Le début, pour vous mettre en appétit :
"Seuls ceux qui portent sur la politique le regard scolastique des
logiciens auront du mal à comprendre qu’on puisse dire d’un même
événement — comme l’affaire Cahuzac — qu’il est à la fois secondaire et
principal. Péripétie fait-diversière et crapoteuse, bien faite pour
attraper le regard et le détourner des choses importantes (accord sur
l’emploi « ANI » [1],
austérité, chômage, etc.), la bouse soudainement posée n’en a pas moins
le mauvais goût de tomber au plus mauvais moment — il est bien vrai que
le spectacle de la cupidité déboutonnée, lors même que le corps social
en bave comme jamais, donne quelques envies de coups de fourche. Elle y
ajoute surtout un effet de révélation potentiellement dévastateur si
l’on en vient à considérer que les « péripéties », loin d’être des
exceptions locales sans signification globale, sont en fait les
expressions d’un système, et qu’il n’est peut-être pas fortuit qu’on
retrouve identiquement cette passion de l’argent dans tous les
gouvernements qui se succèdent pour garantir sa continuité à l’austérité
ainsi qu’à toutes les politiques conduites chaque jour plus visiblement
d’après les intérêts du capital.
Bien sûr il restera toujours un François Chérèque pour chialer ses
grands dieux, pleurer Mendès et crier Delors que c’est toute la « gauche responsable », celle qui « pense qu’il est juste de mettre fin aux dérives des finances publiques car elles créent de l’injustice » [2], qui se sent « humiliée »
par le « traître » Cahuzac — puisque c’est l’évidence à crever les yeux
que sabrer dans les salaires des fonctionnaires, réduire leurs
effectifs (à l’école, dans les tribunaux, à l’inspection du travail,
etc.) ou ratiboiser les prestations sociales sont les gestes mêmes de la
justice en marche. On s’en voudrait d’ajouter au sanglot de Chérèque,
mais il faut quand même lui signaler que pour d’autres que lui, dont le
nombre devrait croître, l’événement Cahuzac, de secondaire, pourrait
bien devenir principal, jusqu’au point de vouloir se débarrasser non
seulement de la péripétie mais du système qu’elle exprime — et des
formes de « justice » que Chérèque persiste à y voir.
Sans doute passablement plus embarrassant que les diversions
militaires du Mali ou sociétales du mariage pour tous, l’épisode Cahuzac
n’en a pas moins — à quelque chose malheur est bon — la vertu
superficielle d’occuper les esprits à penser à autre chose — autre chose
que le réel des politiques économiques et sociales dont les historiens
du futur regarderont comme une insondable énigme qu’elles aient pu être
proposées au suffrage sous le titre « le changement, c’est maintenant ».
Sauf vocation à épouser l’Europe libérale, la raison en cercle et le
socialisme de gouvernement jusqu’au bout de l’austérité, à l’image de Libération
par exemple, c’est bien l’impressionnante continuité de la politique
économique qui frappe n’importe quel regard, à commencer bien sûr par la
reconduction telle quelle des grandes contraintes européennes
— objectif insane des 3 % en pleine récession et pacte budgétaire
européen (TSCG) négocié-Sarkozy ratifié-Hollande —, mais complétée par
le déploiement intégral du modèle compétitivité-flexibilité, simplement
rêvé par le prédécesseur, enfin réalisé par le successeur..."