de particulier (en s’inspirant de mille choses entendues ou lues, en composant sa sauce interne)

Si quelqu’un raconte le présent de manière trop excentrée par rapport à la réalité, son récit sera rejeté. C’est arrivé hier à Raphael Monard avec son papier Des liens naturels.

Au fil du temps, chacun constatant qu’il ne doit pas livrer des récits de son imaginaire de manière trop décalée par rapport aux éléments perceptibles et exprimables de la réalité, il s’est formé des terrains de jeux classiques : religieux, philo, politique, superstition, science, médecine, guerre, justice...Chaque terrain a ses symboles qui forment règle du jeu

Et ainsi que l’enfant découvre son talent à produire du racontable, ainsi qu’il découvre sa singularité, son indépendance intérieure, son ego, chacun de ceux qui parviennent à dire quelque chose qui semble cohérent aux autres, s’aime en cette capacité et en tire fierté.

Le verbe cohérent prend plus d’importance qu’une brouette de carottes
Il nous reste encore un vif intérêt pour ces choses non verbalisables. Nous descendons une piste de ski, nous en tirons plus de plaisir sensoriel que dialectique (hors exploits)
Car dans le sport, quand il vire à l’exploit, il redevient plus dialectique que physique. Mais nous allons de plus en plus à jouir de nous-mêmes, en notre production de film. 


Tous ces terrains de jeu produits par nos imaginaires canalisés autour de quelques symboles, se valent. Ils sont tous indispensables pour former des espaces de promenade verbalisable, mémorisable, racontable à nos imaginaires.

Aucun de ces terrains de jeux n’est à éliminer.

On peut débaptiser un espace très mystique de son appellation convenue pour l’appeler autrement, on peut le déplacer vers un autre symbole (passer de la Passion à l’OVNI) mais cet espace est utile pour y organiser nos pensées de plus en plus mystiques du fait de cette production filmique personnelle de plus en plus importante
 Il faut désormais avoir de l’ambition
Chacun s’invente un film relationnel aux chose, des plus tangibles aux plus abstraites 
 
« Moi et la Chose (art, religion, fleur, livre, amante, enfant, bagnole, fric, foot,...) c’est Ohhh Ohhh. Vous ne pouvez pas comprendre »
Même ce terrain le plus abstrait et éloigné d’une réalité tangible, parce que chacun a besoin d’un tel espace pour y produire de manière ordonnée ses imaginaires les plus délirants, est valable, utile.

Ceux qui ne parviennent pas à produire leurs pensées les plus folles de manière conventionnelle, selon les règles d’un des jeux conventionnels, passent pour fous.




La science était au départ entre les mains de tous les gens du clan. Le savoir était partagé, égalité, pas d’ego, pas de compétition dans le clan. Paix des âmes.

Dès que les cités ont surgi, entraînant l’anonymat et le fric, la parole des meilleurs raconteurs d’imaginaire est devenue d’or, chacun est passé narcissique non à partir de sa beauté physique tel Narcisse mais à partir de la qualité de ses films.

Les gens se sont individualisés à partir de la verbalisation.

lls ont moins travaillé dans la rue, ils ont élaboré des bidules en arrière cuisine, ils sont devenus secrets et jaloux de leurs talents
Les savoirs se sont spécialisés, la connaissance scientifique s’est divisée, chacun développant la sienne.
Ont surgit des gens de métier, tous scientifiques d’un domaine : boucher, chasseur, archer, forgeron, maçon, comptable, militaire...
Tous ces scientifiques ont tourné autour des réalités tangibles non exprimables et tous ont développé des discours imaginaires autour des réalités tangibles exprimables de ce qu’ils tripotaient tous les jours en experts.

Pour produire son film (discours, livre) un boucher ne partait pas des éléments tangibles inexprimables de son boeuf et qu’il traitait pourtant très bien en enfonçant son couteau dans la viande sans pouvoir mettre de mots dessus. Il partait des éléments tangibles exprimables (couleur, forme, poids, origine...) pour broder son film. Ce film étant fondé sur des réalités tangibles difficilement contestables, il avait du succès. La parole du scientifique boucher était un film ayant des fondamentaux concrets et a eu du succès.

Entre les différents scientifiques des différents métiers, il y avait concurrence de film. Celui qui vendait le mieux son film gagnait le plus de thunes. Chacun braillait son film devant son étal « Mes salades sont les meilleures parce que... »

Le film déterminant le succès pécuniaire, ont surgi des gens qui ont produit des films (réalisés comme les autres autour de quelque réalité tangible) mais sans produire eux-mêmes la réalité tangible

Le boucher vendait un discours, un livre ou un film basé sur une des réalités de la viande qu’il vendait
Le revendeur de viande vendait un film basé sur une des réalités du boucher qui vendait un film basé sur une des réalités de la viande qu’il vendait
Le restaurateur vendait un film basé sur une des réalités du revendeur de viande qui vendait un film basé sur une des réalités du boucher qui vendait un film basé sur une des réalités de la viande qu’il vendait
Le critique culinaire vendait un film basé sur une des réalités du restaurateur qui vendait un film basé sur une des réalités du revendeur de viande qui vendait un film basé sur une des réalité du boucher qui vendait un film basé sur une des réalités de la viande qu’il vendait

Le politique vendait un film sur les films de films de films
Le religieux vendait un film sur les films de films de films
Le philosophe vendait un film sur les films de films de films

La moitié de la population se mit à vivre d’un cinéma autour de cinéma autour de cinéma, sans jamais produire de réalité tangible.

