Vous êtes prof de lettres et français au lycée.
En seconde, vous enseignez la grammaire de texte, vous préparez les élèves à l’étude linéaire, au commentaire de texte et un tout petit peu à la dissertation.
En 1ère, vous préparez les élèves aux épreuves du bac. Ceux-ci ont 3 sujets au choix : dissertation, commentaire de texte et sujet d’imagination. Vous leur faites aussi étudier des textes pour l’oral selon des groupements de textes qui abordent un certain nombre de problématiques définies par les hautes autorités incompétentes.
De 5 à 15% des élèves prennent la dissertation, soit l’épreuve qui nécessite le plus de réflexion et de culture. Les autres prennent le commentaire ou le sujet d’imagination. Le sujet d’imagination ressemble pas mal à ce qui est fait en 3è.
Pour les groupements de textes présentés à l’oral, vous interrogez les élèves en fonction de votre propre interprétation des textes, et ceux-ci, en position d’apprenants coupables, se demandent ce que vous attendez d’eux. S’ensuivent des échanges plus ou moins stériles qui entraînent ensuite les élèves à noter vos propres notes, celles que vous avez glanées dans l’école des lettres, weblettres ou encore les livres du prof proposés par les différents éditeurs. Les élèves sont attentifs à ce que vous dictez, pas aux mécanismes cognitifs suscités par l’interprétation. Pour réviser l’oral du bac, ils apprennent leurs notes par cœur.
L’oral du bac est divisé en 2 parties : l’interrogation sur l’un des textes expliqués en classe (les notes du prof apprises par cœur), et l’interrogation sur l’une des problématiques littéraires étudiées en classe.
Les élèves qui ont appris les notes du prof s’en sortent pour la 1ère partie. Mais pour la seconde partie, ils ont plus de problèmes parce qu’ils ne savent pas réinvestir ce qu’ils ont « appris ». Et si par malheur on propose à ces élèves un texte qui n’est pas dans le groupement de textes, en l’absence de notes, ils sont incapables de l’expliquer. Ils n’ont rien compris au mécanisme. Par conséquent, votre mission est un échec, parce que vous ne pouvez pas leur expliquer tous les textes que l’humanité a produits. Et l’échec de votre mission n’est pas votre faute parce que vous ne faites qu’appliquer ce qui a été déterminé par les hautes autorités incompétentes.
Si à l’écrit vous leur proposez l’interprétation d’une note de services, d’un discours d’homme politique, un argumentaire de vente ou un texte un peu subtil, ils sont complètement perdus. Ils ne savent pas réinvestir ce qu’ils ont « appris ». Ils pourraient pourtant employer les outils que vous leur fournissez avec talent et compétence, mais non, ils ne font pas cela. Ils ont des cases qui ne communiquent pas entre elles, parce que la façon d’enseigner ne donne pas le big picture nécessaire à la compréhension des patterns.
En grammaire de textes, vous enseignez les tropes, certains élèves savent les reconnaître, mais ils ne savent pas les expliquer dans un texte. Ils sont au pied d’un immeuble, incapables d’avoir une vue d’ensemble ; ils attendent des techniques alors qu’il leur faudrait du sens. Métaphore ou photophore, c’est la même chose pour eux.
Sitôt le bac obtenu grâce aux commissions d’harmonisation, les élèves s’empressent d’oublier ce qu’ils ont « appris », mettent leurs notes à la poubelle, et ne retiennent pas grand-chose de leurs cours de Lettres.
Ayant étudié des textes d’Hugo, Flaubert, Chateaubriand, sauraient-ils repérer un texte écrit par eux ? Non, ils ne font pas de liens, ils ne réinvestissent pas. Ne leur donnez pas des Parnassiens, c’est du charabia.
Ce qui est vrai pour le français l’est pour toutes les matières, ça se passe de la même façon. Tant d’heures et de potentiels gâchés.
Encore une fois, vous (et la majorité des profs) n’endossez pas la responsabilité de ce gâchis, vous ne faites qu’appliquer les directives des Saintes Hauteurs, et je suis persuadé que vous faites de votre mieux, je n’ai aucun doute.
A aucun moment je n’accuse les profs parce que je sais toutes les difficultés qu’ils doivent affronter. Vous êtes des soldats et vous battez avec les armes qu’on vous donne ; de mauvaises armes.
Ce qu’il vous faut savoir cependant, c’est qu’il existe de par le monde quelques établissements où l’on enseigne à penser et à connaître plutôt que transmettre des informations que l’on trouve aujourd’hui dans bien des sources. Ainsi peut-on disposer de bases fonctionnelles d’une langue étrangère en 7 jours, sans prendre de notes ni mémoriser, ni faire de devoirs, etc. Et dans les autres matières, c’est la même chose. Et les élèves comme les profs ne pensent pas aux vacances.