« Si nous tenons à conserver notre langue dans ce flot de diversité, il
ne faut pas cesser de l’utiliser au profit d’une autre. Le risque de la
disparition de la langue française est bel et bien présent dans notre société
actuelle. »
Si l’on tient
compte de la réalité de l’évolution d’une langue et du caractère plus ou moins
réfléchi de son usage par l’ensemble de ses locuteurs, il semble illusoire de
penser que pour protéger une langue des influences d’autres langues étrangères
il suffit simplement de le décréter. La volonté de conserver une langue ne
saurait constituer un bouclier à cet égard ; car cela supposerait que
chaque locuteur de cette langue doit, en permanence, maintenir en éveil « son
gendarme linguistique » et, au besoin, s’autocensurer de toutes tentatives
ou velléités d’abdication devant la facilité et l’attrait qu’exercerait telle
ou telle langue.
Croire que cela
est possible dans les échanges verbaux et quotidiens relève de la gageure. Y
croire c’est oublier la spontanéité qui caractérise, en général, les
communications orales. Est-il, enfin, concevable pour un locuteur, dans le
cadre d’une communication courante avec un autre locuteur, de dire
systématiquement « courriel » à la place de « email », « bouteur »
à la place de « bulldozer », « serveur au comptoir » à la place
de « barman », « meilleure
vente » à la place de « best-seller »,
« bougette » (de l’ancien français, petite bourse portée
à la ceinture) à la place de « budget »,
« fair-play » à la place de « loyauté » ou « bonne foi »…
Et la liste est longue. Par conséquent, que l’on ne se méprenne
pas : le caractère illusoire, dénoncé ici, concerne essentiellement le
contrôle permanent des échanges verbaux et non la communication écrite. D’ailleurs,
allez savoir pourquoi le français –langue diplomatique par excellence au XIXème
siècle- a cédé ce terrain en faveur de l’anglais.
Les inquiétudes
exprimées par l’auteur sont tout à fait compréhensibles eu égard au contexte
sociopolitique où elle vit. Toutefois, le fait de ne pas avoir mis en
perspective cette réalité et la portée universelle caractérisant le ton de ses
inquiétudes constituent les fondements qui sous-tendent le principal grief qu’on
pourrait lui opposer.
L’amour d’une langue, quelque louable que soit ce
sentiment, ne saurait faire l’économie de cette lucidité qui nous contraint de
tenir compte des réalités objectives.