Un seul bout de viande puis des mots, des mots, des déluges de mots : le Verbe, le Livre
Tout ça pour canaliser notre imagination débordante

Etant entendu qu’on est passé des guerres pour des sangliers à des guerres pour des livres

Bellatores, oratores, laboratores, comme nous sommes tous acteurs et complices de cette situation, je trouve aveugle de nous insulter ou de nous accuser mutuellement sans poser en préalable le fait que nous sommes tous à la fois concepteurs de films, copieurs, producteurs, vendeurs, négociants, critiques...


Je ne hiérarchise même pas les mérites à partir des productions tangibles. Boucher, plombier, et philosophe, même mérite.
Rien ne pouvant plus réduire la production intense de nos imaginaires, cette situation qui permet de l’ordonner un peu, de lui donner quelque cohérence, quelque début de sens, est logique et irréductible.


En manquant de recul sur le phénomène, en étant trop à son affaire, on ne voit plus qu’un sens pointu, spécialisé, sur un angle ou biais et qu’on ne voit plus le Sens global de ce foisonnement de senss
Il existe toujours un Sens mais il faut reculer pour le voir.
C’est bien entendu un Sens très éloigné de la miette de viande, très séparé de la nature et de la sensibilité naturelle ; il est très abstrait et imaginaire, il est inquiétant de tant d’abstraction, on se demande si c’est biologiquement viable, mais c’est un sens tout de même. Ce Sens c’est celui de la nécessité d’absorber le tsunami de nos imaginations en les structurant un peu sur le fond et surtout sur la forme.

Deux physiciens-philos-théo se disputent, chacun vend son film, il n’en sort aucune clarté mais le fait de les voir discuter sans s’égorger, en faisant semblant de raisonner, procure une image ordonnée plaisante, rassurante « Ouf, les délires sont policés »
Si l’on supprimait la forme de nos Assemblées, nous serions très paniqués devant le déluge des films
Si nous passions aux mandats tirés au hasard, s’il n’y avait plus les coagulations des élections, les pensées seraient archi libres et on entendrait 60 millions de films, aucun censuré. On ne pourrait plus rien faire de collectif.


 

L’égalité primitive était naturelle, comme celle des zèbres entre eux. Elle était peu productive d’imaginaires complexes (avec téléportations spatio temporelles) et il n’en ressortait qu’un seul sens, très proche de la nature sensible. « Il faut que nous nous déplacions vers une zone plus giboyeuse » L’obéissance était naturelle et n’altérait en rien l’ego qui n’existait pas 

De nos jours, l’égalité n’est que de droit urbain artificiel.
Le verbiage narcisant ajouté au droit de l’ouvrir nous transforme en grandes gueules
Nous refusons l’égalité globale, nous revendiquons notre Moi unique et nous voulons tous vendre notre production filmique tourné autour d’une miette de vraie viande.

Cela avec des variations d’intensité selon les endroits du Monde, bien entendu



Voyez ceci :

Le Vietnam serait un des derniers endroits de la Planète où la population n’a aucune contrainte vestimentaire, aucune règle formelle, aucun censure et où les gens peuvent soit s’habiller en Américain, soit en Français soit dans un vêtement d’aspect unique au monde

Que voit-on dans les rues du Vietnam sur ce point vestimentaire ? 

De tout. Un vrai bordel

Non, pas tout à fait

On voit des femmes qui tiennent à porter la tunique singulière Ao dai (prononcer ao iaille) et de marcher alors en petit groupe (Cela, au-delà du fait que bien des universités exigent le port de cette tunique en version blanche) 

Qu’ont-elles en tête ces femmes qui forment des bouquets ostensibles de tradition vestimentaire ?
Elles ont un ego encore très collectif
Elles n’envisagent pas la valeur de leur production filmique, elles n’envisagent pas la valeur de leur image physique en ce qu’elle serait singulière, elles sont un Moi encore très collectif. Le visuel l’emporte sur la parole.
Le silence l’emporte sur le Verbe
Elles n’inventent pas un nouvel imaginaire

Elles constituent bouquet, marchent pour faire danser les pans de leur robe et se plaisent d’offrir un spectacle groupal. Ce qu’elles papotent n’ayant aucune importance aux yeux de quiconque. 
Et elles considèrent que leur bouquet n’est pas plus beau que le bouquet là-bas, un peu plus loin. Même leur groupe n’a pas de moi-groupe. Elles ne conçoivent qu’un moi-peuple


Au Japon, surgissent au contraire de plus en plus de gens qui font de leur personne une exception et qui s’habillent de manière très singulière, originalissime, alors qu’ils disposent de costumes traditionnels très marqués. Pour autant, leur verbe est encore très discret. Ils développent un fort Moi par le scopique encore bien silencieux. Même Fukushima ne parvient pas à les faire parler. 

Il y a un siècle, il y avait encore plein de Français se concevant avec un Moi régional. Eux aussi trouvaient valorisant de s’effacer d’un point de vue personnel pour valoriser le moi-régional.

Aujourd’hui, les Français affichent parfois un moi-groupal opportuniste, lors de coagulations de causes servant leurs intérêts individuels et ils le font en mettant en avant leur Verbe, leur film. Ils hurlent un slogan
Le festival de Cannes, une manifestation, une foire, c’est le même principe sous des formes différentes.
Parce que je le vaux bien


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